Nos loisirs ont de plus en plus de valeur aux yeux des recruteurs ! Décryptage

23 avr. 2020

5min

Nos loisirs ont de plus en plus de valeur aux yeux des recruteurs ! Décryptage
auteur.e.s
Thomas Decamps

Photographe chez Welcome to the Jungle

Marlène Moreira

Journaliste indépendante.

Explorateurs de contrées inconnues, collectionneurs de cartes Pokémon et passionnés de curling… Si on parlait un peu plus de vos hobbies ? Les entreprises se montrent de plus en plus réceptives aux passe-temps des candidats. Griffonner “lecture, sport et cinéma” en bas de votre CV - histoire de faire comme tout le monde - n’est plus suffisant. Mais pourquoi les recruteurs se penchent-ils particulièrement sur vos centres d’intérêt aujourd’hui ? Décryptage.

Cachez ce passe-temps que je ne saurais voir

C’est vrai, pendant longtemps les centres d’intérêt, expériences de bénévolat et autre side projects ont été relégués au second rang. Loin derrière les compétences techniques, les diplômes ou encore la liste des logiciels que vous maîtrisez (Word ET Powerpoint ? Waouh !). Tout ce qui sortait du cadre des expériences professionnelles et des « hard skills » était vaguement évoqué, mais finalement peu développé. Ni par les candidats au moment de postuler, ni par les recruteurs en entretien.

En 2011, six chercheurs du CNRS et du TEPP se sont intéressés au sujet et ont envoyé 7 553 candidatures fictives pour des postes en informatique et en banque-assurance. Ils observent alors que le fait d’évoquer des expériences de volontariat aurait une influence neutre… voire négative sur le taux de réponse. Un résultat qui ne surprend pas Jean-François Connan, Directeur Responsabilité et Innovation Sociale chez The Adecco Group : « Les recruteurs restent assez conformistes, attachés au diplôme et à la trajectoire professionnelle d’un candidat. Mais les lignes bougent. Ce qui est inscrit en bas du CV est de moins en moins anodin, provoque des questions et fait ressortir les différences ».

« Les lignes bougent. Ce qui est inscrit en bas du CV est de moins en moins anodin, provoque des questions et fait ressortir les différences » Jean-François Connan, Directeur Responsabilité et Innovation Sociale

Une tendance qui est donc en train de changer. Et même dans les secteurs qui ont longtemps privilégié les diplômes. En 2017, l’Académie britannique des sciences médicale a lancé, par exemple, une campagne de communication intitulée MedSciLife : « Nous croyons que le temps en dehors du travail a le potentiel de nourrir la créativité, de renforcer la résilience et de donner de nouvelles perspectives sur les problèmes existants, précisément les compétences qui permettent une meilleure qualité de recherche », mettent-ils en avant sur leur site Internet. L’Académie partage ainsi les histoires de chercheurs qui bricolent, qui s’engagent, qui cuisinent, qui collectionnent… Bailey Sousa, de l’Université d’Alberta, explique que ce type d’initiative peut servir de modèle et montrer que les passe-temps font partie, à part entière, de l’identité professionnelle : « Cela diffuse des signaux culturels importants, qui montrent que la réussite scientifique et la vie à côté ne sont pas nécessairement incompatibles ».

Ce que vos hobbies disent de vous

Ce que vous faites en dehors du travail en dit souvent bien plus sur vous que la liste de vos précédents postes ou votre score au TOEIC. Posées intelligemment et au bon moment, les questions sur vos centres d’intérêt permettent à un recruteur avisé de savoir si vous vous intégrerez correctement à votre poste, dans votre équipe et dans l’entreprise. Il saura distinguer, dans vos différentes activités, les qualités directement transférables à vos missions.

En effet, les hobbies sont de bons indicateurs de votre personnalité. Le capitaine d’une équipe de sport est probablement un bon leader. Un passionné de menuiserie aura de grande chances d’être une personne appliquée et autonome. Le trésorier d’une association, organisé et bon gestionnaire. Des évidences… que l’on oublie pourtant trop souvent de mettre en avant dans une candidature. C’est pourtant crucial quand vos expériences professionnelles ne vous ont pas laissé l’occasion d’apporter la preuve de vos compétences dans un domaine. Certes, vous n’avez pas encore eu de fonctions d’encadrement, mais si vous avez coordonné une association ou été à la tête du bureau du club de rugby de votre ville, c’est tout comme.

De la même façon, avoir des centres d’intérêts, quels qu’ils soient, rend plus créatif. S’intéresser à autre chose que son travail, c’est se donner une chance supplémentaire d’avoir de bonnes idées. C’est d’ailleurs l’une des sources de la sérendipité. Dans une interview pour le magazine américain Wired en 1996, Steve Jobs expliquait déjà en quoi la créativité naît de la diversité des expériences : « La créativité, c’est simplement connecter les choses. Lorsque vous demandez aux gens créatifs comment ils ont eu une idée, ils répondent que ça leur paraissait évident. C’est parce qu’ils ont pu connecter les diverses expériences qu’ils ont vécues. Et la raison pour laquelle ils ont pu le faire, c’est qu’ils ont eu plus d’expériences ou qu’ils ont davantage réfléchi à leurs expériences que les autres ». Au vu du succès d’Apple et du talent créatif de son fondateur, on peut décemment imaginer qu’il a raison.

Et surtout, les centres d’intérêt sont une source et un signe d’équilibre personnel. Depuis près d’une décennie, des chercheurs s’intéressent à l’influence des hobbies sur le bien-être. Et ils s’accordent sur le fait que les employés qui prennent du temps pour leurs passions sont moins sujets à l’épuisement, moins stressés, plus concentrés et plus satisfaits dans leur travail. Des effets positifs immédiats, qui se font même sentir longtemps après la fin de la pratique. De quoi justifier, en entretien, votre besoin de prendre une longue pause déjeuner pour aller à votre cours de yoga ou avancer dans vos constructions en allumettes.

Trouver l’équilibre entre hard, soft et mad skills

La communication autour des diplômes et des compétences techniques est généralement bien maîtrisée par les candidats, autant dans leur CV qu’en entretien. Mais alors que l’on peut tout (ou presque) apprendre dans un MOOC ou dans des livres, miser uniquement sur des hard-skills serait une erreur. Car les entreprises font face à de nouveaux enjeux et doivent y répondre à une vitesse extraordinaire. Aujourd’hui, un recruteur a besoin de voir que vous êtes capable de trouver LA bonne information, relever de nouveaux défis, gérer des situations complexes, résoudre des problèmes différemment, manager une équipe… Bref, toutes ces soft-skills que l’on apprend à l’école de la vie, plutôt qu’à l’école tout court.

Les entreprises ont donc besoin de talents avec des compétences hors normes. Ou au moins différentes. Les candidats à la personnalité ou au parcours qui ne rentraient pas dans les cases peuvent maintenant jouer de ces nouveaux atouts en entretien. Les américains ont d’ailleurs nommé ce concept les « mad-skills ». À savoir, toutes les aptitudes que l’on peut déduire de la pratique d’un passe-temps ou d’une “singularité”. Un terme made in California, qui vient (enfin) compléter le duo soft et mad skills. Et si les start-up ont été les premières à adopter ce concept, certains grands groupes commencent eux aussi à les évoquer. C’est par exemple le cas d’Airbus Groupe, dont le DRH a déclaré que les CV étaient “kitsch” et qui mise aujourd’hui sur des compétences moins conventionnelles. Ainsi, 68 % des recruteurs attachent de l’importance aux centres d’intérêt et aux hobbies indiqués sur un CV et 96 % ont l’habitude de poser des questions en ce sens lors de l’entretien. La moitié d’entre eux vont plus loin et déclarent qu’ils se sont déjà laissés convaincre par des profils qui dédient beaucoup de temps à des projets personnels.

Dans leur formidable demi-mesure, certaines entreprises de la Silicon Valley en ont fait leur nouveau moto. Le terme « mad skills » est déjà associé à plus de 1000 annonces de recrutement aux Etats-Unis sur le site Monster. Pour autant, lister vos passions et activités les plus saugrenues n’a pas de réelle valeur ajoutée si elles ne s’articulent pas correctement avec le reste. Désolé, le combo « joueur de pipeau asiatique et champion de air-guitar » ne peut pas se suffire à lui-même.

Au même titre que vos expériences professionnelles, c’est donc à vous de détailler ce que vos hobbies vous ont appris. Expliquez ce qu’ils apportent à votre profil, comment ils s’intègrent et alimentent votre identité professionnelle. Car c’est peut-être ces hobbies qui feront de vous LE meilleur candidat pour le poste.

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Photo d’illustration by WTTJ