Trouver un contrat en alternance : pourquoi est-ce si difficile ?

07 oct. 2020

7min

Trouver un contrat en alternance : pourquoi est-ce si difficile ?
auteur.e
Sherina Berreby

Journaliste

Sur les réseaux sociaux, il pleut des SOS d’étudiants en détresse. “Alternance non trouvée” peut-on lire dans ces bouteilles à la mer de jeunes désillusionnés, en mal de contrat validant leur entrée en formation. Déjà qu’en temps normal, trouver une entreprise d’accueil n’est pas chose facile, l’année 2020 en a fini de malmener le futur alternant, sur fond de crise sanitaire et économique. On a tenté de comprendre pourquoi décrocher son contrat en apprentissage relève presque de l’ascension de l’Everest. Mise en lumière et pistes pour sortir de l’impasse.

L’apprentissage, un type de contrat séduisant

Il fait rêver l’étudiant, ce contrat de professionnalisation qui offre un pied dans la vie active, tout en gardant sa vie estudiantine. Nombreux sont les facteurs d’attractivité, avec en tête : la rémunération à la clé, l’insertion professionnelle facilitée, l’expérience concrète ou encore la prise en charge des frais de scolarité. Le dispositif jouit d’une excellente perception, puisque 90% des apprentis et des entreprises ont une bonne, voire très bonne, image de l’apprentissage. En 2019, le nombre d’apprentis a atteint les 491 000, soit une augmentation de 16% en un an. Et 2020 aurait dû se poursuivre sur la même lancée si la crise du coronavirus n’était pas passée par là. Baisses budgétaires, secteurs en crise, faillites… Décrocher le précieux contrat devient de plus en plus ardu.

Décrocher son alternance : un parcours du combattant

Tout candidat aguerri le dira, trouver une alternance n’est pas un long fleuve tranquille, et en cette année plus qu’en n’importe quelle autre. Largement en tête des freins à l’apprentissage chez les jeunes : la difficulté à trouver une entreprise. Si le contrat d’alternance suscite un fort engouement du côté des étudiants, près de 20% d’entre eux estiment que les offres sont insuffisantes d’après une étude d’OPCO Atlas en 2020. Un avis que partage Aurélien Cardou, président de l’Association nationale des apprentis de France (ANAF), accusant un fort déséquilibre entre l’offre et la demande. Malheureusement pour les étudiants, c’est une réalité sur laquelle ils ont peu d’emprise.

Autre frein pour obtenir le fameux contrat : un manque cruel de préparation et d’accompagnement des candidats. D’après un sondage AlternJob réalisé auprès de 247 jeunes en septembre 2020, un candidat sur deux n’est pas accompagné dans sa recherche d’entreprise, et plus de la moitié des sondés peinent à réaliser leur candidature. Une communication complexe que déplorent 27% des étudiants, expliquant connaître des difficultés pour contacter les employeurs. Une situation qui met en relief l’absence d’encadrement des futurs alternants par leur école ou CFA (Centre de Formation des Apprentis).

Pour Patricia Noguès, Chef de projet développement RH spécialisée dans le recrutement de stagiaires et d’alternants chez Canal +, l’école aurait un grand rôle à jouer dans le placement de ses élèves en entreprise. « Dès qu’ils passent leur concours, l’école devrait donner des guidelines aux élèves pour qu’ils sachent comment décrocher leur alternance. » L’experte insiste sur l’importance du rôle d’accompagnateur des écoles dans l’insertion de l’étudiant : « Selon moi, elles devraient systématiquement faire suivre les offres d’alternance, expliquer aux jeunes comment faire leur CV, élaborer leur profil LinkedIn, apprendre à faire leurs recherches sur sites, les inciter à participer à des webinars… en bref, leur expliquer comment utiliser correctement les outils dont ils disposent. »

« Dès qu’ils passent leur concours, l’école devrait donner des guidelines aux élèves pour qu’ils sachent comment décrocher leur alternance », Patricia Noguès, spécialiste dans le recrutement de stagiaires et d’alternants.

De votre côté, soyez proactif. Si l’on vous délaisse, allez chercher de l’aide. N’hésitez pas à demander à votre école ou à vos profs un coup de pouce, ces derniers ayant accès à des offres que vous ne verrez pas forcément passer tout seul. L’experte en recrutement de jeunes souligne ce rôle-clé du réseau pour vous faire une place en entreprise. En pratique, vous pourrez aussi demander pistons et partages à votre réseau professionnel sur LinkedIn s’il est assez conséquent. Si vous connaissez d’anciens alternants, n’hésitez pas non plus à solliciter le contact de leurs tuteurs, ou même à vous faire accompagner par un mentor pour une candidature de qualité.

Des entreprises réticentes

Certaines entreprises se montrent frileuses quant aux recrutements d’apprentis. Et pour cause : près de la moitié d’entre elles estiment que le retour sur investissements de l’apprentissage reste trop incertain. Une alternance c’est « beaucoup d’implication de la part de l’entreprise pour former le jeune qui ira ailleurs rapidement », raconte un patron interrogé dans l’enquête OPCO d’Atlas. Le futur alternant ne doit donc pas hésiter à mettre en avant son désir d’implication sur le long terme pour rassurer son employeur.

Pour Adrien Ducluzeau, fondateur de La Relève, un cabinet de recrutement spécialisé dans l’accompagnement des stagiaires, alternants et jeunes diplômés, l’accès à l’alternance est également compromis par la crise majeure que traversent les entreprises : « En moyenne on fait une centaine, voire cent cinquante recrutements d’alternants par an, cette année on en a fait vingt-cinq ! » De plus, le recours à l’apprentissage est également freiné par une certaine complexité administrative. Afin de surmonter ces obstacles, les entreprises mettent en avant l’importance d’une aide au recrutement et de la simplification des démarches administratives afin de développer le recours au contrat en apprentissage.

Quand le stage fait de l’ombre à l’alternance

S’il fait grimacer l’étudiant en recherche d’alternance, le stage semble avoir (presque) toutes les qualités aux yeux du recruteur. Peu engageant, peu coûteux pour l’entreprise, il offre également la possibilité de jouir d’un stagiaire à temps plein, quand l’alternance contraint à de fréquentes interruptions, des dépenses importantes et une paperasse donnant quelques sueurs. « Prendre un stagiaire permet de ne pas financer l’école, et ce coût représente au moins 8000 euros pour l’année, ce qui est quand même un budget », explique Patricia Noguès. L’inconvénient du stage sera pourtant une présence moins longue en entreprise, ne permettant pas une formation en alternance et évolution dans la durée. Pour autant, l’éphémérité du contrat de stage ne semble pas décourager les entreprises. Alors que les offres de stage fleurissent de toute part, les opportunités d’alternance semblent se faire plus rares que jamais : « Les offres de stage, il y en un peu tout au long de l’année, à la différence de l’alternance qui connaît la plupart du temps un démarrage à la rentrée », rappelle Patricia Noguès.

Aussi, si rien n’y fait et qu’on vous claque la porte à chaque demande, envisager la formule du stage pourrait être un moyen alternatif de rentrer dans le monde professionnel et de vous former. En effet, d’après la RH, les missions sont souvent identiques à un même niveau d’études. Toutefois, si renoncer à l’alternance au profit du stage n’est pas envisageable pour vous, il est important de repérer les secteurs les plus aptes à recruter un alternant, et ceux qui n’en n’ont pas les moyens.

Des secteurs qui font grise mine

D’après une évaluation de l’Observatoire français des conjonctures économiques (OFCE) publiée le 5 juin 2020, la France fait partie des pays les plus touchés économiquement par la crise sanitaire. Pour le dirigeant de La Relève, déstabilisés par des difficultés économiques, PME et start-up sont plus réticentes à l’idée de signer de nouveaux contrats : « Un contrat en alternance ça ne s’arrête pas comme ça. Une fois qu’une alternance est signée, l’entreprise est engagée pour un an. Et au vu de la situation qu’on est en train de vivre, très peu de boîtes ont de la visibilité, d’où la tendance à préférer recruter des stagiaires, sachant qu’on peut mettre fin à leurs contrats beaucoup plus rapidement. »

On ne s’alarme pas pour autant et on mise sur les bonnes solutions pour sortir la tête de l’eau. Si des secteurs tels que le tourisme, l’aéronautique ou la restauration souffrent tout particulièrement de la crise et connaissent une baisse au niveau des offres d’emploi en alternance, d’autres s’en sortent mieux. On citera par exemple la grande distribution, l’énergie ou encore le digital. De plus, si les PME tendent à pâtir plus fortement de la crise, les grands groupes comme la SNCF, La Poste ou encore BNP Paribas ne cachent pas leur intention de recruter massivement des alternants. Aussi, faites votre petite analyse du marché au préalable pour savoir après quel lièvre courir.

La technique de l’entonnoir pour augmenter ses chances

Si repérer les entreprises les plus à même de recruter des alternants est judicieux, il ne faut pas hésiter à ratisser large. Pour multiplier ses chances de signer le contrat tant convoité, Adrien Ducluzeau conseille de s’y prendre le plus tôt possible et surtout de mettre en place la méthode de l’entonnoir : « Dans un premier temps, je vais postuler pour le poste souhaité dans l’entreprise souhaitée idéale. Par exemple, un poste dans le marketing digital au sein d’une entreprise dans le luxe, spécialisée dans les vêtements. Donc je vais d’abord aller vers LVMH, Hermès et Chanel, en gardant en tête qu’il en existe plein d’autres qu’on ne connaît pas forcément parce que ce sont des PME ou des plus petites entreprises qui viennent de se lancer. Surtout, il ne faut pas s’arrêter là et tester ! » Pour le spécialiste du recrutement, partir avec une idée précise est une bonne chose, à condition de savoir la diluer en fonction des possibilités.

Rester ouvert doit être votre credo. « Pour reprendre l’exemple du luxe, ce n’est pas uniquement LVMH, Hermès ou Chanel, il y a beaucoup plus ! Pensez à l’immobilier de luxe, l’automobile de luxe, les yachts : plein de domaines où l’on peut aller retrouver la même clientèle », souligne le fondateur de La Relève. Prudence donc à ne pas sortir d’école avec pour seule obsession l’envie de sertir votre CV d’un grand nom. « L’intérêt c’est de se faire former et d’avoir un mentor, et ça, ça peut être fait dans n’importe quelle entreprise. Aller dans une entreprise dont le secteur ne vous intéresse pas forcément au début peut être très bien. Vous pourrez y apprendre de nombreuses choses ou avoir peut-être une possibilité de CDI à terme : c’est beaucoup plus gratifiant que d’être juste dans une grande boîte parce que ça fait bien », souligne le spécialiste. L’idée étant de ne se fermer aucune porte, camper sur une idée fixe ne sera que délétère, tout particulièrement dans un climat économique défavorable. Et enfin d’ajouter : « Si l’on voit que c’est compliqué de décrocher l’alternance de ses rêves, on ajuste et on trouve des solutions en faisant des compromis, comme dans n’importe quelle autre situation de la vie… ! »