Hyper-connexion : le business de la déconnexion peut-il nous sauver ?

16 févr. 2022

6min

Hyper-connexion : le business de la déconnexion peut-il nous sauver ?
auteur.e.s
Thomas Decamps

Photographe chez Welcome to the Jungle

Olivia Sorrel Dejerine

Journaliste indépendante

En un mois, on aura passé plus de temps à caresser l’écran de notre smartphone que notre bien-aîmé·e en une vie ; chaque semaine on consulte 1 050 fois notre portable versus 25 fois à manger et dans une existence on passe cinq ans sur Internet versus 0,31 an à rire… Ce genre d’anecdotes vous angoisse ? C’est peut-être le début d’une prise de conscience de notre hyper connexion. Car si les outils numériques ont beaucoup de bénéfices, ils occupent aujourd’hui une place primordiale dans notre quotidien, et ont un véritable impact dans nos vies pro et perso. Face au risque de burn-out digital, on assiste alors à l’émergence d’un vrai business de la déconnexion : retraites silencieuses toujours plus insolites, coffee-shop 100% déconnectés, applis dédiées ou encore stages chez des coachs spécialisés… Mais est-ce vraiment la solution ? On a creusé la question.

De grandes baies vitrées avec vue sur un parc arboré et les nuages, un silence apaisant et des téléphones muselés pour garantir une solitude reposante… Bienvenue au Green Lab, un salon de thé de Séoul où les consommateurs paient avant tout… pour déconnecter. À leur arrivée, ils sont accueillis avec un panier rempli de thés, de fleurs, de stylos et de papiers à lettre pour garantir une immersion relaxante totale. Depuis quelques mois, ce genre d’endroits “pour souffler” se multiplient en Corée du sud, où la jeunesse cherche à tout prix à échapper à une vie à mille à l’heure, trop connectée. Et ils ne sont pas les seuls.

A l’image de Pascal Forget, journaliste technologique au Canada et auteur du blog pascalforget.com, qui depuis son expérience de digitale détox d’une semaine chez lui, tente d’y avoir recours aussi souvent que possible. « J’en suis revenu très zen, ressourcé, avec une meilleure approche de ma consommation de technologie », raconte-t-il. « Si j’adore désormais décrocher complètement le week-end, le matin ou en fin de journée, je dois être connecté pour travailler alors plutôt que de viser la déconnection totale, je tente de limiter toutes les distractions - réseaux sociaux, notifications - pour éviter la dispersion. »

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Burn-out et crises de nerfs

Avec la pandémie et le télétravail obligatoire, notre hyper-connexion a encore explosé. Et avec elle, l’envie et le besoin de déconnecter. Le travail à la maison a accentué le blurring – cet effacement de la frontière entre vie privée et vie professionnelle qui plonge les salariés dans un état de veille permanent. « La pandémie est intervenue dans un contexte où le numérique prend de plus en plus de place, or ce dernier augmente notre difficulté à déconnecter psychiquement du travail », explique Marie Pezé, psychologue spécialiste de la souffrance au travail.

En effet, alors qu’il est compliqué de ne plus penser aux tracas du travail une fois chez nous, la possibilité que l’on a d’avoir accès à l’intranet en permanence couplée à notre tendance au présentéisme nous « scotchent à l’entreprise » le soir ou le week-end, avec tous les travers que cela engendre comme « l’angoisse, par exemple, de perdre son travail si jamais on se déconnecte », pointe la spécialiste.

Pour autant, le droit à la déconnexion, qui depuis 2017 donne le droit aux salariés français de ne pas être connectés en dehors des horaires de travail, n’est dans les faits pas véritablement appliqué par les entreprises. Et ce manque d’actions des sociétés se fait ressentir : en 2020, 69 % des cadres souhaitaient disposer d’un droit à la déconnexion effectif.

Or, cette superposition complète des sphères professionnelles et personnelles présente le risque pour les travailleurs de développer deux types de pathologies : le « burn-out, lorsque la saturation du cerveau porte atteinte à nos capacités de mémoire, de concentration ou encore de logique » et « le pétage de plombs, c’est-à-dire des crises psychiques aiguës telles que l’hypertension, l’évanouissement ou encore la crise de nerfs », précise la docteure.

En plus des risques sur notre santé mentale, la dictature de l’immédiateté et de la réactivité permanente liée à l’hyper connexion nous empêche de penser. « Elle court-circuite la pensée et l’imaginaire et donne une prépondérance aux mécanismes purement cognitifs et visuels (…) il n’y a plus jamais le temps de rester là à réfléchir puisqu’on est sans cesse stimulé de l’extérieur pour des réponses courtes et immédiates », abonde Marie Pezé. Et surtout, l’entremêlement de la vie pro et perso permise par la connectivité pousse « le salarié a vouloir optimiser chaque moment de sa journée en utilisant la moindre nanoseconde pour tenter d’être à jour (…). Il n’y a plus jamais aucune pause dans le temps de travail », conclut la psychologue.

Un business de la déconnexion qui prolifère

Si certains surfent sur la tendance de la déconnexion depuis une dizaine d’années déjà - les marques telles que Kit Kat avec des No-zones WIFI ou Nescafé avec une série de spots publicitaires autour de la reconnexion, les hôtels avec des séjours de déconnexion aux quatre coins du monde, ou encore certains cafés, aux Etats-Unis notamment, où Internet et les portables sont bannis –, des solutions technologiques plus radicales ont aussi commencé à voir le jour ces dernières années.

Ainsi, les applis mobiles pour réguler les connexions se multiplient comme Calldoor qui permet à une entreprise de gérer à distance les usages des smartphones professionnels de ses salariés ou encore Flipd qui bloque l’accès à différentes applications après une certaine limite de temps. (Histoire de mettre fin au scrollage infini d’Instagram par exemple…) En parallèle, les applis de méditation comme Mind ou Petit Bambou qui invitent à se reconnecter à soi comptent des millions d’inscrits, et les livres qui donnent des conseils sur la déconnexion font un carton.

Mais même chez ceux qui essaient de déconnecter comme Pascal, la tentation prend parfois le pas malgré tous les outils utilisés : « Il y a tellement de sollicitations - une vidéo YouTube, vérifier si on a reçu un nouveau courriel, aller voir les nouvelles publications sur Instagram, Linkedin ou Facebook… Réussir à résister à une stimulation nouvelle est très difficile, surtout dans les premières minutes. » Alors le journaliste se fixe un but : « Je me consacre à une seule tâche à la fois pour atteindre le “flow », un état de concentration, qui selon le psychologue Mihály Csíkszentmihályi, mènerait à l’extase.

« Il y a un véritable fossé entre ce que les gens veulent et ce qu’ils vont mettre en place pour arriver à se déconnecter » - Coco Brac de la Perrière, coache

Déconnecter, c’est pas si facile

Coco Brac de la Perrière est coache, fondatrice du Digital Detox Institute et autrice de « Déconnecte si tu oses ! » (2019, Ed. Dunod). Via des conférences ou des stages en entreprises notamment, elle accompagne celles et ceux qui veulent vivre un “équilibre connecté”. Pour la coache, la première étape est déjà de « prendre conscience » de sa dépendance digitale. Or, nous serions nombreux à être dans le déni selon Coco, qui identifie trois stades de relation au digital : équilibré, dépendant et addict. « Équilibré c’est quand on passe autant de temps dans la vraie vie qu’au téléphone ou devant un écran, qu’on peut s’en passer et que le week-end on ne regarde pas son portable plus de deux fois par exemple (…). Dépendant, c’est quand on ne peut plus s’en passer : on le pose sur la table quand on mange, c’est la dernière chose qu’on regarde avant de s’endormir et la première au réveil…». Quant au stade addict, il s’agit des mêmes symptômes que la dépendance sauf qu’en plus on développe d’autres troubles comme le « mal de dos, des difficultés à dormir, à se concentrer, la peur de la main vide ou encore le FOMO (Fear of missing out - la peur de rater quelque chose) », explique-t-elle.

Mais si nous sommes de plus en plus nombreux à exprimer notre trop plein de connexion, peu d’entre nous y remédient. « Il y a un véritable fossé entre ce que les gens veulent et ce qu’ils vont mettre en place pour arriver à se déconnecter », note Coco Brac de la Perrière. Car même si les entreprises ont une responsabilité dans le fait de nous aider à déconnecter - en mettant en place des outils ou des règles strictes par exemple - c’est en premier lieu à nous de nous auto-discipliner. « Dès lors, il est fondamental de s’autoriser des pauses où nous sommes plus connectés à nous-mêmes qu’à notre téléphone et de tenter de trouver un équilibre dans notre usage du digital », explique-t-elle.

Pour la psychologue Marie Pezé, c’est un véritable « sevrage qu’il faut effectuer, comme pour la cigarette ». « Il faut trouver des substituts, accepter de supprimer des applis, accepter de ne regarder ses mails qu’1/4 d’heure toutes les heures, insister dans les entreprises sur un travail collectif pour la gestion des mails… ». Et de conclure : « Même au cinéma on voit parfois les écrans allumés des gens qui ne peuvent pas s’empêcher de regarder “au cas où” ils auraient reçu un mail qui aurait changé leur vie. C’est comme si on attendait de gagner à la loterie en permanence et qu’on vérifiait ça sur notre portable, mais qu’a-t-on peur de rater ? »

Chiffres tirés du livre “Déconnecte si tu oses !” de Coco Brac de la Perrière.

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