Pourquoi le licenciement est-il toujours un sujet tabou ?

01 févr. 2022

5min

Pourquoi le licenciement est-il toujours un sujet tabou ?
auteur.e
Olga Tamarit

Freelance Content Creator

La plupart des travailleurs seront licenciés au moins une fois dans leur vie ; et malgré tout, ce sujet est toujours tabou. Des études réalisées autour des années 2000 indiquaient qu’environ un million de personnes étaient virées, en moyenne, par an en France. Si le licenciement est si fréquent, alors pourquoi faisons-nous comme si nous devions le cacher ? Que perdons-nous à agir ainsi ? Et surtout, qu’aurions-nous à gagner à le normaliser ?

« Je me suis fait virer »

« Il faut parler du licenciement. C’est normal. Je n’aime pas cacher ce que je ne peux pas contrôler, c’est idiot. Je me suis fait virer, c’est fait, c’est du passé ». Ces mots percutants sont ceux d’Alba Rodríguez Illescas. Cette jeune travailleuse de 29 ans a décidé de raconter son licenciement sur son compte LinkedIn. L’impact de sa publication a pris cette spécialiste en marketing et communication par surprise. Elle a reçu plus de 35 000 réactions et 1 700 commentaires. Et elle a surtout ouvert un débat intéressant, entre ceux qui applaudissent sa prise de position et ceux qui déclarent préférer ne pas parler du licenciement car ils le vivent comme un échec.

Mais pour Alba, globalement, « le post a créé un espace d’empathie, de sincérité et de confession pour de nombreuses personnes qui se sont ouvertes et ont expliqué publiquement leur situation. Il y avait tant de souffrance et de honte dans les mots de si nombreuses personnes », se rappelle celle qui a aussi reçu des dizaines de messages privés la remerciant pour ce qu’elle avait fait et pour lui dire que « l’espace d’un instant, elles avaient été émues de lire un post aussi naturel sur le licenciement ».

Pour Elisa Sánchez, psychologue du travail et directrice du cabinet de consulting Idein, si de nombreuses personnes voient effectivement le licenciement comme un échec, c’est parce qu’elles estiment que le travail les définit. C’est quelque chose de très commun. « D’ailleurs la première chose que l’on fait quand on rencontre quelqu’un, c’est de lui demander ce qu’il fait ou dans quoi il travaille » signale-t-elle. En effet, beaucoup de personnes s’identifient tellement à leur emploi, qu’en cas de licenciement, elles doivent se recréer toute une identité. Ce qui entraîne un sentiment de ne plus être à la hauteur dans les autres aspects de sa vie. Difficile alors, dans cette situation source d’incertitudes et même d’anxiété, d’en parler ouvertement en société.

Licenciement : un sujet tabou

Mais si l’on dézoome un peu, et à en croire notre experte, le licenciement est avant tout un sujet tabou, et ce pour deux raisons principales. La première est générationnelle : « L’objectif de la génération précédente était d’intégrer une entreprise, d’obtenir une promotion et de travailler toute sa vie dans la même société », explique-t-elle. Cette génération privilégiait la sécurité et la stabilité, plutôt que la satisfaction personnelle et professionnelle. Pour elle, perdre son travail était un échec. C’est pourquoi le licenciement a été perçu comme un sujet tabou pendant des années, et les nouvelles générations ont hérité de cette vision.

Mais Elisa Sánchez pense que les choses vont commencer à changer. En quelques années, « notre rapport au travail a évolué et aujourd’hui, il est normal d’avoir plusieurs emplois au cours de sa vie ou d’en changer régulièrement ».

L’autre raison qui peut pousser à ne pas parler de son licenciement est la justification officielle de ce dernier. « Ce n’est pas la même chose de voir votre contrat résilié pour raisons économiques, ou parce que vous avez fait une ou plusieurs erreurs qui a/ont entraîné votre licenciement, ou encore parce que vous n’avez pas validé votre période d’essai » nuance-t-elle. Dans le cas des deux derniers exemples, le licenciement peut susciter de la culpabilité, et même une certaine honte qui « est très toxique et peut mener à la dépression, l’isolement et à d’autres problèmes graves », souligne la spécialiste.

Pour Alba, le licenciement restera un sujet tabou tant qu’on ne changera pas le paradigme actuel du succès et de l’échec. « Nous vivons encore dans une société qui ne valorise qu’une partie de la vie. Nous sommes des négationnistes de la douleur, de la laideur intérieure, des difficultés et des émotions moins agréables. Nous préférons être malheureux pendant 20 ans à un même poste plutôt que d’être licencié », estime la jeune travailleuse.

Apprendre à gérer nos émotions : un pré-requis vers l’acceptation

Cette dernière s’est faite licencier un mercredi. « J’ai pleuré et je me suis lamentée le jeudi, j’ai passé mon vendredi à dormir et le samedi, je me suis levée et j’ai décidé de le partager sur les réseaux sociaux », raconte-t-elle.

Cela coïncide avec ce que dit Elisa Sánchez, qui explique que pour pouvoir parler ouvertement du licenciement, nous devons d’abord gérer les émotions qu’il suscite en nous : « Si nous gérons correctement la frustration, la tristesse ou la colère provoquée par notre licenciement, nous serons alors en mesure d’en parler de manière saine. » La spécialiste rappelle que pleurer peut être une bonne manière de libérer la tristesse ou la colère et que cela peut être un outil efficace pour gérer ses émotions.

Il ne faut pas oublier qu’un licenciement représente une perte, ce qui implique une phase de deuil. Ainsi, savoir bien gérer l’ensemble de ces sentiments, accepter d’être triste et être capable de le verbaliser peut nous éviter bien des maux de tête. « Le proverbe bouddhiste ”la douleur est inévitable, mais la souffrance est facultative” peut être inspirant ici. Cela revient en effet à dire qu’on ne peut pas s’empêcher d’avoir mal et que résister à cette douleur ne fera qu’entraîner d’autres souffrances, qui elles-mêmes conduiront à une victimisation paralysante très néfaste », rappelle la psychologue.

Pour éviter d’en arriver là, il est indispensable de trouver sa propre manière de gérer le deuil et d’être capable d’extérioriser ce qu’on ressent ou ce qui s’est passé. Pleurer, parler à un ami, faire un marathon de films, tout donner pendant une séance de sport ou, si c’est nécessaire, demander l’aide d’un professionnel. À chacun de trouver comment ordonner ses pensées, canaliser ses émotions et apprendre à les exprimer.

Normaliser le licenciement, qu’avons-nous à y gagner ?

Alba, celle qui a fait le choix d’assumer sa mésaventure, en est convaincue : si on normalise le licenciement, « on améliorera notre santé mentale » et elle l’assure « les travailleurs doivent assumer leurs émotions, les bonnes comme les mauvaises, de toute urgence ». Selon elle, apprendre à en parler peut nous ouvrir des portes, comme ce fut le cas pour elle. Elle affirme en effet avoir reçu plusieurs offres d’emploi suite à l’annonce publique de son licenciement : « Ce post m’a apporté ce qui manque à toutes les personnes sans emploi : de la visibilité. »

Il s’agit effectivement d’un aspect intéressant et souvent oublié : parler ouvertement d’un licenciement peut être une bonne manière de faire marcher notre réseau, qui sera ainsi au courant que l’on est à la recherche d’un emploi et qui pourra nous ouvrir de nouvelles opportunités professionnelles.

Par ailleurs, être capable de parler ouvertement d’un licenciement nous aidera également à le voir comme une étape de notre développement professionnel, et non pas uniquement comme un moment difficile de notre carrière. Et cela peut aussi nous donner l’occasion de discuter avec d’autres personnes ayant vécu la même chose et de voir comment elles ont vécu ce moment de leur vie. Et qui sait ? Peut-être que tout ceci nous ouvrira de nouvelles perspectives et un nouveau plan de carrière. Pour elle, c’est évident : « Vu le nombre de licenciements à travers le monde, je ne vois pas vraiment d’autre option que de commencer à normaliser le sujet ! »

Comment changer les choses à son échelle ?

Pour Elisa Sánchez, nous avons tous un rôle à jouer dans ce processus de normalisation, que nous soyons la personne touchée ou qu’il s’agisse d’un proche qui nous fait part de sa situation. Dans le premier cas, si on sent qu’on n’est pas prêt à en parler ouvertement à quelqu’un, la spécialiste conseille « de s’entraîner avec une personne de confiance » ou même « face à un miroir » pour pouvoir développer les compétences nécessaires qui nous permettront de parler de licenciement sans se sentir coupables.

Dans le second cas, Alba préconise surtout de montrer notre soutien : « Un bon début sera déjà de ne pas punir inconsciemment quelqu’un de s’être fait licencier », fait remarquer Alba Rodríguez. Elle conseille « de ne pas répondre par le sempiternel “je suis désolé” quand quelqu’un vous annonce qu’il a été viré », afin d’éviter de créer un sentiment de culpabilité ou de honte chez l’autre personne. Il vaut mieux demander en quoi on peut l’aider ou proposer une alternative qui l’aidera à avancer.

Article traduit de l’espagnol par Sophie Pronier
Photo de Thomas Decamps

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