Le futur du recrutement sera T-shaped ou ne sera pas
19 nov. 2025
6min
Marketing & Content pour startups B2B / Animatrice @ La Fresque du Climat et @ La Fresque du Numérique / Facilitatrice @ Conversations Carbone
Longtemps parent pauvre du digital, les ressources humaines, et plus encore le recrutement, n’ont plus le choix que de se renouveler, sous peine de faire fuir les meilleurs talents.
C’est le constat qu’ont posé Élise Moron et Léo Bernard, fondateurs de la société de conseil et de formation en recrutement Blendy et auteurs du livre Permis de recruter ainsi que de son extension T-shaped qui vient de sortir.
À contre-courant des approches classiques du secteur, les deux experts ont décidé de secouer les certitudes d’un métier souvent perçu comme un simple “process RH”. Leur mission ? Rendre le recrutement aussi stratégique, technique et inspirant que le marketing ou la vente.
« On est partis d’un constat très simple : le recrutement est encore trop souvent perçu comme un métier d’exécutant, une première marche avant d’évoluer vers les RH », explique Élise Moron. « Or, c’est tout l’inverse : un métier clé, ultra-spécifique et fondamentalement stratégique pour le business. »
« Notre but, c’est que les recruteurs deviennent des acteurs de la transformation », poursuit Léo Bernard. « Quand les bonnes personnes sont à la bonne place, au bon moment, c’est ce qui fait décoller une boîte. »
T-Shaped recruteur : un recruteur augmenté
Au cœur de leur approche, un concept : le T-Shaped recruteur. Popularisé à l’origine par la société de conseil McKinsey dans les années 1980, le “T-Shaped” désigne un profil à la fois expert dans son domaine (la barre verticale du T) et ouvert à d’autres compétences (la barre horizontale). Adapté au recrutement, ce concept fait référence à des recruteurs formés aux techniques et stratégies propres aux différents métiers de l’entreprise : marketing (voire neuro-marketing), produit, design, juridique, …
« Le T-Shaped recruteur maîtrise les compétences classiques de son métier : le sourcing de candidats, l’entretien, l’évaluation, l’expérience candidat, … Mais il va aussi emprunter le meilleur d’autres métiers », détaille Élise Moron. « Du sales, il prend les techniques de closing et de négociation. Du marketing, il emprunte le copywriting, les campagnes de nurturing et la logique d’expérience clients. Du produit, il apprend à penser son site carrière avec un parcours sans friction pour convertir les candidats. C’est un mix entre psychologie, data et business entre autres »
Résultat : un profil hybride, complet, et surtout efficace, détaillé dans la récente extension de leur livre. « C’est comme un recruteur augmenté, qui va s’intéresser aux méthodes et aux outils d’autres métiers et les appliquer pour gagner en efficacité », résume Léo Bernard.
Candidats et clients, même combat
Chez Blendy, une conviction revient sans cesse : les candidats doivent être considérés comme des clients. Cette approche transforme radicalement la posture du T-shaped recruteur, qui applique au recrutement les approches du marketing ou du produit : comprendre ses utilisateurs, tester, améliorer, itérer.
« Quand on considère ses candidats comme des clients, tout change », explique Léo Bernard. « On développe de l’empathie, on pratique l’écoute active, on s’intéresse vraiment à leurs besoins, à leurs motivations, à leurs irritants. Et surtout, on cherche à leur offrir une expérience cohérente, fluide et mémorable. »
Pour ce faire, Élise Moron suggère de transposer la recherche utilisateur au recrutement : « Pour appliquer les pratiques de user research aux candidats, le recruteur doit observer leurs comportements, interroger leurs attentes, identifier les moments de friction dans le parcours, pour ensuite améliorer son approche. C’est exactement la même logique qu’un product designer ou qu’un marketeur orienté expérience. »
En pratique, Léo propose une approche testée et approuvée à la fois interne et externe. En interne, cela consiste à demander aux équipes en poste d’évaluer l’intérêt d’une annonce. En externe, cela implique de parler à de vraies personnes pour comprendre leur métier avant de lancer un recrutement. Une étape qui peut être accélérée grâce à l’IA mais où la compréhension humaine doit rester le socle.
Pour les deux experts, cette approche “candidat = client” n’est pas un gadget RH, mais un levier business puissant. « Un candidat bien traité, même s’il n’est pas retenu, devient un ambassadeur de la marque employeur », insiste Léo Bernard. « Inversement, un candidat mal accompagné, c’est une réputation écornée qui se propage à la vitesse d’un post sur LinkedIn. L’expérience candidat, c’est du marketing pur. »
La data, boussole des recruteurs
S’il y a un combat qu’Élise mène avec ferveur, c’est celui de la data. Pour elle, c’est la plus grande erreur des recruteurs aujourd’hui : ne pas piloter leurs décisions avec des chiffres.
« Le recrutement, ce n’est pas que de l’humain. C’est aussi de la donnée », tranche-t-elle. « Un commercial ne dira jamais ‘je n’ai pas closé parce que c’est de l’humain’. Il regardera ses chiffres, ses taux de conversion, son CRM, pour chercher à renverser la situation. Les recruteurs doivent faire pareil. »
Le T-shaped recruteur est intrinsèquement data-centric. Et ce n’est pas tout de récolter la data, il faut ensuite tester sa fiabilité, la challenger, l’analyser et mettre en place des actions correctrices. Tout comme un processus de sales data-driven, le processus de recrutement doit être examiné à l’aune d’indicateurs simples mais puissants comme :
- le Hiring Velocity (la capacité à recruter dans les temps pour répondre aux besoins business),
- le TAC (temps d’attente candidat, pour éviter les silences de 5 jours qui font dropper les talents),
- et le C-NPS, ou Candidate Net Promoter Score, pour mesurer la satisfaction des candidats tout au long du processus.
« Le recrutement, c’est de la psychologie… mais aussi des chiffres. Sinon, ce n’est qu’une opinion. », résume Élise. « L’humain et la data ne s’opposent pas. L’un donne du sens, l’autre apporte des preuves. »
Recruter comme un pirate
Comment faire plus avec des budgets de recrutement à la baisse ? Au cœur de l’approche de Léo et Élise, se loge l’efficience, ou l’art de faire plus avec moins. « On s’inspire du Growth Hacking : comment être malin, créatif, et productif, même quand les budgets fondent », déclare Léo Bernard. Il en est persuadé : il n’y a pas besoin d’un budget important pour recruter, mais juste d’idées.
Cette approche a même un nom chez eux : la “piraterie du recrutement”. « Être pirate, ce n’est pas tricher, c’est être rusé », explique-t-il. « C’est trouver des solutions intelligentes et rapides, avec peu de moyens. Se concentre sur les tâches les plus utiles, qui nécessitent 20% d’effort pour 80% de résultat selon le principe de Pareto. »
Élise Moron ajoute : « La piraterie du recrutement, c’est aussi un clin d’œil au concept de growth hacking : en anglais, on ‘hack’ la croissance, nous, on pirate le recrutement. »
L’IA : coach, prof ou copilote ?
Dans un monde où les IA génératives s’imposent dans tous les métiers, quelle approche adopter dans le recrutement ? Pour Léo Bernard, les recruteurs se trompent souvent sur l’impact de l’IA : « D’un côté, ils la sous-estiment, alors que leur métier, très structuré par les process, sera forcément transformé. Et en même temps, ils la surestiment, en s’imaginant que l’IA va tout faire à leur place. Spoiler : une IA qu’on laisse tourner en roue libre, c’est surtout… inefficace et sans valeur. » Le vrai défi, c’est donc de trouver l’équilibre entre confiance et maîtrise. L’IA comme alliée, et non en pilote automatique.
Car l’IA est un outil puissant pour automatiser les tâches chronophages à faible valeur ajoutée, ce qui permet aux recruteurs de se concentrer sur le lien avec les talents. Il serait dommage de s’en priver. Mais pour l’utiliser intelligemment, les recruteurs doivent apprendre les bonnes pratiques « à la main » avant d’ajouter l’IA, afin d’éviter de scaler des pratiques inefficaces.
Parmi les trois rôles que l’IA peut jouer, professeur, coach ou créateur ex nihilo, les fondateurs de Blendy privilégient une approche pragmatique : l’IA au service de l’humain. « On utilise l’IA comme un coach, et non comme un pilote automatique », explique Léo Bernard. « On ne demande pas à l’IA de tout faire à notre place », complète Élise Moron. « On préfère lui dire : Voici la fiche de poste que j’ai créée, viens me challenger. »
Les prochains défis du recrutement : transparence et leadership
Si l’IA continue de transformer le métier, le grand défi à venir, selon eux, n’est pas technologique, mais réglementaire. « La directive européenne sur la transparence salariale, c’est une bombe à retardement », prévient Léo Bernard. « Les entreprises pensent qu’elles ont le temps, mais juin 2026, c’est demain. Et ça va tout changer : plus de questions sur le salaire actuel, obligation d’annoncer les fourchettes de salaire, … ça va forcer une vraie maturité dans le recrutement. »
Pour Élise Moron, un deuxième enjeu majeur s’impose: la conduite du changement.
« Le recruteur doit devenir un leader du changement, capable d’embarquer les managers, d’évangéliser les bonnes pratiques et de rendre le recrutement stratégique », explique-t-elle. « C’est une compétence à part entière, qui demande une posture, de l’assertivité et du courage. »
Finalement, si le recrutement est au service du business, Léo et Élise militent pour redonner ses lettres de noblesse à une fonction stratégique, à la croisée de la psychologie, de la data, du business et du bon sens. « Le recruteur est le videur du monde du travail », résume Léo Bernard. « C’est lui qui décide qui rentre et qui ne rentre pas. Dans les périodes de grands changements, ce sont les recruteurs qui façonnent la culture des entreprises. »
« C’est le premier videur, pas le seul. Le manager a toujours le dernier mot. Nous, on fait le premier filtre », complète Élise.
À retenir :
Le T-Shaped recruteur, c’est celui qui sait évaluer un candidat, séduire comme un marketeur, closer comme un commercial et s’appuyer sur la data comme un analyste. Un profil rare aujourd’hui, qui peine à s’imposer comme une norme et reste pour le moment un avantage compétitif en raison de l’inertie dans le changement.
Article rédigé par Claire-Emilie Lecocq et édité par Wendy Carré, photo par Thomas Decamps.
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