Les signes astrologiques pèsent-ils dans la balance du recrutement ?

06 déc. 2022

5min

Les signes astrologiques pèsent-ils dans la balance du recrutement ?
auteur.e
Mylène Bertaux

Journaliste

contributeur.e

Pourriez-vous recruter un scorpion ou manager un gémeau ? Si vous avez répondu non à l’une de ces questions, cet article va vous plaire. Eh oui, vous n’êtes pas le seul à vous laisser influencer par le signe astrologique des candidats… À raison ?

« Une gémeaux ? Ah non, mon Dieu, quelle horreur ! Vous auriez été capricorne, c’était tout bon ! » Alexandre, recruteur indépendant, analyse mon thème astral. Manifestement, je n’ai pas de bol. Mon « signe astro ne matche pas » avec les jobs disponibles. Je lève un sourcil, circonspecte. Je me trouve pourtant très embauchable. Pour mes qualités humaines, d’abord. Car je suis quelqu’un de formidable (et humble… c’est important les soft skills). Pour mes compétences professionnelles, ensuite. Car je suis aussi quelqu’un de très compétent. La preuve, j’écris pour Welcome to the Jungle ! Mais ce recruteur indépendant est catégorique : pour lui, c’est non. Depuis quelques années, il peaufine son processus de sélection en n’omettant aucun détail afin de trouver le candidat idéal pour ses clients. Il scrute jusqu’au signe astrologique des candidats.

Face à cette pratique, je m’interroge : Alexandre est-il un cas unique ? Ou d’autres (peut-être vous) ne peuvent-ils pas s’empêcher de zieuter la date de naissance d’un candidat avant de l’embaucher ? De nombreux sites et médias se prêtent volontiers au jeu. Selon AuFéminin.com, il existerait même des métiers idéaux selon votre signe. Pour moi, ce serait « petit vendeur de poterie sur Etsy ». Mouais, pour le moment, je garde mon job et je zoome plutôt sur l’engouement des Français pour l’astrologie. Selon un sondage Ifop mené avec la Fondation Jean Jaurès, en 2020, 41 % d’entre eux y croyaient. Et ce goût pour les astres se répercute jusque dans l’open space. Déjà en 2007, une étude du cabinet Oasys montrait que 5 % des recruteurs reconnaissaient – anonymement – que le signe du candidat pesait dans la balance lors du processus de recrutement.

Signes astrologiques et recrutement : que dit la loi ?

Tout cela est-il bien légal ? Aux managers et décideurs qui ne jurent que par le zodiaque, attention ! C’est l’heure du petit point juridique. Sachez que recruter sur la base d’un signe astrologique est fortement déconseillé par le Code du travail. La circulaire DRT 93-10 du 15 mars 1993 indique qu’il est « inopportun de recourir à des méthodes aux résultats aléatoires, telles que l’astrologie, la numérologie, voire la graphologie, dont la validité prédictive du point de vue de l’aptitude à l’emploi n’est nullement établie ». Aussi, s’appuyer sur cette grille de lecture pose question en termes de diversité et inclusion : entre critère de sélection et discrimination à l’embauche, la frontière est ténue. Pourtant, bravant la loi, certains recruteurs n’hésitent pas à miser sur cette pratique.

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Pour ou contre l’astrologie dans les processus de recrutement ? 4 décideurs témoignent

« En quoi un test de QI est-il plus révélateur que le signe astrologique ? »

  • Profil : Anne-Claire, 38 ans, RH dans un grand cabinet de recrutement
  • Signe : vierge (ascendant capricorne)

« J’ai toujours aimé l’astrologie. Depuis l’enfance, je dévore mon horoscope dans les magazines féminins. Oui, ça peut paraître un peu léger. Toutefois, à plusieurs moments clé de ma vie, des prédictions se sont avérées justes. Ce n’est pas une science exacte, je le sais bien, ni même une science tout court. Mais au fond, en quoi les tests psychologiques, comme celui du QI, sont-ils plus révélateurs pour prédire le succès d’un candidat à un poste donné ? Que peut-il bien y avoir de plus scientifique dans le fait de deviner le nombre dans une suite de chiffres ou d’assembler des carrés ? Pour moi, le signe est complémentaire d’un CV, un parcours et une personnalité. J’émets l’hypothèse qu’en fonction du moment de l’année où l’on vient au monde, on a des traits de caractère communs. Être née en juin, comme une partie des gémeaux, a conditionné les premiers moments de votre vie. C’est la fin du printemps, il fait doux, c’est peut-être plus facile pour les parents d’être cool que par moins deux dehors. Bon, est-ce que ça détermine à 100 % une personnalité ? Non, et heureusement ! Mais dans le cadre de mon travail, j’ai pu constater que certaines qualités qui appartiennent à des signes se retrouvent dans le job. Disons que ça m’a aidé à m’orienter vers tel ou tel profil. Ça a renforcé mon intuition. Et honnêtement, je ne me suis jamais trompée ! »

« C’est un petit plus, mais ça ne fait pas tout »

  • Profil : Nicolas, 28 ans, manager pour une entreprise de développement informatique
  • Signe : balance (2e décan)

« Je me suis toujours informé en amont de mes entretiens d’embauche pour connaître le signe de mon recruteur. Je sais que ça peut paraître bizarre, mais pas plus que de regarder LinkedIn, Facebook ou Instagram. On essaye tous d’avoir le contrôle et de déduire des caractéristiques de quelqu’un en fonction de ce que l’on trouve en ligne. La personne passe ses vacances sur la Côte d’Azur, c’est forcément un wannabe Loup de Wall Street. Elle part en rando avec des chaussures Quechua ? C’est un ou une beauf (aux yeux des Parisiens je précise, moi je trouve ça cool). Elle préfère la Bretagne ? C’est quelqu’un de rangé des ballons. Etc. Donc ok, j’avoue, je fais un petit check astro et je regarde les compatibilités. Et c’est vrai qu’aujourd’hui, alors que c’est moi qui fais passer les entretiens d’embauche, si la personne est lion ou scorpion… ça a du mal à passer. En revanche, avec les verseaux, je bosse bien. Du coup quand j’ai recruté Nicolas, un stagiaire de ce signe, je me suis dit : “Ça va être un petit plus !”. Résultat des courses : le désastre. On peut être verseau et arriver en retard, ne jamais terminer correctement son travail et avoir une attitude désinvolte. Comme quoi, tout le monde peut se tromper… »

« Dans ma vie perso j’y crois, mais je n’ai jamais utilisé l’astrologie dans ma vie pro »

  • Profil : Christine, 47 ans, directrice d’une agence immobilière à Paris
  • Signe : vierge, « les meilleurs »

« On dit toujours qu’il faut savoir séparer la vie perso de la vie pro. Par exemple, lorsqu’un individu a des problèmes personnels, on lui dit de laisser sa vie privée à la maison. Pareil avec les convictions. C’est discutable, mais l’espace de travail doit être à minima neutre, et au maximum bienveillant pour tous. Certains croient en Dieu, d’autres pas, d’autres encore sont bouddhistes. Tout ça pour dire que nous vivons dans une société métissée où les croyances, les convictions politiques ou religieuses cohabitent, parfois en harmonie, parfois tant bien que mal. Je perçois dans l’astrologie de la poésie, comme si notre parcours était tracé à l’avance. Ça peut faire peur car on peut interpréter ça comme une tendance au déterminisme. Pourtant, j’y vois une étincelle, comme une petite flamme qui brûle pour chacun d’entre nous. Néanmoins, je n’ai jamais utilisé ces convictions dans un cadre professionnel. Je recrute régulièrement de jeunes personnes ambitieuses, qui ont envie de réussir dans le métier. Qu’est-ce que ça dirait de moi si j’empêchais quelqu’un de vivre son rêve parce qu’il est de tel ou tel signe ? Il faut savoir identifier ce qui appartient à l’intime et à la croyance, versus l’importance du bien vivre ensemble. »

« Non, c’est non : j’aurais l’air de quoi si je recrutais sur la base d’un signe astrologique ? »

  • Profil : François, 32 ans, DG d’une entreprise de BTP
  • Signe : non communiqué

« Ok, c’est peut être catégorique, mais je suis contre l’astrologie en général, et pour le recrutement en particulier. On vit déjà dans une société où nous sommes abreuvés de théories du complot, où la désinformation représente un vrai danger et où les idées politiques et religieuses sont archi polarisées. Franchement, j’aurais l’air de quoi si je recrutais mes équipiers, collègues ou managers en me basant sur leur signe astrologique ? “Non, désolée Brigitte, vous êtes scorpion” ? Franchement… »

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* Tous les prénoms des personnes interrogées ont été changés
Article de Mylène Bertaux édité par Ariane Picoche, photo : Thomas Decamps pour WTTJ

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