Comment faire de l’incertitude son alliée dans un monde du travail incertain ?

07 sept. 2020

8min

Comment faire de l’incertitude son alliée dans un monde du travail incertain ?

Nul ne sait ce que l’avenir nous réserve… D’autant plus avec le spectre du confinement qui rôde et l’incertitude qui plane sur nos vies professionnelles. Au travail, les projets sont décalés dans le temps, parfois repoussés aux calendes grecques… Aura-t-on les budgets pour les mener ? Les clients vont-ils continuer à affluer ? Quelles évolutions de carrière sont possibles alors que nos entreprises peinent à rester à flots ? Que l’on soit en poste ou en recherche d’emploi, salariés, freelances ou entrepreneurs, nous nous demandons tous de quoi demain sera fait. Le brutal choc provoqué par le Covid-19 semble avoir fait bondir à nos yeux l’incertitude permanente qui nous entoure… Alors, comment tracer son chemin dans un monde professionnel qui nous semble incertain ?

Incertitude, mesure du risque, et besoin de sécurité

Nous n’aimons pas l’incertitudeL’incertitude entre en collision avec notre besoin d’anticiper autant que possible les événements à venir. Lutter contre l’imprévu nous permet de garder le contrôle sur les périls qui nous menacent et satisfaire notre besoin de sécurité, ce qui est le propre de l’homme selon Abraham Maslow, le psychologue humaniste à l’origine de la fameuse “pyramide des besoins” (on y retrouve, dans l’ordre : les besoins physiologiques, le besoin de sécurité, le besoin d’appartenance et d’amour, le besoin d’estime, puis le besoin d’accomplissement de soi, ndlr.)

Si aujourd’hui, nous ne vivons plus dans la jungle et que les menaces physiques nous guettent nettement moins au quotidien - et heureusement -, nous avons gardé ce mode de fonctionnement d’analyse permanente du risque qui nous aide à nous adapter à tous les événements de notre vie. L’incertitude nous maintient dans une sorte d’état d’alerte, prêts à réagir, quelle que soit la situation et la manière dont elle évolue. Cet état de vigilance nous pousse à aller chercher des informations et à trouver des solutions pour sortir du flou, au travail comme ailleurs.

Incertitude dans le monde du travail

L’incertitude gagne du terrain ?

Les incertitudes semblent particulièrement présentes dans notre monde du travail qui se complexifie et qui nous semble parfois imprévisible… Si l’incertitude a toujours fait partie de l’équation, ce qui diffère aujourd’hui, c’est la rapidité avec laquelle évolue notre société, en dehors de toute crise et toute épidémie. C’est du moins le constat qu’a fait Anaïs Georgelin, fondatrice de SomanyWays pour accompagner dans le changement les entreprises et leurs salariés : « Avec la mondialisation et notre mode de vie ultra connecté, on vit de nombreux changements, les cycles d’évolution sont plus rapides, l’incertitude est plus visible à l’échelle d’une vie qu’auparavant », explique-t-elle. « Quand on voit la vitesse à laquelle les métiers se transforment, il est clair que le changement fait partie de notre quotidien. »

« Avec la mondialisation et notre mode de vie ultra connecté, on vit de nombreux changements, les cycles d’évolution sont plus rapides, l’incertitude est plus visible à l’échelle d’une vie. » - Anaïs Georgelin, fondatrice de SomanyWays, une structure qui accompagne les entreprises dans le changement

Le Covid-19 met en lumière l’incertitude qui nous entoure

Si l’incertitude fait partie intégrante de la vie, Anaïs Georgelin explique que la crise du Covid-19 a pour de nombreuses personnes entraîné une prise de conscience un peu brutale de l’impermanence de notre monde. « La crise du Covid-19 agit comme une loupe grossissante sur ce qui se passe autour de nous. D’un coup, on réalise tout ce qu’on ne sait pas, tout ce qui peut encore arriver, toute l’incertitude qui nous entoure dans ce monde mouvant. »

Et qui dit crise, dit rupture de la continuité. La mise à mal de ce qui était stable, ce qui semblait acquis dans nos vies. Nous n’avons plus le mode d’emploi, et c’est bien déstabilisant. Pourra-t-on toujours entreprendre dans le monde qui se profile ? Quel marché du travail pour les demandeurs d’emploi ? Quels débouchés économiques pour les entreprises ? La crise que nous traversons actuellement a, en plus, une particularité selon elle : « On se demande où va notre bateau commun, l’incertitude n’est pas individuelle, limitée, elle est à l’échelle collective. » Qui plus est, le flou s’inscrit à un niveau non seulement national, mais aussi mondial, ce qui est bien plus anxiogène que les incertitudes auxquelles nous étions habituellement confrontés.

« La crise du Covid-19 agit comme une loupe grossissante sur ce qui se passe autour de nous. D’un coup, on réalise tout ce qu’on ne sait pas, tout ce qui peut encore arriver, toute l’incertitude qui nous entoure dans ce monde mouvant. » - Anaïs Georgelin

Incertitude : fléau ou opportunité ?

Tous égaux face à l’incertitude ?

Vous êtes probablement les premiers à l’observer : l’incertitude n’est pas confortable. Elle nous fait même passer par toutes sortes d’états et suscite chez nous toute une palette de sentiments, comme l’explique Anaïs Georgelin : « L’incertitude génère anxiété, peur, stress, on passe par différents états émotionnels… » Mais si l’incertitude est la même pour tout le monde, pourquoi alors déstabilise-t-elle certaines personnes plus que d’autres ? Si certains composent aisément avec l’improvisation et l’imprévu, en réalité, notre tolérance à l’incertitude varie en fonction de notre histoire et de nos ressources.

« L’incertitude génère anxiété, peur, stress, on passe par différents états émotionnels… » - Anaïs Georgelin, fondatrice de SomanyWays

S’il est normal ne pas se sentir serein face à l’incertitude, certains d’entre nous se mettent carrément à douter de leur capacité à se sortir d’une telle situation… Et c’est là que le fonctionnement diffèrerait d’une personne à une autre. Le poids de nos expériences passées et de nos croyances a tendance à biaiser notre jugement et à nous déstabiliser… Une sorte de réaction disproportionnée à la présence d’un danger !

  • Stratégies dysfonctionnantes pour sortir de l’incertitude

L’incertitude est particulièrement lourde à porter pour certaines personnes, plus anxieuses, qui peuvent s’épuiser dans des stratégies inopérantes pour réduire le doute, en accordant par exemple du crédit à des informations douteuses, en s’installant dans l’immobilisme, ou en s’épuisant dans la recherche de réponses pour structurer l’incertitude.

Tous différents, alors, face à l’incertitude ? Oui et il est intéressant de prendre conscience des conditionnements et des peurs qui pèsent sur nous, individuellement, dans ces situations. Le psychologue Néerlandais Gerard Hendrik Hofstede a même démontré que notre réaction face à l’incertitude est influencée par notre culture. Dans une étude sur les différents modes de management à travers le monde, il a prouvé que les pays possèdant la meilleure tolérance à l’incertitude, tels que les États-Unis, la Grande-Bretagne ou la Suède, se révèleraient plus enclins à l’innovation que les pays où le besoin de contrôle sur l’incertitude est fort, comme par exemple les pays latins.

Là où se créent les opportunités

Si l’incertitude nous rend particulièrement attentifs à ce qui se passe autour de nous, c’est pour nous permettre de nous préparer à nous adapter au changement qui arrive. L’incertitude a donc aussi du bon, comme le souligne Anaïs Georgelin : « Qui dit incertitude dit champ des possibles, c’est-à-dire opportunité d’évoluer, de bouger, de se réajuster, d’apprendre, de voir les choses autrement. »

Chaque moment d’incertitude, que ce soit une transition professionnelle ou une crise de grande échelle, peut être une formidable opportunité de réorganiser nos priorités, d’ajuster nos modes de vie, de consommation, de replacer différemment le travail dans nos vies…

Un mal pour un bien, alors ? « Si on se protège tout le temps, on n’apprend rien, on ne progresse pas, on reste bloqué. Il faut prendre conscience des comportements automatiques que l’on a, prendre de la hauteur et avancer malgré tout », rappelle Anaïs Georgelin. Il n’y a pas de possibilité d’évolution, de développement sans remise en question de ce qui était certain, acquis. L’état de vigilance créé par l’incertitude, quand il est bien dosé, nous aide à nous adapter et nous transformer. À ce titre, la crise que nous traversons nous force un peu à bouger, mais elle nous rappelle aussi que le mouvement fait partie de la vie.

« Qui dit incertitude dit champ des possibles, c’est-à-dire opportunité d’évoluer, de bouger, de se réajuster, d’apprendre, de voir les choses autrement. » - Anaïs Georgelin

Mieux appréhender l’incertitude dans sa vie professionnelle

1. Nommer ce que nous ressentons

La première étape pour mieux appréhender l’incertitude, c’est de prendre conscience de l’inconfort qu’elle génère. « Prendre conscience que l’on vit mal les choses, c’est-à-dire que l’on vit mal l’incertitude, mettre des mots sur les maux, reconnaître cet état-là et ce qu’il provoque en nous est un premier pas », explique Anaïs Georgelin. Nommer les émotions, c’est déjà ne plus les subir de plein fouet, une étape nécessaire pour accepter notre ressenti avec bienveillance, diminuant par là les effets négatifs qu’il pourrait générer.

2. Interroger notre rapport au risque, faire grandir la confiance

Là où certains changent facilement de poste, ou osent entreprendre, même en temps de crise, d’autres sont plus prudents. Et vous ? Qu’est-ce qui vous fait le plus peur ? Que pourrait-il se passer si les choses se gâtaient ? Il est intéressant d’interroger votre rapport au risque car notre histoire, notre personnalité ou encore notre confiance en nous nous permettent de plus ou moins bien faire face à l’incertitude.

Plutôt que de se battre à tout prix pour sortir du flou, il peut être intéressant de développer sa tolérance à l’incertitude. « Dans notre métier d’accompagnement, on aide les gens à prendre conscience que l’incertitude fait partie de la vie », explique Anaïs Georgelin. Confiance et optimisme peuvent être des ressources à développer pour faire face au manque de prévisibilité et prendre conscience qu’on saura, quoi qu’il en soit, rebondir. Pour le philosophe Charles Pépin, nous faire davantage confiance est le secret pour naviguer en eaux troubles. « Se faire confiance, c’est se savoir capable d’accueillir l’aléa, non s’illusionner en se persuadant que la vie est prévisible », explique-t-il dans son livre La Confiance en soi. Gagner en confiance pour le philosophe, c’est aussi s’ouvrir à l’acceptation de l’incertitude !

3. Se fixer des objectifs

« Dans l’incertitude, il est bon de se donner un phare » explique Anaïs Georgelin. Ce n’est pas parce que l’on ne peut pas tout anticiper qu’il ne faut rien prévoir ! « L’homme a besoin d’objectifs pour sentir qu’il avance dans sa vie. Dans ces moments-là, on peut se concentrer sur de plus petits objectifs, des objectifs personnels par exemple », ajoute-t-elle. Pourquoi ne pas profiter du flou pour avancer sur des sujets de fond, vous former, clôturer un projet qui traîne, documenter votre travail, repenser votre organisation ou encore mettre vos dossiers au carré ? Ces projets qui vous parlent peuvent vous redonner une direction et vous maintenir dans un mouvement, en accord avec vos valeurs, vos aspirations. Pour Anaïs Georgelin, redéfinir ses objectifs, qu’ils soient professionnels ou personnels, peut venir redonner du sens au quotidien.

« L’homme a besoin d’objectifs pour sentir qu’il avance dans sa vie. Dans ces moments-là, on peut se concentrer sur de plus petits objectifs, des objectifs personnels par exemple. » - Anaïs Georgelin

4. Ce qui dépend de nous, ce qui n’en dépend pas : lâcher-prise

Enfin, le meilleur moyen de rester à flots face à l’incertitude est de faire la distinction entre ce qui dépend de nous et ce qui n’en dépend pas, afin d’agir là où c’est possible et d’accepter notre impuissance face au reste. Anaïs le rappelle : « Il y a une dimension d’acceptation face à l’incertitude, c’est la base du Stoïcisme : sur quoi ai-je le pouvoir d’agir et sur quoi ne puis-je rien ? » Par exemple, dans notre situation de crise actuelle, il s’agit de faire le point sur nos idées, nos envies et de lancer les actions que nous pouvons mener pour avancer malgré tout, sans se prendre la tête sur tout ce qui n’est pas de notre ressort : l’évolution du virus, la situation économique du pays, les futures décisions de notre employeur, les réactions des personnes qui nous entourent…. En deux mots, lâchez prise !

« Il y a une dimension d’acceptation face à l’incertitude, c’est la base du Stoïcisme : sur quoi ai-je le pouvoir d’agir et sur quoi ne puis-je rien ? » - Anaïs Georgelin

Revenir sur ce que vous pouvez contrôler peut vous permettre de rester dans une dynamique positive, comme l’explique l’entrepreneur : « Vous n’avez pas la maîtrise de savoir si votre boîte va prolonger ou non le chômage partiel, cependant, vous pouvez choisir ce que vous souhaiteriez faire de ce temps s’il s’imposait à vous. » À chacun sa technique comme le rappelle Anaïs Georgelin : respirer, faire du sport, méditer… Autant d’activités qui ramènent au moment présent !

Toutes les incertitudes que nous vivons dans le monde du travail nous mettent dans une position inconfortable de tiraillement. Notre aspiration naturelle à la stabilité et à la sécurité semble entrer en contradiction permanente avec le marché du travail mouvant, qui exige des individus toujours plus de souplesse et d’adaptabilité. L’incertitude nous force à lâcher nos habitudes, mais n’est-ce pas aussi l’occasion de nous réinventer, de déployer notre créativité ? Vouloir contrôler tous les paramètres avant de passer à l’action est impossible, il demeurera toujours une certaine part d’incertitude dans tout ce qu’on entreprend qui nous contraindra à nous adapter, quoi qu’il en soit… L’agilité, le secret de notre tenue dans la durée ?

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