L'autonomie au travail est-elle devenue l'atout marque employeur par excellence ?

Publié dans Humans at work

27 juil. 2022

4min

L'autonomie au travail est-elle devenue l'atout marque employeur par excellence ?
auteur.e
Bénédicte Tilloy

DRH, ex-DG de SNCF Transilien, conférencière, professeure à Science-Po, autrice, cofondatrice de 10h32

HUMANS AT WORK - La carrière d’un DRH ou/et d'un dirigeant est jalonnée d'histoires et de rencontres avec des collaborateurs. Notre experte du Lab Bénédicte Tilloy en sait quelque chose. Aujourd’hui, elle vous adresse ce message : la recette du bien-être pro ne réside pas dans la multiplication des vacances, mais dans un mélange mesuré d’autonomie et de flexibilité.

Je rentrais de l’école, mes parents fermaient la boutique. Avec mes sœurs, on commençait la nuit dans notre lit et on se réveillait sur l’autoroute dans la 404. Les 5 dernières heures du trajet étaient rythmées par nos « Quand est-ce qu’on arrive ? ». Depuis la veille au soir, on avait traversé la France et une partie de l’Espagne. Les parents avaient passé les 24 heures suivantes à dormir, la première semaine des vacances à se reposer d’une année harassante, et la dernière à décompter les jours avant de reprendre la route, le cœur serré, dans l’autre sens.
Au journal de 20 heures, il était régulièrement question de bouchons monstres sur les routes de France. Et quand les juillettistes croisaient les aoûtiens, la carte de Bison futé virait au noir, comme le moral des automobilistes. Leur vie comme une corde à nœud : 1 mois de vacances tous les ans, 1 mois pour se payer le luxe d’oublier les 11 qui précédaient, avant d’espérer que les 11 qui suivraient passeraient le plus vite possible. C’étaient les années soixante, mais ça n’a pas complètement changé.

Quand 30 ans plus tard, j’ai organisé les vacances familiales, les heures d’avion ont remplacé les longues heures de voiture. Le mois d’été s’est réduit au bénéfice de séjours courts, plusieurs fois dans l’année, coincés tant bien que mal dans un agenda chargé : une semaine pour oublier dans un paradis hors sol. Et puis réattaquer au même rythme et attendre avec impatience les vacances suivantes. Il m’a fallu quitter mon job et m’inventer une nouvelle vie professionnelle pour mesurer l’absurdité de cet enchaînement. Diviser son quotidien en tranches de travail entrecoupées de congés pour récupérer. Vouloir que chacune soit intense pour être réussie, et passer à côté de l’essentiel. Bosser comme des dingues pour s’abrutir en vacances, cramer du kérosène pour avoir à peine le temps de poser un pied à l’autre bout du monde, ne profiter de rien vraiment, ni des vacances, ni de la vie.

« Je m’autorise des plages de jachère pendant l’année »

J’écris cet article à un moment dont je ne saurais dire s’il appartient au travail ou aux vacances. Mais peu importe. Mon année n’est plus rythmée par ces coupures franches, il y a la place pour des pentes douces dans mon agenda. Je m’autorise des plages de jachère pendant l’année et je ne renâcle pas à accepter des missions pendant les trêves saisonnières. J’ai la chance inouïe de pouvoir m’organiser en toute autonomie.

Beaucoup des personnes que je fréquente ont les mêmes aspirations. Les choses couvaient depuis longtemps et le confinement leur a donné l’occasion de prendre conscience du tunnel dans lequel la vie les avait piégés. Ajoutez à cela le besoin de sens dont il est question partout, et que les jeunes générations ont exprimé de la manière la plus criante, jusqu’à faire pression sur un marché du travail qui a basculé en faveur des salariés. Les entreprises n’arrivent plus à recruter. On les voit donc rivaliser d’inventivité pour attirer les candidats et leur donner envie de les rejoindre.

Parmi les avantages proposés, figure la possibilité de prendre des congés illimités. Un voyage de noces de 7 longues semaines ou un jour off juste après son entrée dans l’entreprise est désormais envisageable. Il n’y a pas si longtemps, il fallait attendre au moins 6 mois avant de se risquer à poser son premier jour, quitte à passer son été tout seul, à errer dans les couloirs de l’entreprise, sans grand-chose d’utile à faire.

Dans la liste des atouts « marque employeur », il y a aussi la semaine de 4 jours. L’essayer, c’est l’adopter, disent les pionniers qui l’ont instaurée en France et dans certains pays occidentaux. Le stress et l’épuisement des travailleurs ont diminué, l’équilibre vie professionnelle-vie privée s’est amélioré et la productivité a augmenté. Rendre accessible à tout moment la perspective d’un break, cela permet d’avoir des salariés plus autonomes, plus motivés, et donc plus efficaces. On attend d’eux qu’ils sachent faire preuve d’agilité, il est normal de leur en offrir en retour.

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Mais cette flexibilité ne plaît pas à tout le monde. Dans un monde du travail très normé comme la France, ces nouvelles dispositions font aussi figure de « farces et attrapes ». Ce sont la loi et les conventions collectives qui définissent les droits des travailleurs et aucun employeur ne peut s’y soustraire. Un minimum de congés doit être garanti et effectivement pris.

Donner à chacun l’opportunité de choisir sans compter les moments où il a besoin de souffler, c’est aussi risquer d’exposer les employés qui ont du mal à décrocher. Il se trouve – notamment chez les femmes –, beaucoup de bons élèves pour lesquels le travail n’est jamais terminé, et qui sont prêts à renoncer au temps libre. Ce sont des candidats potentiels pour le burn out, y compris s’ils trouvent du sens à leur travail. J’ai vu des employés se tuer à la tâche. Même si la raison d’être personnelle s’aligne avec celle de l’entreprise, on ne peut rester durablement efficace dans son travail qu’en le mettant régulièrement à distance, ne serait-ce que pour garder du plaisir à le faire.

Difficile, chers DRH, de satisfaire aujourd’hui les attentes individuelles des employés, qui souhaitent en même temps disposer d’une grande autonomie dans l’organisation de leur vie professionnelle et trouver au travail des collectifs motivés avec lesquels se dépasser. Il faut pouvoir à la fois leur offrir la liberté de décider ce qui est bien pour eux, au moment où ils en ont envie, et les protéger contre leur propre engagement quand ils en viennent à s’oublier.

Cela revient à vérifier que chacun a bien pris ses congés et que ses semaines ne durent pas au-delà du raisonnable. Motiver et protéger contre les excès de la motivation, pour que le droit de souffler profite à celles et ceux qui en ont le plus besoin. Inciter à prendre des vacances, moins pour épuiser les compteurs que pour ne pas épuiser les troupes. Pour que l’engagement de chacun fabrique les résultats de tous. Et en se rappelant bien sûr que l’autonomie ne fonctionne qu’avec une culture d’entraide… Une philosophie qui doit aussi s’appliquer à ses promoteurs. Les cordonniers étant comme on le sait les plus mal chaussés, il est en effet nécessaire que l’on s’assure que le DRH a l’occasion de penser à autre chose et de s’aérer !

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Article édité par Ariane Picoche, photo : Thomas Decamps pour WTTJ

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