D'un métier manuel à un métier de bureau : l’autre reconversion

10 nov. 2021

6min

D'un métier manuel à un métier de bureau : l’autre reconversion
auteur.e
Romane Ganneval

Journaliste - Welcome to the Jungle

1 actif sur 5 était dans un processus de reconversion en janvier 2021. Ce chiffre, issu du baromètre de la formation et de l’emploi de Centre Inffo, s’explique par la volonté des répondants « de se rapprocher de ses valeurs et de vivre davantage de ses passions ». Mais quitter son emploi pour faire quoi au juste ? Si, depuis plus d’une décennie, il n’est pas rare d’entendre des exemples de cadres qui désertent les open-space, d’opérationnels qui fuient leur « bullshit job » pour passer un CAP pâtisserie ou se lancer dans l’ébénisterie, le contraire est plus rare. Qui a déjà entendu quelqu’un envisager quitter la quiétude d’un atelier de céramique pour passer ses journées derrière un écran ? Ex-cuisinier, coiffeuse et fleuriste, Yorick, Catia et Julien sont passés de l’autre côté et ne regrettent pas leur choix. Mais aussi, ils n’hésitent pas à détricoter les idées reçues sur les métiers manuels.

Yorick Dieng, 31 ans : De cuisinier à… commercial

« Un meilleur équilibre vie professionnelle et vie personnelle »

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Comme la plupart des jeunes qui sortent du bac sans savoir exactement ce qu’ils veulent faire, j’ai pas mal navigué pendant mes études, jusqu’à obtenir un master en communication digitale. À peine sortie du système scolaire, je pensais révolutionner le marché numérique en créant une plateforme de réparation de téléphone. Vous vous en doutez : ça a fait pschitt ! En réaction et poussé par mon intérêt grandissant pour la nutrition et la gastronomie, je me suis inscrit en CAP cuisine. Mes proches m’ont tout de suite dit que les conditions de travail dans ce secteur étaient très dures, mais je me suis accroché et j’ai facilement décroché des postes de chef de partie.

C’est vrai que les salaires étaient bas pour le taux horaire. D’un autre côté, ce métier me permettait d’exprimer ma créativité tant dans l’élaboration de plats que dans l’invention de nouvelles techniques pour couper les légumes. Et honnêtement, je comprends que certains idéalisent le métier de cuisinier : sortir des plats que l’on a conçu avec nos mains et voir le sourire sur le visages des clients, c’est très gratifiant. Se serrer les coudes pendant le coup de feu pour décompresser une fois le restaurant vide resserre les liens que l’on a avec nos collègues. Ce que l’on vit en cuisine est très fort. Malheureusement, le Covid est passé par là et mes contrats se sont réduits comme peau de chagrin.

Un peu désorienté par la situation et cherchant une issue qui me permettrait de vivre plus confortablement, je suis tombé sur une formation de quatre mois aux métiers de la vente. La promesse était alléchante : se former rapidement à un métier rémunérateur et dans un secteur où les offres d’emploi ne manquent pas. Ma conjointe étant professeure, je sais que mon métier de cuisinier ne me permettait pas d’allier comme je le voulais ma vie personnelle et ma vie professionnelle. Signe qu’il était peut-être temps pour moi d’en changer. Je ne dis pas qu’il n’y a pas de vie possible lorsqu’on travaille dans la restauration, mais c’est tout de même plus simple quand l’autre est dans le même secteur ou partage le même rythme. Après ma formation express, j’ai décroché un poste de commercial. Si, au départ, ce sont les conditions de travail et le salaire qui m’ont appâté, je suis surpris de voir que je m’épanouis dans ce métier de contact où je passe plus de temps au téléphone que derrière un écran d’ordinateur. Puis, comme en cuisine, on essaye toujours de donner le meilleur de nous-même pour dépasser nos objectifs. C’est très concret !

Avec du recul, je dirais qu’en cuisine, il y a deux écoles : celles et ceux qui s’orientent dès la fin du collège parce qu’ils n’arrivent pas à suivre le cursus général et celles et ceux qui se réoriente un peu plus tard. Malheureusement, la restauration reste toujours associée à des conditions de travail difficiles, ce qui se vérifie lorsqu’on y travaille. Parfois la passion suffit, mais cela dépend aussi où l’on place ses priorités et je pense que ce secteur a encore beaucoup à faire pour améliorer la qualité de vie des personnes qui nous mijotent de bons petits plats !

Catia Ribeiro, 29 ans : De coiffeuse à… business developer

« Gagner davantage en préservant sa santé »

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En grandissant dans un contexte familial compliqué, j’ai accumulé des difficultés scolaires et mes résultats se sont effondrés. À la fin du collège, on m’a conseillé de choisir une voie professionnalisante ce que j’ai accepté parce que cela coïncidait avec ce dont j’avais alors besoin : rentrer le plus rapidement possible dans la vie active pour gagner ma vie et m’échapper. J’ai fait un CAP coiffure et exercé pendant près de dix ans comme coiffeuse indépendante. Contrairement à un emploi de bureau, dans la coiffure on prend soin des personnes qui poussent la porte du salon, on écoute leurs histoires et à la fin d’une coupe, on sait qu’on a fait quelque chose de bien. D’un autre côté, il ne faut pas oublier que c’est un métier chronophage avec des conditions de travail assez dures. Les produits abîment la peau, on est debout toute la journée, on travaille tous les week-end et quand on n’est pas propriétaire de son salon, les salaires sont relativement bas.

Maman célibataire de deux jeunes enfants, je me suis dit que je voulais être plus disponible pour eux et gagner davantage. Pendant le premier confinement, j’ai donc pris la décision de me reconvertir. Par chance, j’ai reçu un mail de Rocket School, une académie qui forme les adultes aux métiers du numériques, qui a titillé mon attention. Contrairement aux écoles classiques, il n’y a pas de prérequis en termes de diplôme ou d’expérience professionnelle pour suivre le cursus proposé, les étudiants étant uniquement sélectionnés sur leurs soft skills. C’était un pari sur l’avenir, mais je me suis lancée. Les premières semaines n’ont pas été simples. J’avais l’impression de débarquer dans un univers parallèle : je ne connaissais pas le vocabulaire, le monde des start-up, les outils… L’école m’a rassuré et m’a dit que je n’étais pas la première dans cette situation. Finalement, à l’issue d’une formation de trois mois, j’ai été prise en alternance au poste de business développer dans une structure qui accompagne les start-ups dans leurs projets à impact positif. Pour le moment, je suis en contrat jusqu’à fin 2022 et j’ai bon espoir de rester. Mon poste actuel est en full-remote ce qui me permet d’être auprès de mes enfants. Et au-delà des conditions de travail, ce que j’aime aujourd’hui, c’est convaincre, aider mes clients et travailler sur des projets qui font du bien à la société et à la planète. Entre-nous, si vous m’aviez dit où j’atterrirais il y a deux ans, je ne vous aurais pas cru !

Julien Halimi, 37 ans : De fleuriste à… head of product

« Ne plus répéter les mêmes gestes et élargir ses opportunités »

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En 2014, après un DUT information communication, des voyages en Asie et plusieurs expériences professionnelles non-concluantes, j’ai décidé de reprendre l’entreprise familiale sur la Côte d’Azur qui fleurit les yachts de la Riviera, avec mon frère. Pendant toute cette période, je me suis levé à l’aube pour rencontrer les producteurs de la région et confectionner nos bouquets. Comme j’avais baigné dans cet univers toute mon enfance, ce n’était pas un milieu inconnu et il était facile de comprendre les demandes et besoins de chacun des clients. Le cadre de travail était superbe d’autant que je travaillais seulement cinq mois de l’année pour voyager le reste du temps. Pourtant, après quelques années à concevoir des bouquets, ce travail est devenu rébarbatif. Il n’y avait plus aucune créativité : comme tu acquiers rapidement une technique, tu finis par faire les mêmes gestes pour élaborer les mêmes bouquets, les mêmes compositions… Au-delà de la répétition, ma situation financière s’est dégradée.

Par chance, mon ami d’enfance m’a alors demandé de venir travailler avec lui pour l’aider à développer une application. Ça peut sembler étonnant pour un fleuriste, mais je me suis toujours intéressé au digital. À dix-huit ans, je vendais déjà des sites internet 500 euros pièces pour financer mes voyages et me faire de l’argent de poche. Ce n’était pas prévu, mais cette idée de banque en ligne m’a tellement plu que je suis resté et j’occupe depuis le poste d’Head of Product. Maintenant, je m’intéresse à la méthode agile, j’élabore des roadmapsLe fait d’être assis à un bureau ne me dérange pas parce que je travaille pour un projet auquel je crois.

Pour moi, si certaines personnes ont envie de se reconvertir dans les métiers manuels, c’est avant tout parce qu’elles se sentent dépossédées. Il y a quelques années, n’importe qui savait réparer un vélo, repriser une chaussette… Aujourd’hui, on ne répare plus rien, on ne fait plus rien de nos mains. On ne sert plus à rien hormis “gagner de l’argent” pour payer ses factures. Faire quelque chose de palpable et vendre son produit à ses clients, c’est très concret et plaisant. Après, la réalité est parfois très loin de l’image que l’on peut se faire d’une telle vie : entre nous, qui a vraiment envie de se lever à l’aube en plein mois de décembre pour choisir des fleurs dans des bacs d’eau à 2°C ? Qui a envie de travailler 80 heures par semaine pour gagner au mieux 2 000 euros par mois ?

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Article édité par Elea Foucher-Créteau ; Photos Thomas Decamps pour WTTJ

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