« J'ai exercé un mandat politique » : un travail (pas) comme les autres ?

04 avr. 2022

7min

« J'ai exercé un mandat politique » : un travail (pas) comme les autres ?
auteur.e.s
Thomas Decamps

Photographe chez Welcome to the Jungle

Romane Ganneval

Journaliste - Welcome to the Jungle

Manuel Avenel

Journaliste chez Welcome to the Jungle

Sami Prieto

Journaliste chez Welcome to the Jungle

Gabrielle Predko

Journaliste - Welcome to the Jungle

À la vue du nombre d’heures travaillées, des compétences développées, de l’indemnité versée…, la fonction politique exercée à travers un mandat d’élu·e s’apparente à bien des égards à un métier somme toute ordinaire. Pour autant, le champ d’action octroyé par la représentation démocratique, la capacité d’influencer la société ou encore l’inconnue des résultats d’une élection en font-ils vraiment un métier comme les autres ? Pour y répondre, quatre élus nous partagent leur expérience.

Valérie Sudarovich, conseillère municipale de Biarritz, déléguée à la politique inclusive, à la danse et au théâtre

« Ce n’est pas une histoire de métiers, c’est simplement être investie dans la vie de ma ville ». Depuis toujours, Valérie Sudarochi a été impliquée dans les différents organismes ou associations participatifs de la ville de Biarritz. Des simples décisions concernant ses enfants jusqu’à la Mairie de Biarritz, c’est la volonté d’aider son prochain et de s’impliquer dans le quotidien du citoyen qui a dicté ses choix pour la diriger jusqu’à son premier mandat de conseillère municipale. Si elle participe à la vie politique de sa ville de par son titre et fait de l’intérêt commun sa priorité, Valérie ne se considère pas pour autant “politicienne” : « Pour moi ce n’est pas un métier, je ne me vois pas comme une femme politique. Quand on m’en parle, je préfère dire que je suis dans une grosse association. Lorsqu’on est élu, à mon échelle, on devient plus un·e référent·e des citoyens que politicien·ne au sens strict. » Pour Valérie, la notion de “métier politique” s’apparente plus à celle de carrière : « Un·e politique est une personne qui sort d’un parti et qui porte ses propos et un engagement pour lui servir. Il y a aussi une volonté de rester sur le long terme d’où le principe de carrière, mais ce n’est pas mon cas. »

« Je ne suis que de passage, au pire pour six ans et au mieux pour douze »

Même si ce poste occupe une grande partie de son temps, Valérie n’a pas cessé son activité professionnelle d’éducatrice sportive spécialisée en biomécanique, geste et posture. « Ce n’est pas toujours évident de jongler entre mes deux activités », reconnaît-elle. Mais si son activité municipale la monopolise et complique son emploi du temps, elle ne regrette pas son choix : « Nous sommes passionnés et avons envie de faire avancer les choses, c’est purement et simplement pour le bien de la ville. Je suis une politicienne qui ne fait pas de politique politicienne, je ne veux pas être en place ni représenter un parti. »

Aussi, Valérie estime avoir tiré quelques enseignements et des satisfactions personnelles de son expérience politique : « Grâce à cette fonction, j’ai appris à prendre de la perspective, à changer de prisme. J’en ai même tiré un précepte de vie, qui me suis encore aujourd’hui : tant qu’on ne sait pas tout, on ne sait rien. » La satisfaction de bien faire pour les autres et la reconnaissance des citoyens auront un poids lorsqu’il faudra qu’elle se décide à briguer ou non un second mandat d’élue à la Mairie de Biarritz.

François Mandil, conseiller municipal de l’opposition à Pontarlier dans le Doubs entre 2008 et 2014

« Je suis militant politique depuis l’adolescence. Quand j’ai été élu, cela faisait déjà une dizaine d’années que je passais tout mon temps libre à défendre les causes qui m’animent », explique-t-il. Faire bouger les lignes de l’intérieur était la suite logique de son engagement pour défendre l’écologie politique. Candidat à toutes les élections (cantonales, législatives, régionales, municipales), à l’exception de la présidentielle et des Européennes, il obtient un siège de conseiller de l’opposition à 28 ans après avoir obtenu 15% des suffrages lors des municipales de 2008. Et s’il n’avait pas l’intention de perdre son emploi de guide touristique dans un château, après avoir monté une liste contre le maire qui est aussi son patron, il est licencié. « Ce n’était pas très tactique, je dois le reconnaître », plaisante-t-il.

Alors qu’il peut prétendre à une petite indemnité financière pour la durée de son mandat, la majorité au conseil municipal lui refuse. Son travail à la mairie est entièrement bénévole. « J’ai retrouvé un petit boulot dans un commerce et mon patron était assez conciliant pour que je m’absente quelques heures chaque jour pour aller aux réunions municipales qui se déroulent dans la journée », se souvient-il. Mais le poste de conseiller municipal dans l’opposition se révèle très vite chronophage et fatiguant : sans moyens ni soutien humain, il épluche chaque jour des dizaines de documents dont il ne comprend pas toujours l’objet ni le sujet. Et quand il ne prend pas position sur un dossier à l’ordre du jour, il reçoit des messages anonymes tels que : « tu es un planqué, tu ne sers à rien ».

« La politique ne doit pas être un métier et on doit pas avoir l’ambition d’y faire carrière »

À la fin de son mandat, il est soulagé d’arrêter : « Je n’aime pas me battre, devoir cheffer et être dans une joute oratoire, ce n’était pas fait pour moi », reconnaît-il. Il considère que pour beaucoup, l’engagement politique conduit à vouloir du pouvoir pour soi, ou à utiliser les élections comme tremplin vers d’autres mandats, mais François Mandil ne s’inscrit pas dans cette lignée. Il n’a pas d’ambition personnelle dans le milieu politique. Alors, pour prendre le temps de rendre plus efficace son engagement, il décide de sortir des cercles militants pour retrouver une vie anonyme. D’ailleurs, il pense que pour être au plus près des besoins des citoyens que les politiciens représentent, « la politique ne doit pas être un métier et on ne doit pas avoir l’ambition d’y faire carrière ». Pour lui, il est nécessaire de limiter le cumul des mandats dans le temps pour laisser à d’autres la possibilité d’insuffler un vent nouveau.

Yannick Favennec-Bécot député de la 3ème circonscription de Mayenne

Investi en politique depuis la campagne de Valéry Giscard d’Estaing en 1974, Yannick Favennec-Bécot a suivi sa passion, en militant dès le lycée, puis en endossant plus tard des responsabilités politiques, avant d’être élu député en 2002. À 63 ans, l’élu UDI de la troisième conscription de la Mayenne espère prolonger cette aventure avec un cinquième mandat aux prochaines législatives. Pour autant, il n’imagine pas la vie politique comme une carrière qui durerait toute la vie active. « On n’est pas député, maire, conseiller départemental ou président de la République pendant 42 ans, illustre-t-il. Ce n’est pas un métier, c’est d’abord un engagement qui se réalise à travers un mandat. Si on fait le parallèle avec un métier, nous sommes en CDD de cinq ans, renouvelable en fonction de ce que décident les électeurs. Je le conçois d’abord comme une passion et les passions, on meurt avec elles. C’est rare qu’elles nous quittent au cours d’une vie. »

Si le mandat de parlementaire s’exerce à titre d’activité principale, les élus ne perçoivent pas tous une indemnité suffisante pour en vivre. Conjuguer une vie professionnelle avec un mandat - souvent chronophage - devient parfois nécessaire, bien que très difficile à combiner. De fait, un choix s’opère bien souvent au détriment de l’activité d’élu·e pour les communes rurales notamment. « On se prive très certainement de compétences d’un certain nombre de gens », déplore le député. L’idée que « la démocratie a un coût » peine à faire son chemin mais est essentielle pour lui.

« Si on fait le parallèle avec un métier, nous sommes en CDD de cinq ans »

Le député de la Mayenne a aussi souhaité passer cinq années par la case entreprise, persuadé qu’on ne peut exercer un mandat « sans connaître ce que tout le monde ou presque connaît : être salarié dans une entreprise ». La différence notable qu’il observe entre les sphères privée et publique se situe, selon lui, au niveau du management des ressources humaines. « L’obligation de résultat, la réactivité sont plus marquées dans le monde de l’entreprise », appuie-t-il. Cette immersion lui permet en outre de développer une vision sur les attentes et les difficultés des entreprises, mais aussi leur capacité à agir ou réagir et faire tourner l’économie.

Mais la politique n’est-elle pas un métier différent par le pouvoir d’action qu’il offre ? L’élu considère qu’un pouvoir de « facilitateur » est octroyé aux députés de la nation qui sont les « porte-drapeaux d’un territoire ». « On sait à quelle porte aller frapper, quel interlocuteur voir et jouer de notre influence parisienne pour débloquer l’avancement d’un projet. » Pour autant, ce pouvoir d’action est à relativiser : « Même dans la majorité, vous n’avez pas beaucoup d’influence sur le cours des choses parce que vous êtes, une voix parmi 300 à 400 députés, pris dans la dynamique d’un groupe. »

Jean-Pierre (1), 86 ans, maire d’une ville de Seine-et-Marne en 1983

Alors qu’il est directeur d’une société dans le bâtiment, Jean-Pierre monte un groupe apolitique pour se présenter aux élections municipales de sa ville en 1983 : « J’ai été motivé par un sentiment de revanche. L’ancienne municipalité faisait beaucoup de magouilles et avait tellement endetté la ville qu’elle avait été placée sous tutelle préfectorale. Avec mon groupe, on s’est présentés dans l’intérêt des citoyens et ça a plutôt fonctionné puisque nous avons été élus et nous avons réussi à redresser les comptes ! » Ce père de famille conserve son emploi mais consacre une grande partie de son temps à sa fonction de maire, un nouveau rôle qui le bouleverse et lui confère encore plus de responsabilités que son statut de chef d’entreprise.

« Ça m’a apporté l’extraordinaire richesse des contacts humains. C’est comme si j’étais rentré dans “le foyer français”. Comme peut l’être un médecin, le maire est un confident que les citoyens invitent dans leur intimité. » Le quarantenaire mesure l’impact de son travail sur la vie des habitants de sa commune : « J’ai remué ciel et terre pour créer une cellule pour recevoir les femmes battues », mais aussi son impuissance dans d’autres situations : « Je me rappelle qu’un jour, une jeune fille est venue me trouver car son père voulait la marier de force avec un bonhomme de 50 ans… Que faire dans cette situation ? »

« En politique, il y a un engagement moral qu’on ne met dans aucun autre métier. Une mission d’honnêteté, de justice »

Ce rôle lui a appris à rester humble en toutes circonstances. En tant que maire, il réalise qu’une détermination à faire évoluer les choses n’est pas toujours suffisante pour obtenir gain de cause : « Lors de mon mandat, des citoyens de cette ville se trouvaient en grande difficulté pour trouver un logement. Avec mon équipe, on avait abordé le sujet avec beaucoup de force et de conviction auprès des bailleurs sociaux mais ça n’avait pas fonctionné. Malgré le pouvoir qu’on a, notre influence est limitée et les choses ne sont jamais aussi simples qu’on l’avait imaginé… » 39 ans plus tard, l’ancien maire garde un souvenir fort et ému de cette expérience : « C’est une fonction à part. Un engagement moral qu’on ne met dans aucun autre métier. Une mission d’honnêteté, de justice. Encore aujourd’hui, je peux dire que ça a été une très grande réussite et j’en suis fier. »

(1) Le prénom a été modifié

Article édité par Romane Ganneval, photo Thomas Decamps pour WTTJ

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