“L’éducation des filles est le terreau fertile du syndrôme de l’imposteur”

14 déc. 2021

7min

“L’éducation des filles est le terreau fertile du syndrôme de l’imposteur”
auteur.e.s
Olivia Sorrel Dejerine

Journaliste indépendante

Thomas Decamps

Photographe chez Welcome to the Jungle

Aujourd’hui, viser haut, oser tout tenter ou célébrer ses réussites comme ses échecs n’est pas le crédo de beaucoup de femmes. Parmi les principales raisons à cela, les stéréotypes de genre depuis l’enfance ou encore la charge mentale qui brident les femmes dans l’évolution de leur carrière. À 29 ans, l’ingénieure en mécanique et fondatrice du site de coaching PowHER ta carrière Sarah Zitouni s’est donnée pour mission de briser ce statu quo. Son ambition est claire : permettre aux femmes de s’affirmer et de se réaliser au travail. En plus de son compte Instagram suivi par 21k followers, elle a sorti en septembre dernier son livre de conseils “Tout vouloir tout avoir” (Éd. Kiwi). Rencontre avec une battante bien déterminée à éradiquer le syndrome de l’imposteur au féminin, souvent dévastateur et encore bien trop présent.

Dans votre livre vous utilisez le champ lexical de la lutte : “conquérir” le monde professionnel, “s’armer” pour faire face au système, “pulvériser” le plafond de verre. Pour vous, être une femme dans le monde du travail, c’est un véritable combat ?

Je pense qu’être une femme, en général, c’est un véritable combat. C’est un combat à partir du moment où on décide de ne pas se conformer à l’image qu’on attend de nous, mais c’est compliqué même pour celles qui choisissent de s’y conformer car les injonctions sont tellement contradictoires qu’on est toujours en décalage. Les femmes au foyer sont traitées de feignantes, tandis que celles qui travaillent sont considérées comme des égoïstes. Ce conflit entre ce que l’on veut vraiment et ce à quoi on veut se conformer existe toujours, et je préfère qu’il existe à l’extérieur des femmes dans la société, plutôt qu’à l’intérieur d’elles-mêmes à les ronger.

Votre livre est conçu comme un guide pour aider et encourager les femmes à se réaliser dans la sphère professionnelle. Quels sont, selon vous, les principaux freins à cette envie ?

Les femmes sont confrontées à deux choses. D’une part, elles font face à une “présomption d’incompétence”, c’est-à-dire que pour un certain nombre de tâches, elles sont d’emblée considérées comme étant moins compétentes qu’un homme. Ce biais est aussi lié au “risque maternité” : les femmes sont perçues comme des utérus potentiels qu’elles soient en âge de procréer ou non, qu’elles aient choisit de devenir mère ou non, et c’est une des difficultés qui mène à tout le reste : on ne leur propose pas des tâches intéressantes, elles ne sont pas promues, on les paye moins que les hommes... D’autre part, il y a l’influence de l’éducation genrée sur les femmes. De nombreuses études montrent par exemple qu’on ne complimente pas les petites filles de la même manière que les petits garçons. Pour les garçons, ce sont des qualités actives qui ont plus trait à la personnalité comme “tu es courageux” tandis que pour les filles ce sont des qualités passives qui ont plus trait à l’apparence comme “tu es jolie”. Par ailleurs, la parole des filles, censées être “sages et discrètes”, est moins écoutée que celles des garçons. On ne construit pas assez solidement leur confiance en les laissant prendre des risques ou en les laissant s’affirmer et affirmer leur valeur par elle-même. Résultat, beaucoup de femmes ne savent pas dire non, ne savent pas demander ce qu’elles veulent, et surtout en viennent à penser que leur valeur n’est déterminée que par leur environnement extérieur via des compliments passifs, et ça c’est le terreau fertile du syndrome de l’imposteur.

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En tant que femme dans un milieu d’hommes ingénieurs, vous avez vous-même expérimenté ce syndrome… C’est de votre propre expérience que vous tirez l’idée de ce guide ?

Tout a commencé avec la création du compte PowHER ta carrière sur Instagram en janvier 2020. À l’époque, j’étais directrice commerciale dans le maritime, je gagnais bien ma vie, et j’étais arrivée à un stade où je me sentais à l’aise dans ma carrière, où j’étais fière de ce que j’avais accompli. Et puis, je me suis souvenue de ce que j’avais dû traverser pour en arriver là. Les années à perdre cinq kilos en prépa, à passer les examens dans l’angoisse car j’étais certaine de ne pas être à ma place, à avoir honte de devenir mécanicienne car je ne connaissais pas les caractéristiques des moteurs n’ayant pas grandi en lisant les magazines Auto Moto ou Turbo… Une chose m’a sauvé, c’est d’être extrêmement têtue, de ne jamais lâcher l’affaire et de me dire que j’avais le droit. Et soudainement, j’ai pris conscience qu’il devait y avoir tellement de personnes qu’on perdait en route juste parce que c’est trop difficile. Une de mes grandes craintes c’est qu’on passe à côté de la prochaine Marie Curie, de la prochaine Ada Lovelace ou de la prochaine Hedy Lamarr, bref qu’on perde une femme qui aurait révolutionnée le monde. C’est pour lutter contre cela que j’ai créé mon compte Instagram, puis les coaching, et enfin le livre.

Vous racontez avoir subi ce syndrome de l’imposteur dès vos études en école d’ingénieur. Ça commence si tôt ? À quoi le syndrome de l’imposteur est-il dû ?

Je m’en tire presque à bon compte car il y a des personnes pour qui ça commence dès le lycée. Pour moi ça a débuté en prépa : il y avait le stress, le rythme de travail, et le fait qu’il n’y avait pas vraiment de gens qui me ressemblaient. Il y avait très peu de femmes et très peu d’élèves qui venaient d’un milieu populaire comme moi. Je manquais de confiance, je ne me sentais pas à ma place. En plus, le métier vers lequel je me dirigeais, ingénieur moteur, était un métier d’homme, et je ne connaissais pas mon matrimoine, c’est-à-dire les femmes qui avaient travaillé dans ce domaine avant moi, je n’avais pas de role model.

Aujourd’hui, êtes-vous totalement libérée de ce syndrome ? Est-ce seulement possible ?

Oui absolument, mais ça m’a pris beaucoup d’années. C’est une des raisons pour lesquelles j’ai créé PowHER ta carrière : je veux que ça se passe plus rapidement pour les autres. Pour gérer ce “saboteur” comme je l’appelle dans mon livre, j’ai fait un travail personnel, j’ai consulté des études sociologiques qui m’ont aidé à comprendre le pourquoi du comment, et j’ai utilisé plusieurs méthodes pratiques qui sont dans le livre.

Vous travaillez aujourd’hui en tant que stratège au sein d’un groupe automobile majoritairement masculin. Qu’est-ce que cela vous a appris ?

Que les hommes ont besoin de nous. Dans ce milieu, certaines marques de voitures se sont complètement trompées sur des modèles parce qu’ils avaient été imaginés par des hommes blancs de 50 ans qui, n’ayant aucune idée de comment vit ou ce que veut une femme de 30 ans, sont totalement passés à côté. Ça me fascine qu’on puisse encore faire des naufrages industriels de ce type-là, sans que personne n’ait de recul en se disant que forcément, si un même produit est toujours fait par des gens du même sexe, du même âge, de la même race et du même milieu, il va y avoir des angles morts. Dans ce cas-là, le point de vue des femmes devient très intéressant. C’est toute la théorie de la licorne à laquelle je fais référence dans le livre : en fait nous sommes une licorne dans un monde de chevaux.

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Cela fait donc un an que vous coachez de nombreuses femmes via votre entreprise PowHER ta carrière. Qu’est-ce qui revient le plus souvent chez celles que vous rencontrez ?

Encore une fois, le syndrome de l’imposteur est vraiment le très grand classique. Il revient à des niveaux différents : certaines femmes ne savent pas comment s’en débarrasser et d’autres sont encore en phase de prise de conscience. Je n’ai pas coaché une seule femme qui se surévaluait ou qui avait une haute opinion d’elle-même ou de ce qu’elle faisait. L’autre sujet qu’on aborde le plus, c’est la peur de l’échec : ça revient surtout lorsqu’il s’agit de négocier son salaire ou de demander un poste plus élevé ou plus adapté. Cette peur de l’échec s’accompagne souvent d’une difficulté à dire non, à poser des limites, à exiger son dû. Dans tous mes coachings mon premier objectif c’est de réussir à rendre aux femmes la fierté de ce qu’elles sont, de tout ce qu’elles sont capables de faire et de tout ce qu’elles ont déjà accompli.

Depuis le 3 novembre à 9h22, les Françaises travaillent gratuitement jusqu’au 31 décembre du fait de l’inégalité salariale. L’écart salarial horaire brut moyen entre les hommes et les femmes tous emplois confondus est de 16,5%. C’est 1 point de plus qu’en 2020. Et l’estimation de l’année où nous atteindrons l’égalité a été repoussée à 2157, soit dans 136 ans. Qu’est-ce que cette inégalité vous évoque ?

Cela prouve que l’on avance à la vitesse des glaciers, et surtout cela continue de créer des dynamiques de pouvoir en faveur des hommes. Dans notre société capitaliste, le pouvoir est entre les mains de ceux qui détiennent l’argent, donc on continue à exclure les femmes du pouvoir économique, et donc du pouvoir tout court. C’est aussi le signe que l’on continue de considérer que l’emploi d’une femme est moins important que celui d’un homme. Il y a un biais économique : payer quelqu’un moins cher, c’est considérer qu’il a moins de valeur. Le salaire marque l’importance que l’entreprise attribue au poste d’une personne et à sa performance.

Une des raisons de cet écart de salaire est lié au fameux plafond de verre pour accéder aux postes de cadres, mieux payés. En France, plus de 22% des hommes sont cadres vs 17% des femmes. Et même quand elles sont cadres, les femmes gagnent 20% de moins. Comment briser ce plafond de verre ?

La problématique du plafond de verre se nourrit par tout ce qui se fait en aval. Ça commence par ce qu’on appelle l’échelon manquant : les femmes ne sont pas promues dans les premiers niveaux de management, elles ont donc moins de chance d’accéder à des positions haut gradées. Par ailleurs, après un premier enfant, un bon nombre finissent souvent par quitter le monde du travail ou par laisser tomber leur ambition car tout est rendu impossible pour qu’elles puissent combiner foyer et carrière. Or, avec leur expérience à 40-45 ans, c’est pile le moment où elles pourraient accéder à des postes dirigeants sauf qu’à 35 ans on les a déjà perdus. On peut briser le plafond de verre en gérant les échelons inférieurs, en se concentrant sur madame tout le monde.

Quel est LE conseil que vous donneriez à toute femme freinée dans sa carrière ?

“Fais toi passer en premier” dans ta carrière comme dans ta vie. Car si tu ne prends pas soin de toi, personne ne va le faire, et ce n’est pas de l’égoïsme. Ça vaut pour tout : dire non quand c’est trop, changer d’employeur quand c’est toxique ou encore négocier son salaire car tu le mérites.

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Article édité par Clémence Lesacq ; Photos Thomas Decamps pour WTTJ

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