Valeurs de boîte : et si on arrêtait le bullshit ?

20 nov. 2020

3min

Valeurs de boîte : et si on arrêtait le bullshit ?
auteur.e
Laetitia VitaudExpert du Lab

Autrice, consultante et conférencière sur le futur du travail, spécialiste de la productivité, de l’âge et du travail des femmes

L’émotion immense suscitée par le décès de David Graeber, cet anthropologue génial à qui on doit le concept des « bullshit jobs », est révélatrice. Il avait touché une corde sensible chez de nombreux/nombreuses travailleurs/travailleuses de bureau qui ont l’impression que leur travail ne sert à rien, et qu’il faut « faire semblant » d’y croire.

La « quête de sens » au travail est d’autant plus d’actualité que la pandémie a produit des questionnements supplémentaires et mis en lumière à quel point les travailleurs/travailleuses « essentiel.le.s » sont peu valorisé.e.s.

Il n’est pas impossible que notre « radar à bullshit » se soit encore perfectionné durant cette année de crise. Le décalage entre les discours et la réalité s’est peut-être agrandi. Plus que jamais, il est essentiel pour les entreprises d’avoir une communication authentique et sincère, de communiquer de manière simple et claire sur leurs valeurs et leur activité.

Dans notre livre 100 idées innovantes pour recruter des talents et les faire grandir, nous avons consacré un chapitre à ce sujet, que nous publions ici en libre accès.

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L’énoncé des valeurs (value statement) est un texte qui décline les principes fondamentaux censés définir et orienter une organisation et sa culture. Les entreprises y recourent de plus en plus pour bâtir une image de marque forte. Il sert également de cadre moral et guide la prise de décision. Quel mal y a-t-il à défendre des valeurs et à le proclamer publiquement ?

En fait le problème majeur est le suivant : pour que l’énoncé des valeurs serve à quelque chose, l’entreprise doit réellement incarner ces valeurs à tous les niveaux et les mettre chaque jour en œuvre à travers ses actions.

Or nombre d’organisations ne joignent pas le geste à la parole. Prenons le cas d’Enron, le géant américain de l’énergie. Le groupe s’est effondré en 2002 suite à un scandale épique révélant que sa situation financière reposait sur une fraude comptable systématique, institutionnalisée et savamment planifiée. Par une ironie du sort, ses « quatre valeurs capitales » avaient pour noms « le respect, l’intégrité, la communication et l’excellence ».

Comme le souligne Lucy Adams dans son ouvrage HR Disrupted: It’s Time for Something Differentque nous avons résumé ici, l’énoncé des valeurs contraint l’entreprise à se focaliser sur les mots plutôt que sur des éléments réellement susceptibles de renforcer l’engagement des salarié.e.s. Elle écrit : « Je suis certaine que vous vous êtes réunis pendant des heures pour tenter de parvenir à un accord sur la manière de modifier votre formulation : “remplaçons “il” par “ils” et “pourrait” par “devraient” et nous aboutirons à une formulation qui n’offensera personne.” Résultat : nous obtenons des énoncés insipides, dépourvus de sens et sans effet sur les salariés qui en connaissent à peine l’existence et les suivent encore moins. »

En outre, ils se ressemblent d’une entreprise à l’autre, reprenant tous les mêmes idées : « intégrité », « respect » ou « innovation ». Ce qui explique pourquoi les salarié.e.s n’y font plus attention; nombre d’entre eux / elles considèrent l’énoncé des valeurs, mais aussi la déclaration de mission (mission statement) avec suspicion voire irritation.

Les start-up ont malheureusement, elles aussi, succombé à ce travers; elles affichent des valeurs qui font d’elles de véritables clones les unes des autres, ou empruntent les mêmes clichés pour décrire ce qu’elles sont. D’où leurs difficultés à attirer des salarié.e.s potentiel.le.s.
Mieux vaut donc ne pas afficher ses valeurs plutôt que de publier une profession de foi qui risque d’irriter à la fois de futur.e.s candidat.e.s ainsi que les client.e.s et les salarié.e.s actuel.le.s. Pourtant les valeurs constituent un élément positif dès lors qu’elles coïncident avec la culture et les actions de l’entreprise.

Car les actes ont plus de poids que les paroles. Si vous défendez des valeurs sincères, vous voulez forcément les promouvoir et faire en sorte qu’elles imprègnent tout ce que vous faites. Encore devez-vous faire preuve de sincérité, rester humble et indiquer sans ambiguïté celles que vous choisissez de mettre en avant. Les exemples abondent d’entreprises qui ont fondé leur réussite sur un énoncé de valeurs simples et authentiques.

En voici une illustration : L.L. Bean est un détaillant américain spécialisé dans l’habillement et l’équipement de loisirs de plein air. Fondé en 1912 par Leon Leonwood Bean, le groupe familial a opté pour un énoncé de valeurs fondamentales simple et succinct qui est le reflet de sa clientèle hyper fidèle. « Vendez une marchandise de qualité en réalisant un profit raisonnable, traitez vos clients comme des êtres humains et ils reviendront pour acheter davantage. » Cette citation du fondateur, connue comme « la Règle d’or de L.L. », est affichée dans tous les magasins et les usines. Carolyn Beem, chargée de la communication, précise : « ce n’est pas seulement un adage, mais une règle de vie et une manière de se conduire » pour les 5 000 salariés du Maine. Les valeurs-clés se reflètent également dans la garantie de satisfaction imprimée sur une carte que les responsables de la fabrication glissent avec fierté dans chaque paire de bottes réalisée.

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