Rémunération : ces phrases que vos salarié·e·s ne veulent plus entendre

30 nov. 2021

8min

Rémunération : ces phrases que vos salarié·e·s ne veulent plus entendre
auteur.e
Mélissa Darré

Editorial manager @Welcome to the Jungle

Comme tout·e manager·se ou recruteur·se, vous avez beau savoir que le sujet fait partie de vos prérogatives, vous avez toujours un petit pincement au ventre quand un de vos collaborateur·rice·s ou candidat·es aborde le sujet rémunération… Et quand vous n’y êtes pas préparé·e, vous avez tendance - on ne vous jette pas la pierre - à sortir des phrases toutes faites, trop souvent entendues, en guise de fin de non-recevoir. Des phrases qui peuvent avoir l’effet d’une bombe. Alors, pour éviter les bourdes, on vous livre les quatre pires “excuses”, à épargner à vos collaborateur·rice·s.

« Le salaire prévu pour ce poste est de 37K. Pas plus. »

Pourquoi cette phrase tue ?

Aborder la question de la rémunération lors d’un entretien d’embauche, c’est un peu comme voir pointer l’inévitable discussion politique au cours d’un repas de famille : c’est l’angoisse.
Selon une étude Indeed, 57% des Français.e.s considèrent d’ailleurs le sujet du salaire comme tabou lors de cette étape cruciale. Pourquoi ? Parce qu’ils craignent d’exposer leurs prétentions salariales dans le contexte stressant de l’entretien, cherchant à tout prix à faire bonne figure et ne pas paraître opportunistes. Voir le/la recruteur·se prendre en main le sujet sera pour la plupart d’entre eux/elles un soulagement. À condition, néanmoins, d’offrir un espace de discussion libre et bienveillant.

L’attitude anti-tabou ?
Le jeu des négociations offre l’opportunité à chacun·e de motiver et défendre les raisons de ses aspirations. Selon le budget pour ce poste, mieux vaut présenter une fourchette (disons dans le cas présent entre 33K et 37K, davantage si vous savez disposer d’une petite marge de manœuvre), que vous ferez évoluer selon le profil des candidat·e·s que vous rencontrez au long du processus d’embauche. « Je prenais le plus souvent l’initiative de la question du salaire, qui met mal à l’aise les candidats, surtout les plus jeunes qui ont des difficultés à “se vendre” », se souvient Damien, ex-manager dans une chaîne de restauration. « Si j’avais assez peu de marge de manœuvre par rapport à la grille de rémunération du groupe, j’aimais laisser à chacun l’opportunité de pouvoir s’exprimer sur le sujet, ne serait-ce que pour évaluer leur capacité à se situer par rapport au marché. »
En tant que représentant·e de l’entreprise et de sa politique salariale, il vous appartient d’en expliciter les tenants et les aboutissants en toute transparence. Et surtout sans paraître étonné·e lorsqu’un·e candidat·e aborde cette question, somme toute logique. Soyons honnêtes, vous ne travaillez pas vous-mêmes pour la gloire, si ?
Au-delà de la question du salaire (donné le plus souvent en brut annuel), ne faites pas l’impasse sur l’éventuel package d’avantages. variable, primes, tickets restaurant, intéressement, chèques cadeaux… nourrissent, eux aussi, un certain malaise, alors qu’ils peuvent nettement faire pencher la balance en votre faveur.

Ils sont allés plus loin…
Certaines structures ne s’embarrassent plus de ce jeu du chat et de la souris, préjudiciable aux candidat·e·s les plus timides ou inexpérimenté·e·s, en leur laissant le choix de déterminer leur propre salaire et leurs augmentations. Une hérésie ? Pas selon Yaël Guillon, le co-fondateur d’Imfusio, qui a mis en place cette politique dite de salaire libre. « Le salaire est un tabou. On en parle 10 min par an en “one to one” avec son manager et c’est tout. Ce manque de transparence impacte directement la confiance et crée des tensions », confie-t-il au sujet de ses motivations.

« Ici, on n’a pas les salaires les plus hauts du marché, mais on sait pourquoi on se lève le matin. »

Pourquoi cette phrase tue ?

Tout comme il existerait d’un côté les gentils et de l’autre les méchants, cette phrase nourrit une dichotomie. Celle du travail “passionqui justifie tous les compromis (comprenez les journées à rallonge avec service compris soir et week-end, le tout pour une rémunération médiocre) et du travail “bullshit”, vécu comme un fardeau et dont le salaire – avec la reconnaissance sociale et la sécurité qu’il confère – serait la seule compensation valable. De la même façon que vous trouveriez absurde de devoir choisir entre manger ou boire, vos salarié·e·s n’ont pas envie, eux/elles aussi, de trancher entre le cash ou le sens.

L’attitude anti-tabou ?
Politique salariale et qualité de vie au travail restent aujourd’hui encore les composantes essentielles de l’attractivité d’une entreprise, et donc du choix d’un·e candidat·e à accepter un poste et s’y engager dans la durée. La 12e étude annuelle Randstad sur le sujet a récemment dévoilé que le salaire (65% des répondant·e·s), l’ambiance de travail (63%) et l’équilibre vie pro/perso (58%) sont le trio gagnant au cœur de l’Hexagone. À noter que la crise n’a d’ailleurs pas eu d’effets sur les aspirations des Français·e·s en la matière, puisque ce classement est le même depuis cinq ans.
Pour favoriser l’engagement et la motivation de chacun·e, il vous revient d’accompagner vos salarié·e·s dans la recherche d’une conciliation entre leur épanouissement professionnel (voire personnel) et une “juste” rémunération. Pour déterminer au mieux cette dernière, l’objectivité prime, au risque de créer des tensions. Il vous faut donc prendre en compte à la fois le profil de votre collaborateur·rice (ses compétences, ses réalisations, etc.), l’équité par rapport à l’ensemble des salarié·e·s de l’entreprise et enfin, plus globalement, l’équité par rapport au marché.
Quoiqu’il en soit, si vous présentez des salaires en-deçà du marché, il vous revient de l’expliciter. Et surtout d’offrir des perspectives d’augmentation à vos futur·e·s recrues, qui sont en droit d’attendre davantage qu’une fiche de poste stimulante au long terme.

Ils sont allés plus loin…
L’argent ne fait certes pas le bonheur, mais dans un contexte de course aux talents, une politique de rémunération innovante reste l’un des meilleurs leviers d’attractivité et de performance. La preuve avec le cas de Gravity Payments, où le CEO a mis en place un salaire unique de 70K pour l’ensemble de ses collaborateur·rice·s (et accessoirement lui-même qui touchait jusqu’alors 1,1 million de dollars). Résultat : les bénéfices de l’entreprise ont triplé en six ans. De quoi laisser songeur non ?

« Une augment’ c’est compliqué cette année tu comprends… on en reparle l’an prochain ? »

Pourquoi cette phrase tue ?

Imaginez-vous le jour de Noël, au pied du sapin, vous ramassez l’un de vos paquets qui contient, vous en êtes sûr·e, ce cadeau que vous avez tant espéré. Mais en déchirant le papier, vous avez la désagréable surprise de trouver ce seul mot du Père Noël : « J’ai déjà tout distribué, déso… On remet ça à l’année prochaine ? Et Joyeux Noël Félix. » Ok on grossit le trait, mais vous voyez où on veut en venir non ?

L’attitude anti-tabou ?
Le caractère tabou du salaire tient pour beaucoup à ce que nous avons tendance à calquer notre valeur personnelle sur ces quelques chiffres. « Quand on nous indexe à un salaire, qui en plus n’est jamais fixé de manière réellement objective, on a l’impression que cette somme représente notre valeur intrinsèque. Donc il vaut mieux que cette valeur soit élevée, et il vaut mieux éviter les comparaisons si on veut préserver l’estime de soi de chacun ! », nous expliquait déjà le psychologue du travail Sébastien Hof dans notre article dédié au tabou de l’argent.
Mais à y regarder de plus près, seul 43% des Français·e·s sont satisfait·e·s de leur salaire. Pour plus de la moitié, toucher sa paie en fin de mois rime avec déception (14%), voire même frustration (12%).
De nombreux·ses collaborateur·rice·s choisissent de faire part de ce mécontentement lors du fameux rendez-vous de l’entretien de fin d’année, pour aborder la question (trop souvent épineuse) d’une augmentation. La plupart du temps parce qu’il s’agit du seul moment d’échange où ce sujet est, à tort, mis à l’ordre du jour. Ou du moins où ils/elles se sentent légitimes à pouvoir la poser. Ce qui rend tout ajournement de 365 jours d’autant plus difficile à encaisser. Pourquoi ne pas désacraliser la discussion en mettant le sujet sur la table lors d’échanges plus réguliers ? En plus de délier les langues, vous pourrez ainsi désamorcer facilement toute crispation et offrir une projection plus stimulante à vos salarié·e·s, au risque d’en voir plus d’un·e vous fausser compagnie.

Ils sont allés plus loin…
Pour offrir à la fois une meilleure visibilité et compréhension du sujet du salaire à ses collaborateur·rice·s, Décathlon a opté pour la mise en place d’outils digitaux, plus en adéquation avec leurs usages. Primo, un Bilan Social Individualisé digitalisé vient offrir une grille de lecture claire de la politique salariale en place, et de ses différents avantages (prime, variable, intéressement, etc.), le tout mis à jour de façon mensuelle. Deuzio, un processus baptisé Self decision & Advice Process Remuneration permet à chaque salarié·e de demander une augmentation ou prime, en sollicitant ses collègues pour connaître leurs avis et acter de la légitimité ou non de la proposition.

« Si ça ne tenait qu’à moi tu serais augmenté·e, mais je ne suis pas décisionnaire malheureusement. »

Pourquoi cette phrase tue ?

Cette réponse, c’est ni plus, ni moins que le « C’est pas toi, c’est moi » des ruptures amoureuses, appliqué au monde de l’entreprise. Un (faux) prétexte. Qui soit dit en passant ne laisse personne dupe, mais peut en revanche faire plus de mal qu’il n’y paraît, à commencer par créer un profond désengagement.

L’attitude anti-tabou ?
De la même manière que votre ex appréciera de connaître les vraies raisons qui motivent votre départ, vos collaborateur·rice·s méritent d’entendre les motifs d’un refus d’augmentation. Qu’ils soient ou non de votre fait. Parler argent ne va pas de soi au cœur de l’Hexagone, la faute à notre héritage culturel. Pour autant, en tant que décisionnaire, la patate chaude vous revient.

Soit vous n’avez effectivement pas la main sur le budget, et c’est alors à vous de défendre les augmentations auxquelles vous croyez, et de communiquer les éléments de réponse formulés par votre hiérarchie. Que vous soyez d’accord ou non avec ces arguments, s’ils sont justifiés, évitez toute forme de complaisance visant à mettre votre boss en porte à faux.

Soit vous avez un pouvoir de décision et êtes à l’origine du refus. Il est d’autant plus important dans cette perspective d’expliciter votre position. Quelles que soient vos raisons (axes de progression, contexte économique de l’entreprise, etc.), montrez-vous pédagogue et discutez avec tact en privilégiant encore et toujours le factuel. Botter en touche sur un sujet aussi délicat, c’est priver votre collaborateur·rice de pouvoir comprendre et accepter cette décision, voire éventuellement se remettre en question sur son attitude ou son travail. « Le plus difficile, c’est de savoir qu’un collaborateur mérite une augmentation et qu’elle lui est refusée sans qu’on prenne la peine de lui expliquer pourquoi », témoigne Pauline, brand content manager. « Laissé dans le flou, c’est pratiquement impossible pour lui de ne pas le vivre comme une injustice et parvenir à lui donner envie d’être là et d’y rester relève du parcours du combattant. »
La fidélisation des salarié·e·s est une question cruciale. Sachant que 76% d’entre eux/elles sont prêt·e·s à quitter leur job du jour au lendemains’ils/elles reçoivent une proposition plus avantageuse, mieux vaut trouver d’autres leviers de reconnaissance pour ne pas voir leur motivation impactée en cas de refus.

Ils sont allés plus loin…
Au fond, est-il réellement souhaitable que l’attribution d’une augmentation revienne au choix subjectif du/de la seul·e manager ou RH ? Pour plus de transparence et d’autonomie, certaines entreprises laissent le soin à leurs collaborateur·rice·s de fixer de manière collégiale les augmentations de chacun·e. Chez Web-atrio, un comité restreint se charge de ces arbitrages, après avoir rencontré l’ensemble du personnel. « Ce n’est pas parce que nous avons délégué cette tâche que nous sommes désengagés. On ne peut pas donner une liberté d’action aux gens sans leur livrer les informations et la visibilité dont ils ont besoin pour mener à bien leurs missions », confie à Challenges son CEO Rémi Gaubert.

Cet article est issu de notre dossier spécial sur le tabou de l’argent au travail. Si vous voulez comprendre pourquoi c’est compliqué de parler thunes au boulot en France, et surtout décoincer votre rapport à un sujet qui gagnerait à être franc et transparent, lisez-le. - Vous verrez, ça fait du bien.

Article édité par Clémence Lesacq ; Photos Thomas Decamps pour WTTJ