Mais pourquoi n’y a-t-il que des femmes dans les RH ?

03 janv. 2023

6min

Mais pourquoi n’y a-t-il que des femmes dans les RH ?
auteur.e
Paulina Jonquères d'Oriola

Journalist & Content Manager

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Les femmes occupent environ deux tiers des fonctions RH. Comment expliquer cette « ghettoïsation » de la profession ? Est-elle liée à son histoire ou intriquée à une série de stéréotypes ? Enquête sur une profession de plus en plus scrutée.

Les chiffres sont formels : 63 % des professionnels des RH sont des femmes (Baromètre APEC – ANDRH 2014). Un constat partagé de manière empirique par tous les interlocuteurs que nous avons sollicités. Et dans les formations dédiées aux ressources humaines, l’écart est encore plus important : « Cette année, je n’ai que 23 % d’étudiants garçons, une proportion assez stable puisqu’en général, ils représentent un quart des effectifs », rapporte Vincent Meyer, Professeur assistant à l’EM Normandie, spécialiste des ressources humaines. Bien sûr, il existe également des hommes, mais ils sont surreprésentés dans certaines fonctions, et plus précisément celles où les enjeux de pouvoir sont les plus importants. Mais alors, comment expliquer de telles disparités ? Chaque année, Caroline Diard, enseignante-chercheuse en management des ressources humaines et droit à l’ESC Amiens, tente de le comprendre. Elle questionne ses étudiantes sur leurs motivations à intégrer la formation RH. Et à première vue, les filles sont attirées par la dimension « care » de la fonction : « Ce qui leur plaît, c’est l’échange, la communication, la bienveillance. De mon côté, je suis assez directe et leur explique qu’il ne s’agit pas d’un métier de bisounours ».

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Le métier des RH est-il féminin à l’origine ?

Pour mieux comprendre cette surreprésentation des femmes dans les milieux RH, il est intéressant de remonter le fil de l’histoire. « La fonction RH n’est pas féminine à l’origine ! », constate Caroline Diard. Comme l’expliquent les travaux de Jean-Pierre Bouchez, directeur des études du groupe Merlane et conférencier international, l’ancêtre de la fonction RH apparaît dans les années 1820 avec le directeur d’usine et les contremaîtres. À partir de 1880, les premiers services du personnel naissent avec comme mission principale le recrutement massif. Après les courants du fordisme et du taylorisme, la fonction évolue pendant les trente glorieuses avec la création de l’ANDCP en 1947 (association nationale des chefs du personnel). Puis les chocs pétroliers mènent à un enrichissement progressif des tâches. « Mais c’est en 1990 que la fonction devient plus stratégique et se mue en atout de compétitivité. On commence alors à parler de services RH », rapporte Caroline Diard.

Une « ghettoïsation » de la profession ?

C’est justement dans les années 90 que notre enseignante-chercheuse commence ses études dans les RH. Or, l’ouverture des premières formations exclusivement dédiées aux ressources humaines joue un rôle pivot dans la féminisation de la fonction. « Jusque-là, on retrouvait beaucoup d’hommes qui venaient de la finance, des centraliens, des ingénieurs », poursuit Caroline Diard. La professionnalisation de la fonction RH ouvre donc la voie aux femmes. Mais pourquoi s’y engouffrent-elles ? « Parce que ces formations étaient moins portées sur les chiffres et davantage sur l’aspect psycho, socio et organisationnel. Personnellement, c’est ce qui m’a attiré car je ne me voyais pas en finance. Et c’était une erreur car maintenant, on remet les chiffres au cœur des formations », ajoute-t-elle. En effet, les choses ont changé depuis la fin des années 90. « Les aspects juridiques et financiers, avec les politiques de rémunération et de gestion des salaires, sont devenus importants dans la formation RH », souligne Vincent Meyer.

Toutefois, force est de constater que la « ghettoïsation » des professions dénoncée par Michel Ferrari, fondateur de l’Observatoire SKEMA de la féminisation des entreprises, est bien à l’œuvre depuis les bancs des écoles de commerce jusqu’aux comités de direction. En effet, même si les choses évoluent, les filles se tournent encore massivement vers les masters RH et marketing, quand les garçons vont plus facilement vers le business et la finance. Idem au sein même de la fonction RH. D’après le baromètre APEC-ANDRH, les femmes occupent 77 % des postes dans l’administration RH, et 76% dans le développement RH. « C’est vrai que j’observe plus de garçons voulant par exemple s’orienter vers les fonctions de recrutement qui sont plus liées à des enjeux commerciaux », souligne Vincent Meyer. Et pour des postes identiques, il note que les garçons négocient mieux leurs salaires.

« Les hommes n’ont pas lâché le pouvoir »

Quant au poste de DRH, on voit que la fonction attire plus les hommes proportionnellement à leur représentation initiale dans la fonction RH : ils représentent tout de même 41 % des DRH (alors que, rappelons-le, ils constituent un quart des étudiants dans la filière RH). « Cela s’explique facilement : les postes de DRH sont très stratégiques, et les hommes n’ont pas lâché le pouvoir alors que les femmes s’imposent encore un plafond de verre », lâche Caroline Diard qui souligne que ces jobs ne sont de surcroît pas toujours occupés par des gens spécifiquement formés aux ressources humaines. L’experte met aussi à jour un effet générationnel : « Lorsque j’étais DRH, il y avait moins de femmes à ces fonctions car les doubles carrières étaient moins développées. De mon côté, j’ai pu exercer ce métier car je pouvais compter sur mon mari ».

Et lorsque les femmes accèdent aux postes de DRH, ce qui est heureusement le cas dans une majorité d’entreprises, voilà l’occasion parfaite pour assurer la parité dans les comités exécutifs. « C’est vrai que dans les Comex, on retrouve souvent les femmes aux fonctions de DRH, Directrice RSE ou de la Communication », pointe Vincent Meyer. « Je me suis émue de cette répartition classique entre les hommes et les femmes dans mon précédent livre (« La team - Le jour où j’ai quitté mon Comex pour une startup » (Dunod), comme si les femmes étaient plus douées pour panser les plaies et les hommes pour occuper des postes à fort leadership », lance Bénédicte Tilloy, ex-DRH de la SNCF et experte du Lab Welcome to the Jungle. Pour notre spécialiste, il faut donc se méfier de ce « consensus mou » qui pousse naturellement les femmes vers ces jobs, quand elles y trouvent aussi une forme de confort. « Certaines femmes hésitent encore à prendre des fonctions business exigeantes, tout simplement car elles souffrent davantage du syndrome de l’imposteur et attendent d’avoir 100 % des compétences pour y aller », affirme-t-elle.

Lorsque les femmes sont soumises à la « falaise de verre »

Souvent perçue comme déshumanisée, complice du pouvoir, et là pour faire le « sale boulot », la fonction de DRH place les femmes en première ligne dans la prise de décisions difficiles. N’a-t-on pas affaire ici à ce que l’on nomme la « falaise de verre » ? Ce phénomène consiste à promouvoir les femmes en temps de crise, les installant sur des sièges éjectables. « J’ai personnellement occupé ce genre de poste », affirme Bénédicte Tilloy. En effet, lorsqu’elle était à la SNCF, notre experte a pris la direction des ressources humaines des contrôleurs de train. « Une population mal comprise dans son travail au quotidien et qui a beaucoup été en grève », pour laquelle Bénédicte Tilloy a eu carte blanche : « J’avais conscience que mon poste était casse-gueule mais on m’a laissé m’y prendre comme je voulais. Il faut croire que je ne me suis pas trop mal débrouillée puisque j’y suis restée 6 ans », raconte-t-elle.

De son côté, Caroline Diard a elle aussi joué sa propre place à plusieurs reprises lorsqu’elle était DRH : « Je ne suis pas sûre que l’on nous mette volontairement sur un terrain glissant, mais je pense que l’on nous reconnaît une forme de courage et de capacité à négocier pour mettre tout le monde autour de la table ». Caroline Diard se souvient notamment avoir dû gérer le dossier de licenciement de son PDG, et s’être battue pour lui assurer des conditions de départ honorables. « Pour moi, un licenciement n’est pas juste un acte technique. Cela m’a fait passer de nombreuses nuits blanches, et je ne sais pas si un homme dans la même situation que moi aurait joué sa propre tête dans la négociation », se souvient-elle.

« La vision du DRH qui ne ferait qu’exécuter le plan économique du PDG est datée. »

« Les femmes ne sont pas là pour jouer aux infirmières »

Alors qu’elles sont initialement attirées par le « care », les femmes RH se retrouvent dans des situations propices aux injonctions paradoxales. « Il faut optimiser la masse salariale, tout en s’assurant que les gens se portent bien », analyse Caroline Diard. Un rôle « d’équilibriste » dans lequel les femmes se révèlent, obligées de mettre en œuvre toutes leurs compétences pour renouer avec le dialogue social. L’occasion pour elles de prendre la place qu’elles méritent, surtout à l’heure où le marché du recrutement est tendu : « Plus que jamais, les fonctions de DRH sont au cœur du business. Alors si les femmes y sont plus présentes, cela va leur donner plus de poids dans l’entreprise », affirme Vincent Meyer. Il est vrai que les DRH de certaines organisations en vue sont devenues des personnalités très suivies sur les réseaux sociaux professionnels, de vraies stars ! Par exemple, Camille Goni, Head of Talent Acquisition chez Shine, est suivie par plus de 26 K personnes sur LinkedIn. Jean-Claude le Grand, directeur général des relations humaines de L’Oréal, compte lui plus de 28 K abonnés, et Caroline Guillaumin, DRH et Dircom de la Société Générale, plus de 11 K.

« La vision du DRH qui ne ferait qu’exécuter le plan économique du PDG est datée. Les femmes prennent de plus en plus leur leadership, elles ne sont pas là pour jouer les infirmières mais bien pour être au centre de la conduite du changement et des décisions stratégiques de l’entreprise », souligne Bénédicte Tilloy. Et d’ajouter : « En démultipliant l’engagement des collaborateurs, la performance économique est au rendez-vous. C’est comme cela que les femmes DRH parviennent à retrouver leur alignement ». Et pour boucler la boucle, Caroline Diard rappelle que si l’on souhaite que les femmes s’engouffrent vers la finance et le business, il en va de même pour les hommes dans les postes réputés féminins… à commencer par les ressources humaines !

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Article édité par Ariane Picoche, photo : Thomas Decamps pour WTTJ