Gaspard G. : "C’est un privilège de commencer sa carrière dans les années 2020"

27 janv. 2022

7min

Gaspard G. : "C’est un privilège de commencer sa carrière dans les années 2020"
auteur.e.s
Thomas Decamps

Photographe chez Welcome to the Jungle

Elise Assibat

Journaliste - Welcome to the Jungle

Depuis ses premières vidéos filmées dans les tréfonds de sa chambre à seize ans, Gaspard G. ne s’est plus jamais arrêté de créer. Huit ans plus tard, sa popularité sur les réseaux grandit encore, et ce sont près de 56 000 abonné·e·s qui le suivent chaque jour sur ses différentes plateformes. Mais entre sa chaîne Youtube, le journalisme et les conférences à l’échelle du pays, ce sont surtout les projets qui s’enchaînent à vitesse grand V. Déjà fondateur de l’agence de création multidisciplinaire Intello, le vingtenaire a récemment participé à un tour de France des usines organisé par la BPI, et a lancé avec ses associés la désormais célèbre application Elyze, aussi connue comme le “Tinder de la présidentielle”. (L’interview a été réalisée avant les polémiques sur le traitement des données de Elyze, NDLR). Rencontre avec un entrepreneur tout-terrain dont l’ambition est de faire le pont entre les générations.

Il y a un an, à 23 ans, tu devenais le porte-parole de ta génération, après une vidéo sur le mal-être des étudiants pendant les confinements… Aujourd’hui en 2022, quelle analyse fais-tu du rapport des jeunes au travail ?

Je pense que les définitions du mot “travail” pour la génération de mon grand-père et de mon père sont totalement différentes de la mienne. Avant il fallait un boulot dans la mesure où on n’avait pas le choix, et si c’était bien payé, c’était le jackpot. Aujourd’hui notre génération me paraît bien plus en quête de sens et exprime cette envie de comprendre dans quoi elle met son énergie. Pour moi, c’est un privilège de vivre dans ces années 2020 et encore plus de démarrer ma carrière à ce moment-là car, contrairement à ce que l’on peut penser, les opportunités sont partout. Et même si la pandémie ralentit beaucoup de projets et a nécessité de s’adapter, elle a aussi donné lieu à des expériences que l’on n’aurait jamais pu faire autrement. Typiquement, j’ai des copains qui sont en télétravail depuis six mois et qui en profitent pour traverser l’Europe en même temps. Les jeunes sont bien plus ouverts d’esprit dans leur manière d’imaginer leur vie pro.

En 2017, tu as 19 ans et tu montes Flick, une société de production audiovisuelle dont tu seras à la tête jusqu’en 2019. Lancer sa start-up aussi jeune, c’est un frein ou un avantage ?

Clairement un avantage ! Dans ma famille, plus tu montes ta boite jeune mieux c’est, parce que c’est l’idéal pour se tromper et recommencer. Et en effet je préfère me planter à vingt ans plutôt qu’à cinquante, lorsque tes erreurs peuvent mettre en péril tes proches ou ta famille. Il y a moins de pression. Encore aujourd’hui, je me fais violence au quotidien pour prendre le plus de risques possibles afin de maximiser au mieux cet apprentissage. Il faut tout de même faire attention à ne pas s’enfermer dans le rôle de “celui qui a entrepris jeune”, au risque de faire du jeunisme. Nos idées ne sont pas bonnes seulement parce qu’on a vingt ans. En revanche, cela nous permet plus d’agilité, c’est certain.

En parlant d’agilité, penses-tu que celle-ci soit caractéristique de ta génération ?

Je pense que le fait d’avoir grandi avec internet a permis à beaucoup de jeunes de maîtriser plusieurs compétences par eux-mêmes. Avant c’était plus compliqué de chercher une information, alors qu’aujourd’hui on vit un peu dans un monde de tous les possibles, où apprendre à coder, à monter, à créer une application ou un site ça ne coûte presque rien. Alors se découvrir un ou des métiers grâce à l’écrasante majorité de contenu gratuit en ligne, c’est à la portée de n’importe qui dès lors qu’on a la niaque et l’envie de se donner les moyens.

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Tu as l’impression d’avoir manqué de modèle d’entrepreneur ?

Très honnêtement non. C’est beaucoup plus simple pour un mec comme moi d’avoir des modèle d’entrepreneurs inspirants que pour une jeune femme issue de l’immigration. Il y a un sacré problème de représentativité dans ce milieu. Et au-delà de la vague “start up nation” qu’on a vu naître en 2017, je pense qu’il faut davantage insuffler cette culture de l’entrepreneuriat à tous les jeunes français, pas seulement ceux issus des milieux privilégiés. Heureusement, de plus en plus d’initiatives vont dans ce sens comme le format assez novateur de l’École 42. Je trouve ça génial de me dire que si tu sais coder, pitcher et que t’es un peu créatif tu arriveras à tes fins, peu importe que tu sois un homme, une femme, issu de l’immigration, sorti de grandes écoles ou de quartiers défavorisés. Et je pense qu’internet permet - en tout cas de manière plus globale - cette émancipation à la fois professionnelle et passionnelle.

Toi qui a choisi la voie de l’entreprenariat assez jeune, qu’est-ce que tu préfères dans ton travail ?

La liberté, sans hésitation. D’ailleurs quand j’ai eu mon diplôme, on m’avait proposé des postes dans des grosses boîtes à Montréal mais je savais déjà que j’avais envie de m’en sortir seul. Je voulais décider de mon propre chemin et pouvoir toucher non pas à un, mais à tous les champs qui allaient pouvoir m’intéresser. Cette notion de responsabilité dans le fait de pouvoir choisir, je la trouve cruciale.

« On vit dans un monde rempli d’étiquettes et surtout en France, où on adore te ranger dans des cases pour savoir d’où tu viens socialement et ce que tu fais dans la vie. Souvent, je suis mal à l’aise quand je suis invité sur des émissions de grandes antennes car je sens bien qu’on ne comprend pas mon métier et que ça agace » - Gaspard G., Youtubeur

C’est sûr qu’entre les vidéos sur youtube, le journalisme et les courts métrages… Difficile de te coller une étiquette ! Comment expliques-tu cette faculté à toucher à toutes ces activités ?

Je suis quelqu’un de très curieux, d’assez créatif et je fonctionne beaucoup à l’envie. Chaque début d’année j’essaie de faire le point sur ce que j’ai envie de continuer cette fois-ci, ce que j’ai envie de délaisser et ce que j’ai envie d’apprendre. Alors se définir est toujours un exercice un peu compliqué pour moi parce que c’est quasi impossible de trouver un mot qui englobe toutes ces activités. Même si bien souvent j’utilise les mêmes compétences dans chacun de mes projets. Par exemple, le lancement de l’application Elyze a été une expérience assez nouvelle et pourtant ce n’était pas si différent de ce que je faisais d’habitude. On est à peu près dans la même mission globale que mes vidéos, à savoir de donner du sens et accompagner ma génération dans une ouverture sur le monde, mais cette fois-ci à travers un outil tech. Ce n’est finalement pas si incohérent. Et même si mon métier n’a pas beaucoup de sens pour tout le monde, il en a beaucoup pour moi car il me permet d’avoir un emploi du temps très varié et d’apprendre toujours plus.

C’est un problème pour toi d’avoir du mal à te définir par ton métier dans notre société actuelle ?

Oui un peu. On vit dans un monde rempli d’étiquettes et surtout en France, où on adore te ranger dans des cases pour savoir d’où tu viens socialement et ce que tu fais dans la vie. Souvent, je suis mal à l’aise quand je suis invité sur des émissions de grandes antennes car je sens bien qu’on ne comprend pas mon métier et que ça agace. Pourtant on est une génération hyper flexible qui trouve beaucoup de sens dans l’adaptabilité. D’autant plus lorsqu’on sait le peu de chance qu’il y a qu’on fasse le même métier toute notre vie. Le monde du travail est en train de changer et les écosystèmes évoluent eux-aussi, mais ce décalage est encore très prégnant.

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Avec l’application Elyze, vous tentez de reconnecter les jeunes à la Politique et au système démocratique. Pour toi, il y a actuellement une scission entre les générations, notamment dans les nouvelles formes de communication ? (L’interview a été réalisée avant les polémiques sur le traitement des données de Elyze, NDLR)

Il y a une incompréhension vis-à-vis des usages qui ne sont plus les mêmes qu’avant, c’est certain. Pourtant réconcilier les générations autour des mêmes enjeux et préoccupations est tellement important. D’ailleurs, c’est ce qu’on fait aujourd’hui lorsqu’on va voir des salariés seniors dans leurs bureaux pour leur expliquer pourquoi communiquer avec des nouveaux influenceurs ou des vulgarisateurs serait beaucoup plus bénéfique pour eux que de payer une pub à la télé. Et autant avec notre agence Intello qu’avec Elyze, je pense qu’on arrive à faire le pont entre tout ce monde.

Cet été tu as participé au “Big Tour de la BPI” et cet événement t’a permis de faire un tour de France des usines pour parler de ton métier. As-tu découvert un monde qui t’était étranger ?

J’avais cette image très grise du monde ouvrier, tout droit sortie des “Temps Modernes” de Charlie Chaplin. Évidemment ça n’était pas le cas du tout. D’ailleurs il n’y avait pas que des chaînes de production, il y avait aussi des types qui produisaient du miel avec un rythme intensif, d’autres qui produisaient des flacons de parfums… Et d’un point de vue humain j’ai découvert bien plus de jeunes que je pensais. Mais surtout j’ai rencontré des entrepreneurs et des ouvriers 2.0 qui avaient profondément envie de réindustrialiser la France et de donner un nouveau souffle créatif au pays.

« Même si le cœur des usines n’est pas le même partout, je suis convaincu qu’il y a aujourd’hui une volonté globale de faciliter la vie des travailleurs et de répondre aux nouvelles attentes de notre époque » - Gaspard G.

Un youtubeur de 24 ans face au monde ouvrier ce n’est quand même pas anodin. Qu’as-tu retenu de cette expérience ?

Que les choses bougent ! La simple démarche de la BPI de faire le choix de nous envoyer face à un public habitué à des conférences menées par les grands patrons, et de nous laisser carte blanche pour mettre en avant cinq usines françaises, c’est super intéressant. Ça montre aussi qu’il peut y avoir de plus gros moyens mis en place, au-delà des motivations individuelles à se rendre plus agiles, pour avancer dans ce sens là. Et même si le cœur des usines n’est pas le même partout, je suis convaincu qu’il y a aujourd’hui une volonté globale de faciliter la vie des travailleurs et de répondre aux nouvelles attentes de notre époque.

Finalement, vos mondes étaient-ils si différents l’un de l’autre ?

Ils sont certes plus éloignés en raison des quotidiens qui différent mais j’ai ressenti qu’au bout du compte, les aspirations étaient les mêmes. Par exemple, cette ambition de mettre en avant le génie du savoir-faire français, c’est quelque chose qui me parle beaucoup. D’ailleurs, une preuve tangible de cet intérêt commun est que l’une des entreprises que l’on a visité sur les cinq nous a rappelé justement pour imaginer des campagnes créatives avec eux. Nous, Intello, une petite start up avec une moyenne d’âge de moins de trente ans, pour produire le contenu vidéo d’un leader mondial dans son secteur sur trois continents. Ça témoigne bien d’une même envie d’avancer ensemble je trouve.

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Article édité par Clémence Lesacq ; Photos Thomas Decamps pour WTTJ

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