Pouvoir(s) : collectifs et syndicats écolos pourront-ils insuffler le changement ?

06 oct. 2022 - mis à jour le 06 oct. 2022

7min

Pouvoir(s) : collectifs et syndicats écolos pourront-ils insuffler le changement ?
auteur.e
Pauline RochartExpert du Lab

Consultante, conférencière et formatrice sur le futur du travail, spécialiste de l’égalité professionnelle, des aspirations des jeunes générations et de la transition écologique

POUVOIR(S): L’entreprise moderne se voudrait être le lieu du partage des pouvoirs. Horizontalité, collaboratif, inclusion et égalité. Ces termes qui peuplent les “chartes de valeur” sont-ils des vœux pieux ? Si l’on observe le monde du travail et qu’on lit les travaux des chercheurs.euses, on réalise surtout que les formes de pouvoir se renouvellent… pour mieux se maintenir. Alors, rien ne se perd, tout se transforme ? Dans notre nouvelle mini-série “Pouvoir(s)”, notre experte du LAB Pauline Rochart propose d’explorer trois situations où se jouent et se rejouent les rapports de force. Pour son dernier épisode, elle se rend cette fois-ci dans les coulisses des “Collectifs” et syndicats écolo. Histoire de comprendre si l’herbe y est plus verte, et si le changement y pousse vraiment…

Les jeunes sont conscients de l’urgence climatique et veulent agir. Chez les plus diplômé.e.s, la recherche de sens et d’impact est prégnante. Des étudiants d’AgroParis Tech appellent à la désertion, des polytechniciens se mobilisent contre Total, et même à HEC, on se met à causer “décroissance”. Mais derrière ces coups d’éclat médiatiques, d’autres formes d’engagement plus souterraines émergent en entreprise. De nombreux salarié.e.s, après avoir fait le constat d’une réelle dissonance cognitive entre leur job et leurs valeurs personnelles, veulent désormais changer les choses de l’intérieur. Convaincus que l’entreprise reste un espace de transformation possible, ils s’accordent sur la finalité mais divergent sur la méthode. Certains se constituent en “collectifs” en choisissant d’agir en dehors des syndicats, quand d’autres revendiquent l’action syndicale pour faire avancer la cause du climat. Alors, comment agissent ces collectifs et ces néo-syndicats ? Et infléchissent-ils réellement le cours des choses ?

S’affranchir de l’image désuète des syndicats

Ils et elles sont près de 1 000 chez Axa, 800 chez EDF et 600 chez Michelin. Ils·elles, ce sont les membres de “LES COLLECTIFS”, un réseau de professionnels-citoyens engagés pour transformer leurs entreprises de l’intérieur. Afin d’accélérer les transformations écologiques, ils montent des “groupes de travail” au sein des organisations et proposent des “espaces de réflexion et d’action”. Le Printemps Écologique, quant à lui, est bien une organisation syndicale selon ses statuts. Camille Dupuy, spécialiste de la jeunesse et de leur rapport aux syndicats, souligne que le Printemps Écologique ne remet pas en cause le syndicalisme en tant que tel, mais souhaite insuffler un souffle nouveau. « Le fait d’y être allé seul - sans étiquette CFDT ou CGT par exemple - témoigne d’une volonté de s’affranchir de l’histoire des organisations syndicales existantes. La CGT ou la CFDT sont dotées d’une histoire et d’un positionnement politique. Ici, ces petites et nouvelles structures font le pari que sans histoire, elles pourront recruter le plus grand nombre. » Et à en croire la co-fondatrice du Printemps Écologique, Anne Le Corre, cela fonctionne. Selon elle, les adhérents du Printemps Écologique n’auraient pas manifesté d’intérêt pour leur démarche si le mouvement avait été affilié à une OS (organisation syndicale) classique. « Si je prends mon cas personnel, je ne me sentais pas représentée par les OS classiques en tant que femme, jeune et militante écologiste », témoigne Anne Le Corre.

Il faut dire que les syndicats classiques – en tout cas leurs porte-voix au niveau national – ont du mal à se défaire d’une certaine image et de clichés qui ont la vie dure. « Quand on interroge les jeunes sur leur relation aux syndicats, ils nous parlent du 1er mai, des pneus qui brûlent et des merguez en manif » souligne Camille Dupuy. Il y a une méconnaissance profonde du travail syndical au sein des organisations et de leur rôle. Les salarié.e.s ne savent pas forcément que ce sont les élu.e.s du personnel qui négocient et signent des accords qui ont un impact direct sur leurs conditions de travail. C’est le cas notamment d’Alexis, fondateur du Collectif chez Michelin en 2020 : « Je n’avais pas une mauvaise image des syndicats classiques, mais je les connaissais mal ». De manière générale, les syndicats n’ont pour autant pas mauvaise presse chez les jeunes : « le taux de sympathie envers les organisations syndicales est équivalent dans toutes les classes d’âge, c’est une des dernières institutions collectives qui résistent si on compare les chiffres à la côte de popularité des partis politiques qui, elle, s’effrite largement », précise la sociologue Camille Dupuy.

Adhérer à un syndicat, cela a un coût d’entrée

Si le travail syndical est mal connu en entreprise, c’est sûrement parce qu’au cours de leurs formations, rares sont les étudiants qui en ont entendu parler. À moins d’avoir suivi quelques cours d’histoire sociale ou des modules RH, le rôle des élus est plus que flou pour eux. Et ceux qui ont vaguement entendu parler du CSE et des élections du personnel perçoivent cela comme une activité extrêmement chronophage et complexe. Les membres de “Les Collectifs” revendiquent d’ailleurs une forme de souplesse dans leur mode d’engagement. « Nous nous sommes constitués de manière très organique, les salariés.ées peuvent entrer et sortir librement du collectif, ils·elles ne se sentent pas enfermés.ées dans l’étiquette de “syndiqué.e” » rappelle Alexis. De fait, un.e élu.e syndical.e est par nature “poil à gratter” et assume un rapport de conflictualité dans l’organisation. Ce qui peut poser problème en termes de réputation quand on commence une carrière au sein de l’entreprise. En pratique, si les jeunes ne se syndiquent pas - ou si peu - c’est qu’ils/elles ne sont bien souvent pas en position de force rappelle Camille Dupuy. « Les facteurs qui facilitent l’entrée dans un syndicat sont connus : plus on a un statut stable (un CDI), plus on a d’ancienneté dans l’entreprise et plus on appartient à un secteur bien syndiqué (ex : l’industrie, la banque ou le secteur public), plus on se syndique. »

Si les jeunes engagés sur les questions écologiques ne cachent pas leurs convictions au sein de l’entreprise, ils.elles reconnaissent que ce n’est pas toujours une place facile. « Ce n’est pas simple d’afficher des convictions, de militer au vu et au su de ses collègues ou de sa hiérarchie. En entreprise, dès que tu sors un peu du rang, tu es regardé de travers », rappelle Anne Le Corre. C’est en effet parfois plus facile de cloisonner ses identités, ses combats, et d’aller militer pour le climat dans une association qu’au sein de sa propre boîte. D’ailleurs, les membres des Collectifs n’adoptent pas le langage du rapport de force « on ne se positionne pas comme un contre-pouvoir mais comme un “pour-pouvoir” », précise Alexis. Ils·elles veulent sensibiliser les salariés, interpeller leurs directions et faire avancer les réflexions. « On tenait à soulever les vrais sujets mais on ne voulait pas systématiquement “basher” la direction », résume Alexis. Chez Michelin par exemple - et c’est le cas dans toutes les entreprises où les “Collectifs” sont présents - ils.elles travaillent à 3 niveaux : le premier, c’est la formation et la sensibilisation : les membres ont par exemple encouragé le déploiement à grande échelle de la Fresque du Climat. « Avant de pouvoir agir et infléchir sa stratégie métier, il faut comprendre de quoi on parle. Il y a encore beaucoup de travail à mener pour élever le niveau de connaissance sur les enjeux climatiques ! », souligne Marion Scheiff, membre des Collectifs chez Hermès. Ensuite, ils.elles cherchent à promouvoir des pratiques plus vertueuses en matière d’environnement de travail : cantine végétarienne, plan de mobilité douce, plan zéro déchets… Enfin, le dernier niveau consiste à infléchir la stratégie de l’entreprise « on a monté des groupes de travail pour réfléchir à l’économie de la fonctionnalité ou pour penser un système de double comptabilité carbone », précise Alexis. Mais, les membres sont lucides « les directions affichent un soutien enthousiaste sur les deux premiers niveaux, sur le troisième c’est plus lent… »

Mais peut-on véritablement infléchir le cours des choses sans le cadre et les moyens d’actions d’un syndicat ?

Se constituer en syndicat, c’est avoir un cadre et des moyens pour agir

Au Printemps Écologique, on présente les choses de manière sensiblement identique. D’abord la formation et la sensibilisation, ensuite la transformation du modèle d’affaires. Mais Rome ne s’est pas faite en un jour. Anne Le Corre a conscience que pour l’instant, les élu.e.s Printemps Écologique agissent plutôt sur les deux premiers niveaux d’action : « c’est justement parce qu’on veut aller plus loin que les éco-gestes qu’on a ressenti le besoin de se constituer en syndicat », précise-t-elle.

Le syndicalisme est en effet un univers normé, avec ses codes et ses règles. D’abord des règles de représentativité : dans une entreprise, si une liste n’atteint pas la barre des 10% des suffrages, elle n’est pas considérée comme légitime et ne peut pas siéger au CSE. Et pour pouvoir se présenter aux élections du personnel, toute nouvelle organisation syndicale doit avoir deux ans d’existence minimum, c’est pourquoi le Printemps Écologique a pu présenter ses premières listes aux élections de mai 2022. Pour l’anecdote, la première liste “Printemps Écologique” a été élue chez Total.

Une fois que les élus sont reconnus comme légitimes, ils ont des moyens pour agir, un budget de fonctionnement et du temps ! Un.e élu.e syndical.e dispose en effet d’heures de délégation pour s’atteler à sa tâche. Temps officiel dont ne disposent pas les membres des Collectifs qui reconnaissent agir en plus de leurs heures de travail, le soir ou le week-end. Mais pour l’instant, ils.elles ne le perçoivent pas comme un inconvénient « cet engagement au sein du Collectif me donne tellement d’énergie, je retrouve une forme de cohérence entre mes valeurs et mon métier, j’ai l’impression d’avoir de l’impact et d’être au bon niveau pour faire bouger les choses », souligne une salariée engagée.

Collectifs et syndicats sont-ils complémentaires ?

Les collectifs - ainsi que les élus du Printemps Écologique - disent travailler de concert avec les syndicats classiques. « Sur le terrain, on discute régulièrement avec eux, par exemple, s’ils négocient un accord concernant la mobilité des collaborateurs, ils nous sollicitent pour avoir notre éclairage », témoigne Marion Scheiff chez Hermès.

Pour la sociologue Camille Dupuy, ces mouvements ne font pas concurrence aux syndicats traditionnels: « différentes formes d’engagement peuvent tout à fait cohabiter au sein d’une entreprise. D’ailleurs les Collectifs et le Printemps Écologique poussent les organisations syndicales classiques à s’emparer du sujet de l’écologie, qui n’était pas prioritaire jusqu’à présent. »

Leurs champs d’action sont pour le moment assez différents. Pour le comprendre, Camille Dupuy fait le parallèle avec ce qui se passe dans les entreprises de presse : « au sein des groupes de presse, il y a des “associations de journalistes” qui veillent à l’indépendance rédactionnelle tandis que les syndicats vont se concentrer sur les sujets de rémunération, de temps de travail, de gestion prévisionnelle des compétences, etc ». Les “Collectifs” et le Printemps Écologique viennent finalement pousser l’enjeu écologique de manière transversale - en invitant les salariés.ées à se questionner sur la manière d’exercer leur métier - tandis que les syndicats continuent leur travail de préservation et de conquête de droits sociaux.

A terme, ces jeunes salarié.e.s militant.e.s et les élu.e.s syndicaux ont tout intérêt à travailler ensemble car il n’y aura pas de transition écologique effective tant qu’on ne se penchera pas sur la finalité de l’activité de l’entreprise et sur l’organisation du travail. La place de la démocratie en entreprise, les modèles de gouvernance et de prises de décision sont au cœur du problème (et de la solution !). Le savoir-faire des syndicats - notamment sur la gestion du rapport de force - sera précieux lorsqu’il s’agira d’accélérer la cadence sur le 3ème niveau, celui de “la transformation du modèle d’affaires”. Pour l’instant, ces collectifs sont perçus de manière bienveillante par les directions qui y voient une aubaine pour accélérer le déploiement de leur “feuille de route RSE”. Mais à l’heure des choix, on ne pourra pas se tenir indéfiniment éloigné de toute notion de conflictualité.

Article édité par Clémence Lesacq ; photos : Thomas Decamps pour WTTJ

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