Crise du recrutement : et si vos salariés boomerang était la solution !

14 mars 2023

7min

Crise du recrutement : et si vos salariés boomerang était la solution !
auteur.e
Marlène Moreira

Journaliste indépendante.

contributeur.e.s

Les petits fours de leur pot de départ sont à peine froids qu’ils sont déjà de retour : les salariés boomerang. Ces talents qui quittent leur entreprise pour mieux y revenir après quelques semaines ou années sont de plus en plus nombreux. Un phénomène particulièrement intéressant en contexte de Grande Démission.

Suite à la pandémie, les démissions ont plu dans les bureaux des RH. D’après la dernière étude de la plateforme de gestion RH UKG, 6 collaborateurs français sur 10 regretteraient leur choix aujourd’hui. L’herbe n’était finalement pas si verte ailleurs ? On dirait bien. À travers le monde, près d’un démissionnaire sur cinq aurait déjà réintégré son poste initial. Et à bien y réfléchir, n’avez-vous effectivement pas tout intérêt à réintégrer ces collaborateurs qui s’en vont pour mieux revenir ? Comment alors leur indiquer que la porte est grande ouverte, et comment la franchir ?

Ca s’en va : des démissions trop souvent perçues comme des trahisons…

À l’idée de voir revenir d’anciens collaborateurs, certains managers grincent des dents. D’après l’étude d’UKG, 65 % des démissionnaires se disent prêts à retourner travailler pour leur ancien employeur, mais seul un manager sur deux se dit ouvert à l’idée de réembaucher un ancien collaborateur. Une question d’ego ? Une exception culturelle française ? Peut-être un peu des deux.
« Dans toute relation professionnelle, il y a, de temps en temps, des besoins d’oxygène. La question, c’est comment l’organiser au bénéfice des deux », commence Bénédicte Tilloy, DRH, autrice et experte du Lab.

Or, traditionnellement, les Français voient le travail comme une relation à long terme. « Je pense que si c’est compliqué, c’est que la démission est parfois vécue comme une trahison, comme s’il y avait une sorte d’infidélité. En France, il y a sans doute plus d’affects entre les managers et les collaborateurs qu’ailleurs », analyse-t-elle. Mais ce n’est pas tout, certains managers vivraient peut-être - à tort, sans doute - le départ d’un collaborateur comme un échec personnel : « Et pourtant, on ne peut pas reprocher à un collaborateur performant d’être curieux et de prendre en main sa carrière. Il faut que cet état d’esprit change et ne pas prendre ce type d’événement de façon trop personnelle », complète Céline Méchain, DRH et experte du Lab.

Les démissions de la pandémie auraient été particulièrement difficiles et mal vécues par les managers. D’après l’étude UKG, ils auraient été pris au dépourvu… et sans doute à raison : 25 % des démissionnaires de la pandémie admettent n’avoir jamais exprimé leur mécontentement avec leur supérieur avant de donner leur préavis. Manque de communication ou manque de confiance ? 75 % des managers disent avoir essayé de retenir un membre de leur équipe sur le départ et 91 % estiment avoir créé un environnement propice à la discussion. Mais côté collaborateurs, seuls 48 % se sont senti retenus et 64 % estiment qu’ils pouvaient parler des vraies raisons de leur départ à leur manager. Et si elle était finalement là, la clé du problème ?

Il est sans l’ombre d’un doute plus difficile de renouer des liens de confiance quand une relation s’est achevée dans l’incompréhension mutuelle. Si retour du collaborateur il y a, la nouvelle relation se doit de reposer sur la confiance et un dialogue régulier qui limitera ces malentendus. « Ce qui est important, c’est d’avoir des feedbacks réguliers. Il ne faut pas laisser d’éléphants dans la pièce. Tous ces non-dits détruisent une relation de travail et, par conséquent, compliquent un retour », observe Bénédicte Tilloy.

Et ça revient : …qui ont pourtant bien des avantages à offrir

Un process de recrutement facilité

Dans un contexte de recrutement tendu, un salarié de retour au bercail est un atout indéniable pour l’organisation et son ex-équipe. « Nous avons réonboardé plusieurs collaborateurs ainsi, et nous n’avons jamais eu de mauvaises surprises, bien au contraire », confie Céline Méchain. Car pour l’entreprise, c’est un recrutement (presque) réussi d’avance, avec un salarié rapidement opérationnel. « Le risque de voir le collaborateur partir à nouveau pendant sa période d’essai est quasi-nul par rapport à un recrutement classique. Car lui, il sait dans quoi il s’embarque », analyse-t-elle.

Un collaborateur transformé et motivé

Un constat partagé par Baptiste, salarié boomerang dans le secteur de l’assurance : « Je suis revenu dans mon ancienne équipe après 3 ans et 2 postes. Avoir vécu d’autres expériences m’a permis de mieux comprendre ce qui m’allait. Et non seulement, je revenais en sachant où je mettais les pieds, mais je revenais surtout avec plein de nouvelles compétences à valoriser et mettre à profit », s’enthousiasme-t-il. La manager de Baptiste, Hélène, confirme les bénéfices du retour de celui qu’elle a formé à sa sortie d’études. « Non seulement on partait déjà sur une relation de confiance, mais ses nouvelles expériences l’ont en plus enrichi de nouvelles compétences qui étaient clé pour l’équipe. Des appréhensions ? Je n’en ai eu aucune. Je savais que cette collaboration se passerait bien et que je pourrai compter sur lui, tout de suite », explique-t-elle.

L’expression d’une culture d’entreprise bienveillante

Enfin, et on l’oublie souvent, voir revenir un collaborateur ou une collaboratrice est aussi un excellent levier de communication auprès des candidats et des salariés en interne. « À l’époque, nous avions mis en avant les parcours de ces salariés boomerang sur notre blog. Cela montre que ce que propose l’entreprise est toujours attractif », ajoute Céline Méchain. Avec les salariés boomerangs, le message est clair : oui, l’herbe est toujours verte ici.

Attirer vos anciens collaborateurs avec tact : conseils pratiques

Pour s’offrir l’opportunité de voir un salarié prendre la trajectoire d’un boomerang, plutôt que de s’envoler pour toujours, il s’agit de préparer son retour dès son départ, et de ne jamais perdre le contact.

Avant : creusez les raisons du départ

S’assurer que le retour du collaborateur se fait dans de bonnes conditions et pour les bonnes raisons nécessite d’avoir étudié les raisons de son départ en amont. « C’est crucial de creuser les raisons du départ, et de les documenter. Et j’insiste sur le pluriel, car il y a souvent une raison principale… et plein de raisons annexes ! C’est ce qui permettra de s’assurer, lorsqu’on envisage le retour, que les conditions sont cette fois réunies pour une collaboration à moyen ou long terme », explique Céline Méchain.
Par ailleurs, elle rappelle l’importance - quand la collaboration était fructueuse - de rappeler au collaborateurs sur le départ que la porte reste ouverte. « Ils sont souvent touchés, et ils auront moins de difficultés à franchir le pas s’ils souhaitent revenir après quelques semaines ou quelques mois », observe-t-elle. Car oui, pour un talent aussi, c’est parfois difficile de faire machine arrière.

Pendant : conservez de bonnes relations

Rares sont les retours liés à un collaborateur qui serait tombé, par hasard, sur une offre d’emploi proposée par son ancienne entreprise. De manière générale, les salariés boomerang font leur grand retour quand ils ont su garder un lien régulier avec leur ancienne équipe. « Les salariés qui partent en bon terme restent généralement en contact avec d’anciens collègues, parfois avec leur manager. C’est souvent de manière informelle que s’envisage un retour », constate Céline Méchain.
Et c’est bien ce qu’il s’est produit pour Baptiste et Hélène. « Nous avions pris l’habitude de déjeuner ensemble tous les ans. Cela s’est donc fait de façon très naturelle : j’étais à l’écoute d’une nouvelle opportunité et elle avait justement un besoin », explique Baptiste. Quand les planètes s’alignent, il serait dommage de lutter.

Après : gardez la porte (et l’esprit) ouverts

Encore aujourd’hui, Céline Méchain constate qu’à l’ouverture d’un nouveau poste, rares sont les recruteurs ou les RH à envisager de contacter d’anciens talents. « C’est pourtant un bon réflexe à prendre, car on peut avoir de bonnes surprises », ajoute-t-elle. Quand c’est le cas, il s’agit ensuite d’adapter le processus de recrutement.
« On ne va pas avoir à poser toutes les questions que l’on pose à un nouveau candidat, ou faire passer des tests techniques. En revanche, les entretiens vont permettre à la fois au recruteur d’expliquer les changements qui ont eu lieu depuis le départ du collaborateur, et aussi s’assurer que les raisons qui l’ont fait partir en premier lieu ne sont plus d’actualité », rappelle la DRH. Car les entreprises en croissance peuvent s’être transformées en profondeur pendant les mois ou les années d’absence d’un collaborateur ou d’une collaboratrice. Nouvelles modalités d’organisation entre les équipes, nouveaux outils ou process, nouveaux projets d’envergure… il faut éviter aux ex-collaborateurs les mauvaises surprises et leur permettre de se projeter.

Le ré-onboarding : on en parle ?

Ce ré-onboarding qui commence après des semaines, des mois ou des années d’absence doit pouvoir s’ajuster. Et ce, autant d’un point de vue « administratif » que dans la nouvelle relation à construire. Pour Céline Méchain, il faut commencer par adapter l’onboarding classique afin de répondre aux besoins spécifiques de ces collaborateurs boomerang. « Cela demande un peu de temps et de travail, mais cela en vaut la peine », explique-t-elle. L’objectif ? Éviter de frustrer la personne en la mettant au même niveau qu’un « vrai » nouvel arrivant, en lui faisant passer des formations inutiles ou lire de la documentation sans valeur ajoutée pour elle.
Quid de la période d’essai ? Peut-on s’en passer ? « À mon sens, il est de bon ton d’en avoir une. Elle est utile pour l’entreprise comme pour le collaborateur, et on n’est pas à l’abri d’un problème que l’on n’aurait pas anticipé », partage Céline Méchain. En revanche, comme pour un collaborateur lambda, celle-ci ne devrait être renouvelée que si le salarié boomerang n’a effectivement pas pu montrer ses performances pendant ce premier temps de test. Par ailleurs, la DRH recommande d’avoir le réflexe de convier le collaborateur boomerang aux événements festifs, avant même son retour officiel. « Afterworks, conférences, déjeuners… c’est une bonne manière pour le ou la collaboratrice de reprendre contact avec son ancienne équipe », rappelle-t-elle.

Une fois en poste, il s’agit - et c’est le plus important - de construire une nouvelle relation… sur de nouvelles bases. « Car il ne faut pas oublier que pendant l’absence d’un collaborateur, l’histoire à continué sans lui », explique Hélène, manager de Baptiste. Nouvelles méthodes de travail, nouveaux enjeux personnels, nouvelle équipe… c’est tout une relation de travail qui doit être réinventée. « Mais l’avantage, c’est que l’on a déjà une idée de nos modes de fonctionnement respectifs. C’est donc une nouvelle relation, avec des nutriments supplémentaires, mais pour laquelle le capital confiance est déjà là », ajoute-t-elle.
Un constat que partage Baptiste : « Avec quelques années d’expériences supplémentaires au compteur, les rapports évoluent forcément. Chacun a gagné en maturité, et par conséquent, la relation aussi. »

Oui, voir partir vos poulains pour les retrouver grandis plus tard, c’est possible. Et c’est même une opportunité appréciable pour votre entreprise et pour votre équipe. Pour se faire, il s’agit non seulement de laisser son ego de côté, de garder une porte entrouverte à son intention, mais surtout d’avoir ouvert le dialogue en amont. Car comme souvent, tout n’est finalement qu’une histoire de communication.

Article édité par Mélissa Darré, photo : Thomas Decamps pour WTTJ