Street-sourcing : et si au détour d’une rue, on nous proposait un job ?

16 nov. 2021

auteur.e
Paul Herbert

Rédacteur

Vouloir trouver un emploi est parfois chose plus facile à dire qu’à faire. On connaît tous la longue litanie de tâches que cela implique : remettre à jour son CV, sa lettre de motivation, écumer les sites spécialisés à la recherche des offres qui pourraient nous convenir, envoyer une multitude de candidatures qui restent souvent lettre morte, passer des entretiens et recommencer jusqu’à ce qu’enfin, une entreprise veuille bien nous accueillir en son sein. Dans ce long processus, c’est souvent le candidat qui est actif, qui se démène et qui part en quête du poste rêvé.

Mais si pour une fois on inversait les rôles ? Si c’était l’entreprise qui partait à la recherche de ses futurs talents en allant vous rencontrer pour vous proposer ce poste que vous désirez peut-être sans le savoir ?

“Impossible”, direz-vous, cela n’existe pas. C’est pourtant le pari fou d’Ethypik, une société de recrutement qui a développé une toute nouvelle méthode pour rencontrer les candidats : le “street-sourcing”. Pour en savoir plus sur cette nouvelle manière d’aborder le recrutement, nous avons interrogé son créateur Nicolas Morby, et Arthur Desmesure, chargé de communication digitale, qui a lui-même été embauché chez Ethypik via cette technique.

Remettre l’humain au centre du recrutement

Le street-sourcing, un retour aux sources

Sous ce terme anglophone qui lui donne un air de nouveauté, le street-sourcing (de l’anglais “street”, la rue, et “sourcing” qui vient du verbe, “to source”, s’approvisionner) cache en fait un retour à la source du recrutement. Car avant de passer par des processus complexes et de multiples étapes, le recrutement était avant tout une affaire de rencontre, d’opportunité inattendue. On pouvait vous proposer un emploi au détour d’une rue, ou dans un magasin, si on reconnaissait chez vous les qualités adéquates. Avec le mot street-sourcing, Nicolas Morby est venu mettre un nom sur cette relation de confiance que permet la rencontre, avec pour ambition de la remettre au goût du jour « tout en gardant à l’esprit la réalité du recrutement d’aujourd’hui et de ses impératifs ».

Pour lui, le street-sourcing est né d’un constat fondé sur sa précédente expérience dans la collecte de fonds pour les ONG : « Pendant mes dix années en tant que responsable de programme chez ONG Conseil, j’ai pu engager de nombreux recruteurs de donateurs et ce sans CV. J’ai vu beaucoup de personnes qui avaient du talent mais qui ne correspondaient pas forcément aux postes pour lesquels je recrutais et qui n’étaient pourtant pas visibles pour les recruteurs classiques. C’est là que je me suis dit pourquoi on n’inverserait pas le jeu ! » De là sont nés Ethypik et son concept de “street-sourcing” avec la volonté de faire rencontrer des entreprises en mal de candidats et un vivier de talents cachés qui ne « sont sur aucun jobboard, aucun réseau social, qui ne sont pas visibles, en fait ».

Car, explique-t-il, « beaucoup de personnes vont aborder leur recherche d’emploi sans maîtriser nécessairement les outils, l’exercice de l’entretien, du CV ou de la lettre de motivation. D’autres personnes ne savent pas où chercher ou ne sont pas présentes en ligne et n’ont donc pas accès aux offres qui pourraient les intéresser ». Et puis il y a ces personnes qui ne se sentent pas en confiance, qui pensent ne pas avoir les compétences nécessaires pour endosser des missions qui seraient pourtant parfaites pour elles. En allant à leur rencontre dans leur lieu de vie et en proposant un recrutement plus inclusif, le street-sourcing a pour ambition d’effacer les barrières et remettre ces personnes au centre de leur recrutement.

« Revenir à l’essentiel et revenir à l’humain »

Car c’est là aussi l’ingrédient secret du street-sourcing : « Revenir à l’essentiel et revenir à l’humain ». Alors que les processus de recrutement classique repoussent le plus loin possible la rencontre physique entre candidat et recruteur, le fondateur d’Ethypik veut faire de celle-ci, l’élément déclencheur du recrutement : « Un entretien ça se finit toujours en face-à-face, or j’ai la croyance profonde que ça devrait en fait commencer par du face-à-face. »

Parce que plus que la capacité à bien savoir rédiger un CV ou faire une belle lettre de motivation, ce qui importe aujourd’hui dans un marché du travail de plus en plus tourné vers le service, c’est le savoir-être : « Aujourd’hui, les employeurs regardent avant tout le savoir-être qui est bien plus important que le savoir-faire. On peut difficilement changer le savoir-être d’une personne alors qu’on peut former au savoir-faire. »

Le street-sourcing ne permet plus seulement de recruter des compétences techniques pour les entreprises, mais des individus au fort savoir-être qui seront capables d’apprendre et d’évoluer au sein de l’entreprise. En fait, la différence entre le street-sourcing et un recrutement classique, c’est que l’entreprise ne va pas chercher un poste, mais une personne.

Chercher les candidats là où ils se trouvent

Pour trouver ces talents inexploités, ces personnes au fort savoir-être qui échappent aux processus de recrutement classique, on ne peut pas utiliser les moyens traditionnels de recrutement. La solution qu’a trouvée Ethypik, c’est d’aller les chercher directement là où ils vivent, dans la rue, dans les centres commerciaux, dans tous ces lieux qu’ils arpentent sans s’attendre à se voir proposer un emploi. En allant directement à leur rencontre, les chargés de recrutement s’assurent de les considérer, de leur adresser la parole et leur permet de facto de gommer une grande partie des biais de recrutement qui invisibilisent ces personnes.

Qui plus est, en allant les chercher dans un lieu qui peut paraître incongru pour une telle démarche, les recruteurs retirent aussi tout le décorum parfois pesant de l’entretien et du recrutement pour surprendre le candidat et le saisir dans une certaine forme de sincérité. Cela permet de « confirmer ou d’infirmer des intuitions », nous dit Nicolas Morby, de pouvoir prendre le pouls du savoir-être de la personne à la fois grâce à ce premier contact, mais aussi grâce à un questionnaire de savoir-être qui permet d’identifier en seize questions les forces et les faiblesses de la personne. Ce sont des choses qu’on ne peut généralement découvrir qu’au moment de l’entretien dans un recrutement classique, soit quand le processus est déjà bien avancé, alors que dans le street-sourcing, cela s’opère dès le tout début.

À quoi ressemble un recrutement par Street-Sourcing ?

« Vous avez un relationnel incroyable, je vous donne ma carte, rappelez-moi »

Ce désir de revenir à l’humain et de privilégier la rencontre et le savoir-être, Ethypik l’applique même pour recruter ses employés, comme Arthur Desmesure, qui est désormais chargé de communication digitale chez eux. Évoquant les coulisses de son recrutement à la volée par street-sourcing, l’ex-candidat se remémore ses impressions et le processus : « Je travaillais en intérim dans un bureau de Poste. J’étais dans une situation précaire, à une étape charnière de ma vie. C’était un jour particulièrement chargé et au moment où Nicolas est venu je gérais peut-être une dizaine de personnes en même temps en les répartissant à travers le bureau de poste. Un peu plus tard, quand la situation s’était un peu calmée, Nicolas est venu me voir. Il m’a remercié pour mon accueil et m’a dit : “vous avez un relationnel incroyable, je vous donne ma carte, rappelez-moi”. »

Une rencontre à l’improviste pour Nicolas Morby, qui ne s’attendait pas à rencontrer son futur chargé de mission en communication digitale mais c’est aussi ça parfois le street-sourcing, des rencontres heureuses qui débouchent sur un nouvel emploi et de nouvelles opportunités : « Je l’ai rencontré à l’improviste. Il était proactif, il savait faire preuve de pédagogie, il savait faire rire les personnes. Je me suis dit, celui-là je le veux. Je vais le former. Je ne savais même pas ce qu’il allait faire dans ma structure, mais je me suis dit qu’une personne avec autant de savoir-être, je ne pouvais que la recruter. »

« C’était une démarche humaine qui me correspondait parfaitement »

Quand on est abordé ainsi on est forcément traversés par différentes émotions. Passés la surprise et la curiosité de départ, on peut même éprouver une certaine allégresse. C’est ce que nous confirme Arthur Desmesure : « J’étais à la fois ébahi et étonné, parce qu’on ne s’y attend jamais. Et puis c’est intrigant, on te dit “tu as des valeurs humaines de communication, en t’observant on a vu que tu avais du savoir-être, on veut te proposer un emploi. »

Face à cette demande un peu abrupte on peut aussi avoir des réserves et être sur la défensive mais pour lui, la curiosité a primé : « Forcément on a des doutes au début quand on te dit, qu’on va te recruter sans avoir à montrer ton CV et sans lettre de motivation. Ça peut paraître bizarre; qu’on te recrute comme cela juste parce que tu as du savoir-être. Mais la démarche m’a séduit, j’ai voulu voir ce que ça donnait et j’ai décidé d’aller jusqu’au bout. Nicolas m’a paru totalement honnête et franc dans sa démarche, ce sont des choses qu’on sent. Je l’ai donc rappelé et on a discuté pendant près d’une demi-heure. Il m’a posé des questions sur mon parcours, sur ce que j’avais fait, sur ce que je voulais faire. Et à la fin il m’a dit : « j’ai un poste pour vous, pas forcément celui auquel je pensais au début, mais j’ai peut-être un poste pour vous. »

Après un entretien de qualification avec une autre personne de l’entreprise, et un test écrit, Arthur entrait chez Ethypik en février 2021 après avoir été “street-sourcé” et ce sans avoir dû présenter ni CV, ni lettre de motivation : « C’était une démarche humaine qui me correspondait parfaitement », détaille-t-il.

Un processus rapide en trois étapes

Mais, si vous-même, vous rencontrez un “street-sourceur”, ces chargés de recrutement itinérants, dans votre rue ou dans votre centre commercial, comme cela va-t-il se passer ? Nicolas Morby nous éclaire sur les étapes de cette méthode originale : « Au début, on aborde la personne et on lui demande si elle cherche du travail. Si elle est intéressée, elle remplit alors un questionnaire de seize questions pour analyser ses compétences en savoir-être. »

Vient ensuite une deuxième étape, qu’il appelle l’étape de préqualification, pendant laquelle, un autre chargé de recrutement « va creuser un peu plus au niveau du savoir-être et vérifier les prérequis absolument nécessaires pour le poste, comme le permis ou les diplômes qui pourraient être demandés. »

Enfin, grâce aux deux étapes précédentes, les compétences de la personne sont traduites sous la forme d’une fiche normalisée sans photo pour garantir un recrutement plus inclusif. Le recruteur, ou street-sourceur, peut alors mettre en rapport cette fiche avec les offres traduites similairement en compétences de savoir-être et de savoir-faire et ainsi trouver l’offre idéale, celle qui correspondra le plus à ce candidat. C’est cette fiche qui est ensuite transmise à l’entreprise de l’offre en question pour une ultime validation avant de décrocher cet emploi. Pour autant, le processus n’est pas plus long pour le candidat qu’un recrutement classique, c’est même le contraire nous explique Nicolas Morby, « en moyenne un recrutement normal se fait en quarante-six jours, nous c’est entre sept et quinze jours pour un recrutement par street-sourcing ».

Des avantages pour les recruteurs et les recrutés

Un moyen de recrutement idéal pour les métiers en tension

Si le “street-sourcing” peut s’appliquer avec succès pour la plupart des offres, cela fonctionne particulièrement bien « dans les secteurs qui forment et qui savent former et en majorité sur les métiers en tension pour le moment », nous confie Nicolas Morby. En cette période où certains secteurs comme la restauration, l’aide à la personne ou le bâtiment sont en manque de candidats, le street-sourcing peut se révéler comme une des solutions intéressantes pour adresser cette pénurie : « Un métier en tension c’est par définition un métier qui manque de visibilité et l’avantage du street-sourcing c’est qu’avec le candidat on peut expliquer ce que comprend ce métier, pour qu’il ait une image plus vraie de ce poste. »

Par exemple, dans le domaine de la santé, beaucoup de soignants décident de partir depuis la crise. Le street-sourcing peut permettre d’aller chercher des « personnes qui pensaient ne pas avoir les compétences pour ces métiers mais qui ont une appétence. » En sélectionnant les bonnes compétences de savoir-être, il ne reste alors plus qu’à former ces personnes pour qu’elles acquièrent le savoir-faire des métiers de soignants par exemple, « parce que ce sont des compétences transférables. »

Décloisonner et rendre accessibles certains secteurs

Le street-sourcing, serait en outre un remède pour combattre les idées reçues et « rendre accessibles certains métiers à des personnes qui ne se croyaient pas capables de les faire, à tort », nous dit le créateur d’Ethypik. « Par exemple, j’observe que dans le numérique, il y a beaucoup de fausses croyances de jeunes de quartiers prioritaires qui pensent que ces métiers ne sont pas pour eux, qui pensent que le numérique c’est pour des personnes qui ont des diplômes ou qui sont des “geeks”… alors que non, c’est accessible à tous. Le street-sourcing permet d’avoir un rôle de facilitateur, et d’ouvrir les barrières symboliques de certains métiers. »

Donner à tous la possibilité d’exprimer ses talents

Et puis finalement, le street-sourcing, c’est aussi donner la chance à tout le monde d’exprimer ses talents et de trouver un emploi qui lui corresponde : « En rencontrant les recruteurs de street-sourcing, chaque candidat devrait pouvoir trouver le travail de ses rêves, ou a minima celui en adéquation avec ses valeurs et avec qui il est », déclare Nicolas Morby. Une formule payante pour plus de 140 candidats placés depuis le début de l’année 2021, un nombre plus que respectable pour cette toute jeune entreprise de moins de deux ans d’âge qui travaille désormais avec des grands groupes comme Suez, DomusVi ou même Pôle Emploi Île de France.

Un avis que partage Arthur Desmesure : « Il n’y a pas la barrière du CV ou de la lettre de motivation, il faut juste être entier, fier de ce que l’on est et accepter de tenter le coup pour tester ce nouveau mode de recrutement. Il suffit d’essayer, franchement, il n’y a rien à perdre. »

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Article édité par Manuel Avenel ; Photos Thomas Decamps pour WTTJ