Cécile Duflot : « Je ne voulais pas devenir une vieille femme politique aigrie »

07 avr. 2022

17min

Cécile Duflot : « Je ne voulais pas devenir une vieille femme politique aigrie »
auteur.e.s
Clémence Lesacq Gosset

Editorial Manager - Modern Work @ Welcome to the Jungle

Thomas Decamps

Photographe chez Welcome to the Jungle

Etienne Brichet

Journaliste Modern Work @ Welcome to the Jungle

TANGENTE - Dans la vie pro, il y a celles et ceux qui décident de prendre la tangente. De sortir des sentiers battus et de se battre pour construire leur propre métier et destinée. Pour recueillir les confidences de ces femmes et hommes, à travers leurs doutes, leurs obstacles mais aussi leurs joies et leurs réussites, nous avons créé le Live TANGENTE.

Pour ce troisième épisode, nous avons rencontré Cécile Duflot, Directrice générale d’Oxfam France… mais que la plupart des Français·e·s connaissent encore seulement en tant que Femme politique écologiste ! Pourtant, l’ancienne Ministre a pris la tangente il y a déjà quatre ans, et dirige aujourd’hui une ONG qui lutte contre les injustices liées à la pauvreté. Pour notre dossier spécial Présidentielle, Cécile Duflot se livre sur “l’après” vie politique : le besoin de break, le retour à un métier “normal” ou encore les obstacles liés à sa notoriété ; ainsi que sur le rapport si particulier qu’entretiennent les hommes et les femmes politiques à leur fonction.

Si je vous rencontre demain soir et que je vous demande : « Qu’est-ce que vous faites dans la vie ? », qu’est-ce que vous me répondez ?

Que je dirige Oxfam France, une ONG française membre d’une confédération internationale qui travaille dans plus de 60 pays. Nous réalisons des actions de terrain pour lutter contre la pauvreté et les inégalités, et nous nous attaquons aux causes de ces situations, en l’occurrence les inégalités et le dérèglement climatique.

À quoi un tel poste correspond au quotidien ?

Il y a trois choses. D’abord, il y a le fait de diriger une organisation d’une cinquantaine de personnes avec tout ce que cela implique comme questions financières, comme problématiques RH, travailler avec les équipes et le comité de direction etc. Ensuite, en tant que directrice générale d’Oxfam France, je suis également membre de l’équipe de direction d’Oxfam International. Enfin, je suis une sorte de porte-parole dans les médias pour expliquer ce que fait Oxfam sur un certain nombre de sujets.

Quand vous présentez votre métier, les gens ont-ils l’air enthousiastes, curieux… ?

Oui ! Pour beaucoup de personnes, travailler dans une ONG est une chose positive, particulièrement avec la crise actuelle en Ukraine. On voit ce que peut être le rôle d’une ONG. Ils sont souvent curieux en fait, ils essayent de comprendre. Ah oui et en général ils me disent aussi : « Vous ne regrettez pas la politique ? » (sourire)

Il faut dire que vous faites partie des personnalités politiques qui ont fait ce choix, d’elles-mêmes, d’arrêter la politique à un moment où l’on ne s’y attendait pas forcément. Pourquoi avoir quitté ce milieu ?

Ce qu’il faut comprendre, c’est que la politique n’était pas ma première vie « presque » professionnelle. Avant ça, j’ai travaillé pendant dix ans dans le secteur de l’immobilier à vocation sociale. J’avais donc déjà fait un premier virage professionnel et là c’était la deuxième fois. Je m’étais fait une sorte de promesse à moi-même : je ne voulais pas devenir une vieille femme politique aigrie et cynique. Quand j’ai senti que j’allais perdre les élections législatives de 2017, comme une grande majorité de députés de gauche, je me suis dit : « Si je perds, j’arrête, je fais autre chose. » J’avais cet engagement entre moi et moi, et j’ai tenu cet engagement.

Dans un épisode de l’émission politique de Backseat, vous expliquez que vous avez eu besoin d’un break après vos années en politique. Pourquoi ce besoin et qu’avez-vous fait pendant ce break de plusieurs mois ?

Beaucoup de monde me disait que je ne vivais que de la politique et étaient persuadés que j’allais faire une sorte de déprime. Moi, je me disais que c’était possible, mais j’ai attendu et cette déprime n’est jamais venue ! Au contraire, je me suis sentie dans une sorte de grande récréation. J’ai fait la liste de ce que je rêvais de faire et je me suis laissée le temps de faire ces choses, de voir ce qui allait se présenter. J’allais au cinéma à onze heures du matin, etc. Il ne faut pas oublier que ma vie professionnelle a commencé très jeune. J’ai commencé à travailler à 17 ans et j’ai eu trois enfants avant d’avoir 25 ans, tout en faisant mes études, donc mon emploi du temps a toujours été très occupé… Là, c’était la liberté et j’ai adoré.

« La politique peut être un métier au sens de savoir-faire, c’est-à-dire qu’il y a des choses qui s’apprennent. » - Cécile Duflot, DG Oxfam France

Vous aviez envie de vous occuper mais sans savoir quelle serait la vie professionnelle que vous alliez avoir finalement…

Un de mes ex-maris m’avait dit : « Alors, qu’est-ce que tu vas faire ? Qu’est-ce que tu sais faire à part donner des ordres ? » Et c’est vrai ! Je me suis dit : « Qu’est-ce que je sais faire ? » Depuis, j’ai appris que donner des ordres, c’est-à-dire être cheffe, c’est quand même très compliqué. Ce n’est pas que donner des ordres justement. J’avais envie de vérifier si je savais faire des trucs de mes mains donc j’ai fait de la peinture, j’ai repeint des murs, des meubles, j’ai fait de la menuiserie, j’ai regardé des tutos sur mon ordinateur, acheté des outils, etc. J’ai fait un trou dans le plancher de chez moi, ce qui a fait hurler de rire mes enfants, mais j’ai construit deux meubles. Et quand je les vois, je suis contente, je me dis : « Au moins, je sais faire ça ! »

Vous avez commencé à militer en 2001 pour les Verts, vous avez ensuite été élue à plusieurs fonctions jusqu’à devenir ministre et députée. Vous avez quitté la politique en 2017. On peut dire que vous avez finalement fait une longue carrière en politique. Est-ce qu’après tout ça, vous diriez que la politique est un métier ?

J’ai toujours dit que ce n’était pas un métier, dans le sens où l’on n’est pas formé pour ça. Mais c’est vrai que la plupart du temps, on fait de la politique pendant une grande partie de sa vie, on en fait même une carrière ! Et j’ai vu la perversité de ce raisonnement parce que ça vous oblige, puisqu’il y a des élections régulières et que l’on peut perdre, à changer de parti et donc à trahir vos convictions si l’on veut durer. En revanche, cela peut être un métier au sens de savoir-faire, c’est-à-dire qu’il y a des choses qui s’apprennent. Dans la politique, il y a des rapports de force, il faut résister à la pression. Il y a des choses qui sont de la technique, un peu comme mettre des chenilles pour faire tenir deux planches. Mais la politique nécessite ce que l’on appelle le « sens politique », que tout le monde n’a pas. Ce n’est pas une qualité positive, c’est une spécificité. Il y a d’une part ce sens politique et de l’autre il y a l’expérience, le fait de pratiquer, de s’entraîner. Je suis restée six ans secrétaire nationale du parti des Verts, puis d’EELV, et j’était meilleure à la fin qu’à la première année, c’est évident.

Finalement, la politique s’apprend donc sur le tas ?

Je crois que oui. On peut transmettre des recettes, c’est ce que j’appelle apprendre par capillarité. J’ai commencé à la base et j’ai assisté à un certain nombre de réunions, vu d’autres faire, vu d’autres s’exprimer, du coup je me suis imbibée. À force d’avoir les pieds dans l’histoire, ça remonte et vous acquérez cette capacité à agir.

Quand vous quittez la politique en 2017, vous expliquez que c’est parce que vous perdez à ce moment-là les élections. Est-ce que c’est juste parce que vous aviez perdu les élections ou est-ce que au fond de vous, il n’y avait pas aussi un ras le bol de ce « métier », des collègues, du travail, ou même de votre capacité, en tant que femme politique dans un bureau, à avoir des actions sur le réel ?

À ce moment-là, je n’en avais pas du tout conscience. Je ne disais pas du tout que j’étais fatiguée ou lassée. J’étais en colère parce qu’il faut savoir que j’ai quitté le gouvernement après un choix politique qui a été la nomination de Manuel Valls comme Premier ministre. Je ne me sentais pas fatiguée. En revanche, le bien-être que j’ai ressenti après avoir arrêté, c’est un peu comme quand on a fait une rando avec un sac à dos très lourd. On est fatigué, mais on ne s’en rend pas compte. Quand vous posez le sac, vous avez l’impression d’être sur la lune parce que vous gambadez. Ça m’a un peu fait ça. Rétrospectivement, j’étais peut-être fatiguée, mais j’étais dans une situation où c’était normal. J’étais cheffe de mon parti dans un moment politique très compliqué qui nous a permis d’accéder au pouvoir en 2012. C’était normal d’avoir autant de pression. Par ailleurs, j’étais une femme politique, jeune et écologiste, et on parle d’il y a 10 ans donc ça cristallise beaucoup de choses. (…) Cheffe de parti, ça implique vraiment d’avoir beaucoup de nerfs et de prendre énormément sur soi. J’en avais peut-être marre, mais je n’en avais pas conscience. Au moment de partir, j’ai dit que j’avais besoin de reprendre de l’énergie, d’être dans un univers plus sympa. Aujourd’hui, je suis dans un univers plus sympa.

« Les gens ne me disent pas « C’est bien d’avoir arrêté » mais « C’est dommage, quand est-ce que vous revenez ? Vous nous avez lâchés. » C’est un peu étrange. » - Cécile Duflot

Toujours dans cette interview à Backseat, vous avez dit une phrase intéressante : « On entend beaucoup le discours selon lequel il ne faut pas de politique professionnelle. Il faut des gens qui viennent d’ailleurs. En même temps, je fais le constat, personne ne m’a dit : “C’est bien, t’as arrêté” » Qu’est-ce que cela signifie ? Est-ce que la plupart des gens ont considéré que c’était étrange d’arrêter ? Que c’était mal ? Ou même que vous alliez forcément y revenir ?

D’abord, je constate que d’autres personnes qui avaient perdu les élections législatives ont eu des difficultés dans une reconversion professionnelle. En Grande-Bretagne, aux États-Unis ou en Amérique du Sud, c’est d’une banalité totale de pouvoir faire de la politique puis de faire autre chose. En France, on a un a priori assez fort contre les politiques. Pour moi, la pente normale aurait été de retrouver un métier dans le secteur de l’immobilier et du logement. Mais après avoir été ministre et très visible, c’était très compliqué pour un employeur et pour moi. Une partie de moi s’était dit : « Je vais aussi envoyer ce message qu’on peut savoir arrêter. » Pourtant, les gens ne me disent pas « C’est bien d’avoir arrêté » mais « C’est dommage, quand est-ce que vous revenez ? Vous nous avez lâchés. » C’est un peu étrange.

Ils s’attendent peut-être à ce que vous reveniez. On en a vu, des boomerangs qui partent et qui reviennent après avoir juré d’arrêter la politique…

Si j’ai arrêté en n’étant pas complètement exsangue et dégoûtée, c’est aussi parce que je continue de croire à la politique. Aujourd’hui, si on me pose la question et que je réponds à moi-même très franchement, je ne sais pas (si je retournerais en politique), parce que je pense que je suis utile aujourd’hui avec Oxfam. J’aime bien avoir un métier dans lequel je me sens bien, avec des gens pour qui et avec qui j’ai envie de travailler. Quand je faisais de la politique, je travaillais avec une vraie équipe et j’y croyais. Ce n’était pas un truc personnel. Il faut que je trouve du sens à ce que je fais mais il y a d’autres endroits que le monde politique pour le faire.

Sur cette quête de sens : comment est-ce qu’en 2018 on devient directrice générale d’Oxfam France ?

J’ai répondu à une annonce (sur le site de Coordination SUD). Quand je dis ça, les gens me disent : « N’importe quoi ! C’est pas vrai ! » Quelqu’un m’a dit : « Est-ce que tu as vu qu’il y a ce poste-là ? Est-ce que tu crois que tu accepterais de postuler ? » Je suis allée voir et je me suis dit : « Je connais un peu les ONG. Ils vont forcément avoir un apriori négatif sur une ancienne femme politique. » La personne m’a dit que c’était ouvert à tout le monde. J’ai suivi le processus classique et j’ai eu huit ou neuf entretiens en tout. J’étais très contente parce que je voulais justement quelque chose de classique. Mais je suis chanceuse parce que si j’avais dû dessiner mon poste idéal et l’organisation que j’aimais le mieux, c’est-à-dire qui mêle les questions de justice sociale et les questions écologiques avec une dimension internationale, ça aurait été ce poste de directrice générale d’Oxfam France. Cependant, j’ai dû convaincre le conseil d’administration et je sais qu’il y a des administrateurs qui étaient réticents. Je sais que ma candidature n’a pas fait l’unanimité.

Vous ne pensiez pas forcément aux ONG ou ça vous trottait dans la tête ?

Ça faisait partie des choses auxquelles je pensais mais je me disais que j’étais trop visible comme femme politique pour qu’une ONG ose faire le choix d’une personnalité comme moi, à cause de cette espèce de culture française très séparée entre la politique et les ONG. Souvent, les anciens responsables d’ONG sont aspirés par la politique, mais dans le sens inverse c’est très rare. Certains administrateurs avaient peur que je ne reste là que six mois alors que je comptais rester. Il y avait plein de challenges, le développement de l’organisation par exemple. Quand je suis arrivée, il y avait 24 000 donateurs et il y en a plus de 42 000 aujourd’hui, notre budget a été multiplié par presque trois. J’étais encombrée par ma notoriété et je me suis dit que ça allait permettre de donner plus de visibilité à une organisation, une cause à laquelle je crois qui est celle d’Oxfam France.

D’autres personnalités politiques de la même génération que vous qui ont fait ce switch dont on vient de parler entre la politique et les ONG. On peut citer Najat Vallaud-Belkacem, on a aussi Benoît Hamon qui est maintenant directeur général de SINGA, etc. Comment expliquer que les politiques se tournent vers les ONG ?

D’abord, il y a quelque chose de cohérent. Je suis une écologiste, très identifiée sur ce combat là. Ce sont des combats menés différemment dans des cadres différents mais qui sont similaires donc il y a une continuité de valeurs. Je pense que c’est la même chose pour Najat Vallaud-Belkacem et Benoît Hamon. Najat a aussi refait de la politique en étant candidate aux élections régionales donc chacun tricote un peu son histoire. Mais pour mes collègues en Inde ou au Mexique, ça leur semblerait même absurde que vous posiez la question. L’international me permet de relativiser plein de choses. Déjà, mes collègues ne me connaissaient pas. J’étais la nouvelle directrice générale d’Oxfam France, point. Les choses ont changé parce qu’ils ont été curieux. Mais c’était agréable, ça permettait de réfléchir différemment.

Pourquoi en France on ne laisse pas les hommes et les femmes politiques revenir à une vie civile, revenir vers les ONG ? Qu’est-ce qui fait qu’à l’étranger on peut facilement le faire et pas en France ?

Je pense que la césure est très forte entre les syndicats et les partis, entre la société civile et les partis. Les entreprises privées se méfient un peu des anciens politiques. Certains n’ont pas eu d’expériences professionnelles avant la politique. Ils ont été assistants parlementaires, etc. Ils ont vraiment eu une carrière exclusivement dans cet univers. En tout cas, j’espère que les choses vont changer parce que je pense que l’expérience que j’ai acquise est utile, le fait de la retransmettre au sein d’une ONG, de savoir comment un politique réfléchit, ce qui marche et ce qui ne marche pas. Des gens pourront dire avoir eu une carrière politique tout au long de leur vie, d’autres une petite expérience. Il faut que ce soit plus fluide en fait. Je pense que ça fera du bien à la démocratie. Prendre seulement des nouveaux, ça peut être très violent. On le voit avec certains parlementaires qui ont été jetés dans le bain. Ça a été très dur parce que la politique est un univers très particulier avec des codes spécifiques.

Est-ce que vous pensez que vous auriez pu faire une autre reconversion ? Quelque chose de moins impactant et de moins politique que ce que vous faites maintenant ?

Le truc qui me faisait rêver et qui me fait toujours rêver, c’est de reprendre une entreprise entre vingt-cinq et une centaine de salariés, mais plutôt dans le secteur des petites industries, petites PME avec des gens qui ont un savoir-faire. J’aime bien les collectifs humains. Le sujet pour moi, c’est d’être en phase entre mes valeurs et ce que je fais. Je suis profondément écologiste, on sait qu’il va falloir transformer nos moyens de production et nos modes de consommation.

Petite, vous vouliez faire quoi ?

Je voulais tout faire ! Je ne savais pas ce que je voulais faire mais je voulais tout goûter. Je remercie tellement les féministes qui ont lutté les siècles précédant, d’avoir permis que je puisse choisir ma vie. Je voulais l’aventure. Il n’y avait pas « un » métier. Quand mon père m’emmenait sur les chantiers et que je voyais les conducteurs de bumpers, je trouvais que c’était l’éclate d’être à cinq mètres du sol et de dominer un chantier. Mon père travaillait à la SNCF sur les chantiers du TGV et il m’a emmené petite. Ensuite j’ai travaillé dans l’immobilier, je suis devenue secrétaire générale d’une entreprise de maîtrise d’ouvrage qui construisait des immeubles. J’adore l’odeur du ciment frais et j’aime la mécanique. En fait j’aime plein de trucs.

Vous avez fait une formation en tant qu’urbaniste. Comment passe-t-on de l’urbanisme à la politique ?

J’ai une formation de géographe avec une dimension urbaniste et puis ensuite je suis allée dans une école de commerce qui s’appelle l’ESSEC, où j’ai été diplômée en 2000. Ce qui m’intéressait c’était la ville locale. J’ai commencé la politique par un engagement aux élections municipales avec les écologistes de la ville où j’habitais, à Villeneuve-Saint-Georges, sur des enjeux micro-locaux. Cette ville avait plein de marge de progression. C’est comme ça que j’ai fait le pas de la politique.

« Quand vous signez un décret, vous changez les règles du jeu de la vie en société, donc ce n’est pas anecdotique. » - Cécile Duflot

Vous avez décrit dans votre ouvrage De l’intérieur (2014) l’expérience déçue du gouvernement que vous avez quitté début 2014. Comment travaille-t-on dans un gouvernement ? Est-ce que c’est possible d’expliquer le quotidien dans un gouvernement ou est-ce que c’est indescriptible ?

C’est tout à fait descriptible. C’est beaucoup de rendez-vous et de réunions. Quelques déplacements sur le terrain qui sont très balisés où vous rencontrez des gens et où vous avez des échanges qui sont très préparés. Quand on dit un « emploi du temps de ministre », c’est extrêmement cadré et il faut obéir. Vous vous réveillez le matin et vous avez un toboggan qui vous emmène jusqu’au soir, et c’est non négociable. Vous êtes en situation de représenter et vous représentez l’État. Il y aussi le collectif ministériel, qui n’était pas si collectif que ça à l’époque où j’étais au gouvernement. Je pense que c’était une des erreurs d’ailleurs. Il n’y avait pas beaucoup d’échanges mais plutôt des rapports de force qui se passaient en coulisse. C’est beaucoup de décisions et d’arbitrage, c’est-à-dire que ce qui remonte jusqu’à vous, ce sont des problèmes que les autres n’ont pas pu résoudre avant.

Vous avez peut-être vu Mon pote de droite du réalisateur Laurent Cibien qui est le triptyque sur Édouard Philippe. Il y a à un moment une phrase sur ce sujet du quotidien dans un gouvernement où il explique qu’être politique c’est faire des paraphes toute la journée. C’est un peu ça aussi le quotidien répétitif mais qui a un poids derrière qui est très conséquent ?

Quand vous signez un décret, vous changez les règles du jeu de la vie en société, donc ce n’est pas anecdotique. Par exemple, j’ai refusé d’avoir une machine à signer parce que je voulais être sûre. Je savais à quel point j’allais être surveillée. Je savais ce que signifiaient les signatures d’une ministre écologiste en plus de mes fonctions et de mes attributions, donc ça prenait un certain temps. D’ailleurs, il y a un vocabulaire très drôle : vous avez les parapheurs urgents, les parapheurs très urgents, les parapheurs très très urgents (TTU), et puis il y a encore une strate au-dessus, les TTU signalés. Ça c’est les parapheurs super méga urgents. C’est amusant de voir qu’il y a toujours plus urgent que l’urgent. Ça a été une grande leçon de cette responsabilité.

Depuis le début de l’année, en plus d’être directrice générale d’Oxfam France vous êtes également chroniqueuse sur France Inter dans une courte capsule le mardi matin qui s’appelle En toute subjectivité. Pourquoi ce choix ?

On me l’a proposée et j’étais très surprise au début. Ça m’arrive de publier des tribunes dans la presse. Là, c’est presque trois minutes, une fois par semaine, avec presque deux millions de personnes. C’est ça l’audience de France Inter. J’ai été extrêmement angoissée parce que c’est un exercice très particulier mais j’ai été très bien accueillie et entourée. Après c’est arrivé au bon moment. Ça faisait trois ans que j’étais directrice générale, donc ça me fait une petite piqûre d’adrénaline et ça me permet de parler des sujets auxquels je tiens.

Ce choix d’intervenir sur une radio est-ce que c’est une manière pour vous de ne pas vraiment lâcher les médias et donc un peu la politique ?

Même au bout de cinq ans, personne ne croit que j’ai vraiment arrêté. Cinq ans c’est long, c’est un tiers de ma vie politique. Peut-être que pendant un moment j’ai tellement incarné la « femme politique » que ça me reste collé, que les gens pensent toujours que j’ai une stratégie. On m’a dit à un moment où je m’étonnais parce que quelqu’un me prêtait une grande stratégie : « Surtout Cécile, ne dément jamais quand on te crois plus maline que tu l’es. » Donc je vais laisser planer cet espèce de truc en disant que je suis trop forte. Mais en réalité non, c’est un moment de liberté d’expression dont j’use avec responsabilité mais aussi avec beaucoup de sérieux, je fais très attention.

Si la politique n’est pas un métier et qu’elle est plus que ça, est-ce que ce n’est pas cette fonction qu’on arrive vraiment jamais à lâcher ?

Souvent la politique peut ressembler à quelque chose comme les sportifs de haut niveau. Quand vous avez été entraîneur, vous voyez ce que veut faire l’entraîneur. Vous comprenez la stratégie et vous décodez le truc très vite. J’ai ça et c’est ce que j’appelle le museau. Je n’ai pas besoin de me poser des questions et de réfléchir. Ça reste, surtout quand on a été très entraîné, voire très challengé. Je ne sais pas si c’est de l’instinct ou des réflexes. En plus, il faut vraiment savoir se détacher. Je n’ai pas participé aux débats internes chez les Verts, je suis en retrait. Les seules fois où j’interviens, c’est quand on me demande pour des jeunes femmes qui sont aussi en situation compliquée, dans des situations de campagne, etc. Là je considère que ça fait partie de ma mission de pouvoir les aider, les réconforter, leur donner des conseils, les soutenir, parce que je sais ce que c’est que d’être une jeune femme en politique. Je fais ce que j’aurais aimé que l’on m’ait fait, ou que quelques unes parfois ont fait dans ma vie politique.

Est-ce que vous pensez que pour la majorité des gens qui ont des longues carrières en politique c’est très dur de lâcher ?

J’en ai vu beaucoup qui n’y arrivaient pas. Je me suis fait deux promesses à moi-même. Je ne voulais pas devenir une femme aigrie, cynique, blasée, surtout après avoir eu la carrière politique que j’ai eu. C’était presque inespéré. Je viens d’un milieu qui n’a aucune relation, aucune référence, aucun code particulier, et j’ai eu une carrière politique dont beaucoup auraient rêvé. Je suis reconnaissante d’avoir vécu cette expérience. L’autre chose que je ne voulais pas, c’est être obsédée par les petits trucs internes de partis. Je me suis construite à l’intérieur d’un parti politique avec les trucs de congrès, etc. Ça m’a beaucoup fait marrer, j’étais évidemment à fond là dedans mais je ne voulais pas rester comme ça. C’est aussi parce que j’en ai vu que je me suis dit « Non, moi je ne serai pas comme ça. » Après, chacun fait ce qui lui correspond. Je ne veux surtout pas avoir l’air de donner des leçons. J’ai appliqué des choses qui ont été utiles et appropriées pour mon cas personnel. Là, c’est la première fois que je ne fais pas de campagne présidentielle. En plus, étant donné mes fonctions je m’astreins à ne pas assister à des meetings. Il y a un bout de moi citoyenne qui aimerait bien. Je me suis dit que ça allait me manquer et finalement pas tant que ça. Il faut dire que cette campagne n’est pas très enthousiasmante. Et j’ai d’autres sources d’intérêt parce qu’avant de rejoindre Oxfam, je suis devenue l’associée Benjamin Sonntag dans une PME qui s’appelle Octopuce qui fait de l’infogérance et de l’hébergement. C’est une entreprise privée dans un monde concurrentiel et ça aussi c’est très satisfaisant intellectuellement. Donc j’ai plein de sources d’intérêt ailleurs. Mais est-ce que je ressens un manque ? Si je suis très honnête, non.

Dans une de vos chroniques sur France Inter qui portait sur la politique et l’amour, vous expliquez que c’est compliqué l’amour en politique, surtout chez les femmes. Est-ce que, plus globalement, ce n’est pas compliqué pour les femmes qui ont des ambitions professionnelles fortes d’allier travail et l’amour ?

D’abord, l’amour c’est compliqué tout court. Dans cette chronique, je disais que c’était compliqué pour les femmes politiques parce qu’on voit très bien ce que c’est que l’épouse d’un homme. Elle s’occupe des menus, de la déco, etc. La représentation inverse, on ne la voit pas. Même pour les hommes c’est compliqué à vivre, pour un homme à côté d’une femme qui est visible et qui, quand il marche à côté de vous dans la rue on lui tend un téléphone en lui disant « Est-ce que vous pouvez nous prendre en photo ? », alors que les femmes ont des années d’entraînement. On pense qu’une femme réfléchit comme son mari donc ça peut être très embarrassant. Je pense que les moments les plus douloureux de ma vie politique ont été quand ils ont croisé des moments affectifs.

Article édité par Clémence Lesacq ; Photos par Thomas Decamps pour WTTJ

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