La semaine de 4 jours : pour ou contre ?
06 févr. 2023
5min
Journalist & Content Manager
Plébiscitée par 6 Français sur 10, la semaine de 4 jours commence à faire son chemin dans les entreprises de l’Hexagone. Pourtant, toutes ne sont pas prêtes à franchir le cap. Rencontre avec une RRH sceptique et une DRH convaincue du système.
Non à la semaine de 4 jours : les doutes de Yosra Daoussi, RRH chez Aymax (103 employés en France)
Un rythme difficilement soutenable
« C’est un fait : si l’on veut passer à la semaine de 4 jours, deux solutions sont possibles. Allonger les journées de travail et réduire les temps de pause, ou diminuer le temps de travail hebdomadaire, et donc par voie de conséquence la charge de travail. Or, je pense que ce n’est pas une bonne idée que de demander aux salariés de faire le même travail en 4 jours plutôt qu’en 5, d’autant que ces derniers ont déjà des agendas intenses car nous sommes une ESN (entreprise de services du numérique, ndlr) et nous plaçons des consultants dans les entreprises. Chez Aymax, nous évoluons en plus dans un milieu très concurrentiel où nous sommes tenus par des deadlines serrées vis-à-vis de nos clients. Nous ne pouvons pas non plus prendre le risque d’avoir un travail moins bien réalisé. La solution pour ne pas créer de stress serait donc d’embaucher pour compenser la baisse du volume horaire de nos salariés. Or, cela nécessiterait aujourd’hui de baisser les salaires pour financer ces recrutements. Mais je ne suis pas convaincue que les salariés soient prêts à cela, surtout dans le contexte inflationniste actuel. »
Le manque de retours d’expérience
« Si je suis pour l’heure réticente à l’idée de mettre en place la semaine de 4 jours, c’est également car on manque encore de retours sur l’impact de cette mesure. Il n’y a aucune étude sérieuse sur le sujet. Il faudra encore attendre 5 ans pour savoir si les bénéfices sont durables. Du côté des salariés, on peut imaginer qu’un week-end prolongé, c’est formidable, mais s’ils passent déjà une journée à récupérer de leur semaine de 4 jours, je ne suis pas convaincue de l’intérêt. »
Un coup marketing
« J’ai souvent l’impression que le passage à la semaine de 4 jours est brandi comme un argument marketing pour la marque employeur. Bien sûr, chez Aymax, nous essayons aussi de la travailler, mais nous ne voulons mettre en avant que des choses dont nous sommes convaincus : la flexibilité, l’autonomie, la gestion du temps de travail. Nous ne voudrions pas communiquer sur la semaine de 4 jours sans avoir mené un test en interne pendant plusieurs années auprès d’un pool pilote avec des volontaires. »
Une baisse des interactions sociales
« Si l’on passe à la semaine de 4 jours, *je crains que les salariés soient en mode pompier : ils se concentreraient sur leurs livrables et n’auraient plus de temps pour tous les à-côtés. Or, selon moi, la richesse d’une entreprise réside dans toutes les interactions informelles, le partage d’expérience, les temps de pause. Je ne pense pas que l’on puisse tout exprimer dans des 1-1, il faut aussi des temps de respiration. »
Un risque inflationniste
« On a parlé des salariés, mais quid des organisations ? Comment cela va impacter leurs performances ? On pourrait imaginer que dans certains secteurs comme l’industrie agroalimentaire, il faille obligatoirement recruter de nouveaux salariés puisque sur certains postes, notamment en usine, on ne peut pas chercher de gains de productivité supplémentaires. De ce fait, il faudrait embaucher davantage, ce qui se répercuterait très certainement sur le prix des produits. Mettre en place la semaine de 4 jours a donc un impact sur toute la chaîne, et ce n’est pas si simple. Quand j’appréhende cette question, je pense non seulement aux collaborateurs mais aussi à nos relations avec nos clients, et à la pérennité économique de l’entreprise. »
Expérience : la semaine de 4 jours chez Welcome to the Jungle
Productivité, business, bien-être... tous nos résultats dévoilés.
Oui à la semaine de 4 jours : le retour d’expérience de Camille Darde, DRH d’Elmy (105 employés)
Revoir la place du travail
« Depuis le 1er septembre 2022, nous avons mis en place la semaine de 4 jours avec une phase test qui durera jusqu’à fin mars 2023. En tant que fournisseur d’électricité verte, nous avons souhaité appréhender la question dans une perspective globale, presque philosophique : quelle est la place du travail dans nos vies ? Ne serait-ce pas une bonne chose d’apprendre à ralentir ? Quel impact cela aurait-il sur la société, et sur notre bien-être ? Nous avons commencé par revoir la charge de travail et les objectifs de nos équipes pour que cela soit cohérent avec la semaine de 4 jours. Nos cadres sont passés de 39 h à 35 h hebdomadaires, et nos employés de 35 h à 32 h, payés à 100 %. Au départ, certains collaborateurs – notamment les parents – ont eu peur du rallongement des journées, mais finalement, le passage à la semaine de 4 jours a impliqué de commencer 15 minutes plus tôt et de finir 15 minutes plus tard, avec une pause déjeuner d’1 h 30 contre 2 h auparavant. Après ces 6 mois de test, les premiers résultats sont très positifs. »
Une mesure pour tous
« La semaine de 4 jours vaut pour tous les employés d’Elmy, qu’il s’agisse de nos cadres ou des employés. Cette universalité est selon nous essentielle. Pour cela, le top management doit montrer l’exemple pour ne pas envoyer d’injonctions paradoxales aux équipes. C’est le cas de notre président qui quitte le bureau tous les soirs à 18 h pour aller chercher ses enfants. Bien sûr, certains cadres se connectent sur leur jour off s’ils le souhaitent pour des tâches stratégiques, de réflexion, mais ils n’envoient pas de messages à leur équipe à ces moments-là. »
« On peut obtenir des gains de productivité en travaillant moins. »
Une initiative gagnant-gagnant
« La semaine de 4 jours part du postulat que l’on peut obtenir des gains de productivité en travaillant moins. Mais si cela est vrai pour les cadres, ça l’est moins pour les employés. De plus, certaines de nos équipes avaient encore de grands besoins de structuration, ou une forte charge de travail liée aux changements de réglementation dans l’univers de l’énergie. C’est pourquoi nous avons dû consentir un effort de recrutement qui représente 4 à 5 % d’investissements supplémentaires que la normale. Il n’empêche : depuis la mise en place de la semaine de 4 jours, le taux d’absentéisme a été divisé par 4 chez nos employés dédiés au service client. De plus, notre capacité de recrutement a explosé : nous avons enregistré une hausse de 50 % du nombre de candidatures sur certains métiers. C’est donc vraiment une initiative gagnant-gagnant qui nous permet d’avoir des coûts stables. »
Une question de culture d’entreprise
« On soupçonne souvent la semaine de 4 jours de n’être qu’un argument pour la marque employeur. Cela peut l’être quand c’est fait n’importe comment. Par exemple, j’ai vu il y a peu qu’une entreprise ouvrait un poste en semaine de 4 jours parce qu’elle n’arrivait pas à recruter, mais on peut imaginer les tensions que cela va créer avec le reste de l’équipe qui sera en semaine de 5 jours ! Pour que cela fonctionne, il faut une culture d’entreprise qui offre de la flexibilité, qui responsabilise et autonomise. Je pense aussi qu’il faut que le collectif soit soudé. Effectivement, on peut craindre qu’en rognant sur les temps de pause, on diminue les échanges informels. Mais chez nous, les gens ont tout de même une vraie pause le midi, sans compter que les collaborateurs se lient souvent d’amitié au-delà du travail, parce que nous partageons tous un engagement commun en faveur de la transition énergétique. Je pense donc que la semaine de 4 jours, c’est formidable, mais pas adapté à toutes les entreprises ! »
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Article édité par Ariane Picoche, photo : Thomas Decamps pour WTTJ
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