« Le port du masque affecte notre productivité ! » Isabelle Barth, chercheuse

17 sept. 2020

4min

« Le port du masque affecte notre productivité ! » Isabelle Barth, chercheuse
auteur.e
Romane Ganneval

Journaliste - Welcome to the Jungle

Depuis la rentrée, et en dehors de quelques exceptions (bureau individuel, certains ateliers…), les salariés qui ont retrouvé le chemin de l’entreprise doivent porter le masque toute la journée. Si certains regrettent déjà la fin des sourires complices à la machine à café, les grimaces derrière le dos de leur manager et les messes basses dans les couloirs, selon Isabelle Barth, le masque nuirait également à… notre productivité ! Afin de comprendre comment un bout de tissu qui recouvre la moitié de notre visage peut altérer nos performances au travail, la chercheuse et professeure en sciences de Management à l’Université de Strasbourg a accepté de répondre à nos questions.

Le port du masque en entreprise affecte-t-il notre travail ?

Même si je défends le port du masque au travail, ce dispositif pose trois problèmes. D’abord, il y a l’inconfort physique. Le masque nous gratte le nez, nous empêche de respirer normalement… Et je ne vous parle même pas de la buée pour ceux qui portent des lunettes ! Ensuite, il y a ce que l’on appelle “la disparition des signaux faibles”. En cachant le bas de notre visage, le masque filtre certaines émotions. Cette situation est très handicapante dans le milieu professionnel où la communication non-verbale permet de passer des messages tout aussi importants que ceux transmis par la parole. Aujourd’hui, on ne sait plus trop comment nos collègues vont et encore moins si le rendez-vous client s’est véritablement bien passé. Mais surtout, et c’est là que j’attire votre attention, le masque peut avoir un impact sur nos ressources cognitives (capacités de notre cerveau qui nous permettent de communiquer, de percevoir notre environnement, de nous concentrer, ou d’accumuler des connaissances, ndlr) et affecter notre productivité.

« Cette situation est très handicapante dans le milieu professionnel où la communication non-verbale permet de passer des messages tout aussi important que ceux transmis par la parole. »

Comment l’expliquez-vous ?

Nous avons l’impression que nous sommes multitâches avec nos écrans, c’est vrai, mais jusqu’à un certain point. Contrairement à ce que l’on pourrait penser - et c’est bien dommage -, nos ressources cognitives sont limitées. Le fait de porter le masque en entreprise, en nous rappelant en permanence la crise sanitaire que nous traversons, a une emprise sur notre mental. C’est à cause de ce virus que le mariage de notre nièce a été annulé, que notre ami est malade, que nous avons perdu un proche… Ce que je prédis aujourd’hui, c’est que ce masque qui nous encombre, ou comme dirait l’expression “nous prend la tête”, va avoir un réel impact sur notre capacité à gérer nos émotions au quotidien. Et quand celle-ci diminue, nous sommes moins vigilants, nos facultés intellectuelles sont plus faibles et notre aptitude à nous concentrer en classe ou à être performant au travail baisse. C’est ce que l’on appelle “l’épuisement du moi”.

« Ce masque qui nous encombre […] va avoir un réel impact sur notre capacité à gérer nos émotions au quotidien. »

Selon vous, le masque en nous rappelant la crise sanitaire, nous déconcentre au point de nous rendre moins performant. Pourtant, dans la vie de tous les jours, il nous arrive de décider de ne plus penser à tel ou tel événement pour nous concentrer sur ce que nous avons à faire d’urgent. N’est-il pas possible d’influencer notre propre cerveau ?

Plusieurs expériences ont montré que nous ne choisissons pas réellement. À ce sujet, l’étude réalisée par les docteurs Vohs et Faber en 2007, sur des étudiants est particulièrement intéressante. Les chercheurs ont divisé les volontaires en deux groupes. Au premier, ils ont demandé de ne penser sous aucun prétexte aux ours blancs et au second rien de particulier. Après avoir rempli des questionnaires, les participants ont reçu 10 dollars qu’ils pouvaient garder ou dépenser en bonbons, sodas… Il a été montré que le groupe qui s’était battu contre la pensée de l’ours blanc avait dépensé plus que l’autre. La préoccupation de ne pas penser à quelque chose avait réduit leur capacité à gérer leurs émotions et les avait rendus plus impulsifs, moins maîtres d’eux-mêmes. C’est un peu la même chose lorsqu’une personne est au régime et voit des bonbons qui lui sont interdit… Ce que je veux dire par là, c’est que le masque n’est pas encore naturel pour nous, il nous parasite. Le masque deviendra un automatisme, mais ça prendra du temps. Comme disait Fiodor Dostoïevski : « L’homme s’habitue à tout, le lâche. »

Pour ne pas être gêné par le masque, le télétravail est-il une solution ?

Le télétravail pose d’autres problèmes comme l’isolement, et nécessite un management adapté, ce qui n’est pas toujours possible. Aussi, on ne peut pas justifier le télétravail pour simplement poser son masque, il nécessite d’être équipé, d’avoir un espace dédié et d’avoir des chefs qui ne pensent pas qu’on se tourne les pouces parce qu’on est chez soi… Ce que je préconise, c’est d’alterner deux jours de télétravail par semaine et du présentiel. Mais cela ne règle en rien le problème du masque.

« On ne peut pas justifier le télétravail pour simplement poser son masque. »

Si le masque affecte nos performances et le télétravail n’est pas la panacée, alors que préconisez-vous ?

Ce que je souhaite, c’est surtout sensibiliser les entreprises sur l’impact cognitif du masque. D’abord pour ouvrir un débat parce que nous ne sommes pas tous aussi sensibles aux changements, mais aussi pour que les managers acceptent ce fléchissement général en faisant preuve d’un peu plus d’indulgence et de bienveillance envers leurs salariés. Soyons patients !

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Photo d’illustration by WTTJ

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