Spécialisé vs généraliste : quel profil est le plus valorisé ?

10 mars 2020

5min

Spécialisé vs généraliste : quel profil est le plus valorisé ?
auteur.e
Danaë Renard

Journaliste web

Loupe ou longue-vue ? Un profil spécialisé a la capacité d’isoler, d’approfondir une connaissance ou de travailler sur une technique très pointue. A contrario, le généraliste possède une vision d’ensemble, du recul et mobilise plusieurs compétences sur différents sujets. Vous souvenez-vous d’Averroès ? Ce savant du XIIème siècle maîtrisait la médecine, la philosophie, la loi et la théologie. Rien que ça ! Quatre siècles plus tard, l’artiste-peintre italien Léonard de Vinci était présenté ainsi : ingénieur, scientifique, botaniste, anatomiste, architecte, sculpteur, musicien, écrivain, philosophe, poète… Un cumul de casquettes quasiment impensable aujourd’hui. Notre société techniciste a-t-elle mis fin à l’existence du savant au profit de l’expert ? Certes, la somme des savoirs actuels ne peut souffrir la comparaison avec le XVIème siècle et évidemment, la technologie nécessite des connaissances pointues. Mais faut-il forcément se spécialiser ? Le marché du travail actuel valorise-t-il les profils plutôt généralistes ?

Se spécialiser, fausse bonne idée ?

Des profils très recherchés sur le marché de l’emploi…

Être très bon, voire expert dans une discipline parce qu’on l’a étudiée longtemps (ou parce qu’on a multiplié les expériences ou parce qu’on est naturellement doué) a de nombreux avantages… Pour Raphaële Romon, ancienne salariée d’un cabinet de recrutement et désormais formatrice en ressources humaines et coach de carrière, « être spécialisé et reconnu pour son expertise permet de trouver plus facilement un poste. Par exemple, un acheteur pourra plus facilement décrocher un emploi en s’en tenant à un secteur spécifique ». Dans l’imaginaire collectif, la constance et l’harmonie d’un parcours professionnel peuvent refléter un caractère persévérant et stable. Un atout dans le monde du travail ! Et la spécialisation a un autre avantage pour les recruteurs : ils peuvent compter sur une forme d’excellence dans la maîtrise du candidat sur un domaine précis, voire une niche. Par exemple en traduction, il est plutôt bienvenu de se concentrer sur un secteur (médical, juridique, cinéma…) ou une langue (plus est le rare, plus vos compétences sont précieuses). Dans le secteur de la data, de la cybersécurité ou de l’intelligence artificielle, les profils spécialisés sont également très demandés par les entreprises du numérique. Ce que ne manque pas de commenter Raphaële Romon en donnant comme exemple le cas précis d’un informaticien expert en cybersécurité qui, même en poste, se faisait constamment contacter ! « Dans le secteur de la tech, il faut se spécialiser » conseille-t-elle. « D’autant plus que cela permet de prétendre à un meilleur salaire qu’en étant généraliste ».

… mais qui peuvent s’enfermer dans leur spécialité

« Je constate que l’état d’esprit du marché du travail pousse à la spécialisation. C’est très franco-français d’ailleurs, même si ça évolue doucement. Dans la culture anglo-saxonne, il est plus facile de changer de poste, de profession. On retrouve un peu ça dans nos start-ups où il est courant d’entrer pour occuper un poste particulier et d’avoir accès à d’autres opportunités de missions » explique notre experte et formatrice en RH. Car après tout, la spécialisation peut aussi être un carcan un peu trop rigide. Et si vous finissiez par préférer l’ingénierie spatiale à celle du bâtiment ? L’exemple est trivial mais réel. D’un côté, vive la spécialisation - parce qu’on creuse sans cesse ses connaissances et qu’on devient “incollable” - de l’autre, méfiance, si jamais vous n’êtes pas certain.e. de votre projet.

Pour quels types de profils est-elle adaptée ?

Alors, la spécialisation, est-ce que ça vous correspond ? Souvent, en début de carrière, il est courant de naviguer entre plusieurs domaines de prédilection sans tout à fait choisir. Mais tôt ou tard, on finit par endosser un rôle de plus en plus précis et par développer des compétences spécifiques. Cela dit, certains secteurs d’activité nécessitent de se positionner dès sa sortie d’école, ou presque. Dans le secteur de la tech, par exemple, il peut être intéressant de choisir son créneau. C’est le meilleur moyen de valoriser son profil et d’obtenir des responsabilités. Sinon, à défaut de se spécialiser dans un métier, choisir un secteur (la banque, les spiritueux, le théâtre, le cinéma, l’alimentation durable, etc.) dans lequel évoluer permet de donner à son parcours une ligne directrice et d’affiner ses recherches d’emploi. Une fois votre domaine de prédilection délimité, vous pouvez essayer plusieurs professions : commercial à l’international ou chef de produit dans le vin, machiniste puis assistant de production dans le cinéma, etc. De la même façon, ceux qui ont choisi des parcours assez pluridisciplinaires à l’université devraient donner une orientation à leur parcours, afin de tirer leur épingle du jeu.

Demain, tous généralistes ?

Le couteau-suisse, pour s’adapter aux évolutions du digital

Aujourd’hui, les grandes écoles offrent de nombreux doubles-diplômes ou doubles-cursus, notamment en commerce-ingénierie mais aussi dans d’autres domaines : l’Essec propose celui de manager-architecte, l’EDHEC un parcours en management et droit, Sciences Po Paris et HEC présentent un partenariat… De plus en plus de recruteurs semblent également chercher de véritables “couteaux suisses”, y compris dans le secteur du digital où il n’est pas rare de voir une offre de poste nécessitant des compétences à la fois en community management, en stratégie SEO, en montage vidéo et en webmarketing. Avec le numérique, l’évolution rapide des outils et des métiers requiert une forme de souplesse et d’adaptabilité : le profil généraliste tire alors son épingle du jeu. Moins facilement remplaçable puisqu’il cumule plusieurs casquettes, il peut faire valoir sa polyvalence et la variété de ses expériences. Sa curiosité est un atout, la multiplicité de ses intérêts démontre une certaine ouverture d’esprit et du dynamisme. On l’apprécie beaucoup dans la communication par exemple : plutôt que d’embaucher une chargée de relations presse, un social media manager et un rédacteur ou rédactrice, on mise sur quelqu’un qui parvient à faire un peu des trois ! Alors, avoir plusieurs cordes à son arc est-ce la meilleure option ? En 2016, une étude parue dans Harvard Business Review comparait le recrutement de 400 étudiants américains inscrits dans un MBA en finance. D’un côté, ceux avec un cursus plutôt linéaire, des cours de finance, des stages en banque, et de l’autre, des étudiant.e.s avec un parcours moins régulier, qui avaient pu suivre d’autres enseignements. Il s’avère que les profils généralistes recevaient plus d’offres d’emploi que les autres !

Les généralistes, parfois mis sur le banc de touche par les recruteurs

Mais Raphaële Baron tempère un peu : « un profil généraliste n’est pas toujours de nature très curieuse, il peut s’agir, parfois de personnes passives par rapport à des prises de postes ». De fait, un parcours sans colonne vertébrale peut dénoter d’une certaine difficulté à déterminer ses points forts et ses envies. Il faut que les parcours en zigzag se démarquent et que les candidats mettent en avant leur personnalité : « on reçoit 12600 CV semblables mettant uniquement en avant avec des “hard skills”, il peut donc être intéressant et stratégique de mettre en avant des soft skills pour sortir du lot ! » Toutefois, « par peur de “rater” un recrutement, certains recruteurs préfèrent se tourner vers des profils plus pointus et plus spécialisés ». Conséquences : les généralistes peuvent être mis sur le banc de touche. Dans le monde du travail actuel, Raphaële Romon conseille à ce type de profil de parier sur les petites structures et des start-up où, effectivement, les missions sont variées et mobiles.

Cela dit, avec le temps vous montez en compétences et vous vous spécialisez forcément. Et puis, pas de panique, il y a aussi de belles histoires ! Raphaële Romon a déjà eu affaire à des profils très généralistes qui se sont déjà vus proposer des missions très spécifiques. Rien n’est gravé dans le marbre !

Alors oui, selon la profession ou le secteur d’activité, il est préférable de se spécialiser, question sécurité de l’emploi. De toute façon, lorsque l’on doit subir une ablation de la vésicule bilaire ou remplacer le système de refroidissement de son véhicule, recourir à un spécialiste ne pose pas de question ! Dans bien d’autres cas, découvrir un secteur comme l’audiovisuel en occupant différents postes apporte beaucoup de satisfaction et permet de déterminer quelles missions nous plaisent vraiment. Notre experte encourage aussi et surtout à faire le choix entre généraliste et spécialiste en fonction de sa personnalité.

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Photo d’illustration by WTTJ