Harcèlement sexuel au travail : comment se reconstruire ?

25 nov. 2020

8min

Harcèlement sexuel au travail : comment se reconstruire ?
auteur.e
Delphine Dauvergne

Journaliste pigiste

La restauration, les jeux vidéo, la communication, le sport, le cinéma, la musique… À l’ère post #Metoo, tous les secteurs connaissent progressivement des vagues de dénonciations de pratiques sexistes et des victimes de harcèlement sexuel au travail se mettent à parler. C’est souvent l’une des étapes de leur parcours de reconstruction, qui est propre à chaque victime… Comment réussissent-elles à sortir de leur isolement ? Quels accompagnements peuvent-elles choisir ? Peut-on rebondir après une telle épreuve ? À l’occasion de la journée internationale pour l’élimination de la violence à l’égard des femmes, nous donnons la parole à des victimes et à des expertes du sujet.

Sortir du silence

Les chiffres parlent d’eux-mêmes. Selon la dernière enquête Ifop sur le sujet (2014), seules 70% des victimes de harcèlement sexuel au travail en ont parlé à leur supérieur ou à leur employeur, et elles seraient 30% a n’en avoir jamais parlé à personne. Un silence qui s’explique : souvent, la première phase suite à un harcèlement est celle du déni. “Non, j’ai dû mal interpréter ses mots… Il n’a peut-être pas fait exprès de m’effleurer… Tout ça c’est dans ma tête…” se murmurent les victimes. Oser mettre les mots, c’est se confronter à la réalité des choses. « C’est à partir du moment où j’ai enfin commencé à en parler, en voyant dans les yeux des autres que ce que je vivais n’était pas normal, que j’ai pu en prendre conscience aussi », raconte Emmanuelle, 39 ans. Elle a pourtant subi harcèlement sexuel et plusieurs tentatives de viol à La Poste pendant une quinzaine d’années. « Mes collègues de l’époque en riaient », se souvient-elle.

Que cela soit l’entourage professionnel, familial ou amical, les réactions ne sont pas toujours bonnes et la plupart des victimes les redoutent. « Pendant longtemps quand les femmes avouaient ce qu’elles avaient subi à leur entourage elles se heurtaient à cette réponse : “ah qu’est-ce que tu as bien pu faire pour te retrouver dans cette situation ?! “ », illustre la psychanalyste Marie Pezé. Une situation qu’a connue Alexia, harcelée sexuellement dans son ancienne agence de communication : « Mes proches avaient ce genre de suspicions… Mais j’ai eu la chance que la vague #Metoo coïncide avec mon arrêt maladie, cette prise de conscience collective m’a aidée à me confier à mes amis et ma famille. » Pour Laura, le fait d’avoir « un entourage bienveillant » lui a également permis de sortir de l’isolement. « Comme j’ai traversé plusieurs phases dont le déni et la culpabilité, j’avais peur qu’on me juge, mais à ma grande surprise, mon mec, mes parents et mes amis étaient bien plus compatissants que je ne l’imaginais. » En parler, se confier petit à petit doivent être les premières étapes après un harcèlement : « Sortir de sa solitude, c’est le premier pas vers la reconstruction, c’est là que les victimes commencent à comprendre qu’elles n’ont pas à avoir honte », estime Marie Pezé. Ensuite, c’est un choix personnel. *Selon son parcours et sa sensibilité, on peut vouloir en parler à ses proches ou à des professionnels : son médecin généraliste, le médecin du travail, un psychologue ou encore un délégué syndical.

Se faire accompagner

Ensuite, nulle question d’entreprendre une démarche en solitaire. Accepter de se faire accompagner reste ainsi primordial, martèle Sophie Binet, dirigeante confédérale de la CGT où elle est chargée de l’égalité femmes/hommes. « Il y a de nombreux cas d’harcèlement sexuel au travail où les victimes pensent parfois qu’en allant voir simplement leur employeur il en sera choqué et réagira, mais c’est très rarement le cas, fustige-t-elle. *Pour être prise au sérieux et protégée, il faut s’entourer de ceux qui pourront vous défendre : un syndicat, une association, le référent harcèlement de votre entreprise (au sein du CSE NDLR), ou même un avocat. »

Et afin de rassurer les plus inquiètes, Sophie Binet le rappelle : « Faire appel à un syndicat ce n’est pas entrer dans une démarche de conflit avec son employeur, il s’agit d’abord de se renseigner sur ses droits et ses options, une confidentialité est assurée et c’est la victime qui choisira ce qu’elle veut faire ou non, ainsi que de la temporalité. » Si vous n’avez pas de délégué syndical sur votre lieu de travail, vous pouvez aussi vous rendre dans une permanence syndicale locale. L’experte détaille : « Le syndicat recueille le récit de la victime et selon ses besoins, l’aide à établir un faisceau d’indices pour prouver ses dires, l’oriente vers des prises en charges complémentaires (se mettre en arrêt ou voir un médecin du travail par exemple), l’accompagne si elle veut saisir l’employeur pour exiger sa protection et un processus d’enquête. » Toujours en procédure contre la Poste, Emmanuelle a été accompagnée par le syndicat Sud PTT. « Il s’est porté partie civile pour moi aux prud’hommes, mais il a été aussi là pour moi moralement. Des cars ont été loués pour amener des militants le jour du procès, cette mobilisation a été d’un grand soutien », se remémore-t-elle. Dans son parcours, Emmanuelle a également fait appel à l’AVFT (Association européenne contre les violences faites aux femmes au travail), pour trouver une avocate spécialisée. Mais d’autres associations féministes existent, comme le réseau de la Fédération nationale des CIDFF, avec une antenne dans chaque département.

« Faire appel à un syndicat ce n’est pas entrer dans une démarche de conflit avec son employeur, il s’agit d’abord de se renseigner sur ses droits et ses options. » Sophie Binet, dirigeante confédérale de la CGT

La sororité : plus fortes ensemble

Si se confier à ses collègues est envisageable, se créer un réseau de soutien entre concernées peut s’avérer un appui de taille. Noémie l’atteste, ce qui l’aide à tenir, c’est la sororité : « Entre personnes qui sont passées par là on se comprend. Mes collègues femmes m’ont rassurée, et répété que ce n’était pas de ma faute. » Dans l’université où elle continue de travailler, la trentenaire se débrouille aujourd’hui pour ne plus avoir à faire avec son harceleur, mais quand elle ne peut pas y échapper, une collègue l’accompagne pour la soutenir. De la même manière, Noémie garde sa porte ouverte lorsqu’une autre des victimes de son harceleur doit aller dans le bureau de celui-ci : « Elle m’appelle après si cela ne s’est pas bien passé, on s’entraide.* »

« Entre personnes qui sont passées par là on se comprend. Mes collègues femmes m’ont rassurée, et répété que ce n’était pas de ma faute » Noémie, universitaire

Sur Internet, l’union fait également la force. Prendre connaissance de cas similaires au sien, se rendre compte qu’il existe d’autres victimes, dans sa boîte, dans son secteur… et témoigner éventuellement à son tour, permet de se révolter progressivement contre l’injustice qu’on a subie. « Sur les réseaux sociaux, les comptes comme Balance ton agency, c’est génial, cela montre vraiment qu’on n’est pas les seules, que ce n’est pas nous le problème, cela nous donne de la force », apprécie Alexia. Dans l’écume de la vague #metoo, de nombreux secteurs ont ainsi lancé leurs propres initiatives : Chair collaboratrice, Sexisme Vivant, Paye Ton Journal, Paye ton Pourboire, Paye ta robe ou encore Paye ta blouse.

Suivre une thérapie

Pour se reconstruire, que la victime obtienne gain de cause ou non sur son harceleur, il est souvent nécessaire de réaliser un travail de fond avec un psychothérapeute. Noémie, Alexia, Laura et Emmanuelle ont toutes fait cette démarche. La première, qui continue à croiser son harceleur, l’assure : « Cela m’aide que quelqu’un d’extérieur me dise que le problème ce n’est ni moi ni la tenue que je porte. Cette culpabilité reste encore très ancrée en moi. Ma psychologue me pousse aussi à trouver des techniques de défense pour savoir réagir face au harcèlement moral ou sexuel. » La thérapie peut être longue, mais permet de se reconstruire pas à pas. « Raconter tout de A à Z m’a fait du bien, j’avais besoin de verbaliser ce qui s’était passé à quelqu’un d’extérieur et de neutre, car cela peut aussi être lourd pour notre entourage », confie pour sa part Alexia.

« Il faut choisir un psychothérapeuthe qui connaît les pathologies du monde du travail et qui opérera avec la victime un travail de déconstruction sur l’organisation du monde du travail et ses mécanismes, qui favorisent les comportements sexistes, tient à préciser Marie Pezé. Un thérapeute spécialisé évitera aussi l’écueil de penser que le traumatisme d’aujourd’hui est lié à des événements plus anciens, car ce serait faire reposer la responsabilité sur la victime, or c’est bien l’inverse qu’il faut lui faire comprendre. » Et pour trouver le bon professionnel, un annuaire des consultations “souffrance et travail” existe d’ores et déjà en ligne, avec plus de 200 contacts partout sur le territoire.

« Raconter tout de A à Z m’a fait du bien, j’avais besoin de verbaliser ce qui s’était passé à quelqu’un d’extérieur et de neutre, car cela peut aussi être lourd pour notre entourage » Alexia, communicante

Être reconnue comme victime

Selon l’IFOP, seules 5% des victimes portent plainte. Pourtant, obtenir de la justice une reconnaissance de son statut de victime est souvent salvateur. « Dénoncer ce qu’on a subi aide à reconstruire, mais seulement si derrière la parole est entendue », nuance Sophie Binet. Ce qui n’est pas toujours le cas… « C’est donc à chaque victime de décider le moment et la personne vers qui elle souhaite se tourner, ajoute-t-elle. Je ne me sentais pas de vivre des mois de procédure, je n’avais ni les moyens ni l’énergie… », admet ainsi Alexia, qui n’a pas porté plainte. Pour Laura, si elle s’est résolue à saisir les prud’hommes, c’est seulement car son entreprise voulait qu’elle démissionne : « Cela a duré deux ans, cela a été dur car on ressasse tous les faits de manière détaillée, mais je ne regrette pas. L’employeur a perdu sur tous ses griefs et a été condamné à verser des dommages et intérêts, un vrai bonheur, cela rend encore plus forte pour affronter la suite, reprendre confiance en moi et ne plus me laisser faire. » Alors que son employeur faisait tout pour « la griller dans son milieu », cette décision en justice lui permet aujourd’hui d’avoir « de la crédibilité lors d’entretiens d’embauche. »

Emmanuelle, elle, a décidé de s’investir dans une longue procédure contre La Poste, qui dure depuis plus de cinq ans. Après une première condamnation de son employeur aux prud’hommes, elle a obtenu des dommages et intérêts, ainsi qu’une reconnaissance de sa maladie professionnelle. Elle mène désormais un nouveau combat pour que ce qu’elle a subi soit reconnu comme « faute inexcusable » : « La victoire aux prud’hommes m’a fait du bien, enfin on a reconnu que j’étais une victime. Ma grande fierté c’est aussi d’avoir inspiré d’autres salariés à La Poste, grâce à la médiatisation de mon combat personnel, d’autres victimes se sont mises à parler. »

Rebondir avec un nouveau travail

Partir ou renoncé ? Les victimes n’ont pas toujours le choix. Si elles sont allées en justice, 95% d’entre elles perdront leur emploi, selon l’AVFT. Celles qui décident de se taire, plus nombreuses, préfèrent souvent fuir, tourner la page avec un nouveau travail et une nouvelle équipe. « C’est souvent pendant l’arrêt de travail que les victimes prennent du recul et envisagent de partir, il faut savoir qu’il est autorisé de faire un bilan de compétences et/ou une formation pendant cette période-là », informe Marie Pezé. On peut également envisager de rester, si la situation a évolué en interne. « Si l’employeur mène un travail sur le collectif pour que l’environnement ne soit plus propice au sexisme, les choses peuvent s’améliorer. Sinon, la victime peut parfois demander une mobilité professionnelle », souligne Sophie Binet.

S’assurer que sa nouvelle entreprise proposera un cadre safe n’est pas chose aisée. « On ne peut jamais savoir si le milieu sera entièrement bienveillant, même si on peut mener quelques recherches en amont sur la réputation de l’entreprise, souligne Marie Pezé. Pour la psychanalyste. Ce qui est important c’est de reprendre le travail en ayant une meilleure connaissance de ses droits et en sachant à qui faire appel en cas de problème, pour pouvoir réagir vite si besoin. C’est se sentir entourée qui change tout. »

« Si l’employeur mène un travail sur le collectif pour que l’environnement ne soit plus propice au sexisme, les choses peuvent s’améliorer. Sinon, la victime peut parfois demander une mobilité professionnelle » Sophie Binet, dirigeante confédérale de la CGT

Pour pouvoir rebondir dans un environnement de confiance, la plupart des victimes essaient ainsi de se montrer plus sélectives en se renseignant par exemple sur les valeurs de l’entreprise. Alexia a même décidé de changer de pays : « Je travaille maintenant au Québec où l’environnement est beaucoup plus bienveillant, on n’y considère pas comme “blague” des propos sexistes, il y a plus de prise en compte du ressenti de la personne », apprécie-t-elle. Désormais, elle se fait aussi « plus confiance, notamment pour repérer les personnalités toxiques, grâce à sa psy. » Car, pouvoir de nouveau travailler, demande d’avoir mené un gros travail sur soi. « J’avais perdu toute estime de moi, je voulais arrêter d’exercer mon métier, mais j’ai bien fait de persister et de dénicher un poste ailleurs. Satisfaire des clients, recevoir des compliments sur mon travail, voir mes compétences reconnues… Cette réconciliation professionnelle m’a fait un bien fou, j’ai repris de l’assurance », raconte Laura. Car si le travail peut détruire, il peut aussi réparer.

*Les prénoms ont été modifiés.

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