N'ayez pas peur de recruter des candidats en reconversion

18 juil. 2022

5min

N'ayez pas peur de recruter des candidats en reconversion
auteur.e.s
Thomas Decamps

Photographe chez Welcome to the Jungle

Sophie Dussaussois

Journaliste, éditrice et auteure de documentaires pour la jeunesse

Ils seraient atypiques, n’auraient ni les compétences techniques, ni les bons profils. Si les candidats en reconversion font peur aux recruteurs, nombreux sont pourtant ceux à vouloir changer de voie. Selon une étude de l’organisme de formation VISIPLUS academy, menée avec BVA, 49 % des actifs sont en cours de reconversion professionnelle ou envisagent de sauter le pas. Et 60 % des métiers qui seront en vogue en 2030 n’existent pas encore. La reconversion pourrait bien devenir la norme. Alors, à l’heure où de nombreux secteurs peinent à recruter, pourquoi ne pas ouvrir ses chakras et miser sur ces « faux juniors » ?

« En France, les idées reçues sont tenaces », glisse Christopher. DRH dans un grand groupe et fondateur de la plateforme Trouve-un-job.fr, il a récemment poussé un coup de gueule remarqué dans un post LinkedIn : « Non ! Un candidat en reconversion professionnelle n’est pas un débutant. Il faut arrêter de croire que quelqu’un qui change de métier repart de zéro. L’expérience professionnelle ne se résume pas à avoir des connaissances théoriques. C’est bien plus que ça… », clame-t-il avec force.

« Arrêtons avec cette idée que celle ou celui qui se reconvertit ne sait rien faire. C’est faux. »

Pourquoi faut-il arrêter avec cette idée reçue selon laquelle les candidats en reconversion professionnelle sont trop longs à former ? Quels sont les effets pervers de ce cliché ?

D’abord le constat : oui, les entreprises ont peur de recruter des candidats en reconversion. Pourquoi ? Parce qu’aujourd’hui, on est dans le « tout, tout de suite ». Les recruteurs disposent de budgets de formation de plus en plus contraints et pensent que le candidat en reconversion ne sera pas opérationnel assez vite et n’aura pas les compétences voulues pour le poste.

Même si le candidat est passé par une formation, avec des périodes de stages ou d’alternance qui constituent une expérience professionnelle, les recruteurs restent dans l’idée que ce candidat manque de pratique. C’est très scolaire, mais c’est une réalité. Aujourd’hui, on ne laisse pas de place à l’incertitude et encore moins quand les entreprises passent par les cabinets de recrutement. Ces derniers sont parfois payés au succès, c’est-à-dire quand le candidat franchit le cap de la période d’essai. Forcément, ils ne veulent pas prendre de risque et on voit bien le cercle vicieux. Or, le vrai problème, c’est l’onboarding. Pour aller plus vite dans le processus d’accueil et d’intégration des nouvelles recrues, les managers préfèrent recruter des clones : des personnes qui ont les mêmes diplômes, les mêmes parcours et qui, sur le papier, répondent parfaitement aux prérequis. C’est une erreur, je le constate chaque jour dans ma pratique de DRH.

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Pourquoi les profils des personnes en reconversion professionnelle sont-ils intéressants ? Quelle est leur valeur ajoutée ?

Les personnes en reconversion ne partent pas de zéro. Elles ont acquis des compétences et des qualités dans leurs expériences précédentes qui peuvent être valorisées sur le nouveau poste. D’ailleurs, je n’aime pas le terme de reconversion professionnelle qui enferme dans des cases. Je préfère parler d’évolution professionnelle, car cela implique une notion de continuité qui a plus de sens. Dans les grandes entreprises, les mobilités internes ne posent aucun souci. Mais pourquoi ce qui est possible pour un salarié, ne l’est pas pour une personne en reconversion ? Son accompagnement sera-t-il plus difficile ? C’est absurde. En règle générale, il faut un mois pour connaître les outils, les personnes ressources et les processus. Des processus qui, entre parenthèses, changent constamment.

Un recruteur cherche des hard skills : ces compétences métiers s’acquièrent relativement vite, soit par une formation, soit par le fait d’occuper un poste. Les soft skills, c’est-à-dire les savoir-être, sont bien plus durs à maîtriser car ils sont constitutifs de la personnalité ou de l’éducation de chacun. Or les soft skills ne se voient pas sur le papier. Pourtant, une personne en reconversion a le mérite de se lancer dans l’inconnu, elle sort de sa zone de confort et s’adapte aux différentes situations qui vont se présenter à elle. Cette capacité d’adaptation développe son agilité. Et cette agilité est une qualité très recherchée par les entreprises. Car ceux qui sont agiles ont tendance à voir le changement comme une opportunité plutôt que comme un frein. Ça, c’est une vraie valeur ajoutée et ce n’est pas donné à tout le monde. Mais ce n’est pas tout. Une personne reconvertie a une envie d’apprendre bien supérieure à la moyenne des salariés qui restent sur le même poste pendant plusieurs années. Elle est actrice de son destin, le prend en main et se donne les moyens d’y arriver. Aujourd’hui, beaucoup de personnes aspirent au changement et cette tendance s’est accélérée avec la pandémie. Mais la majorité a peur de quitter son CDI, son salaire, ses collègues, car le train de la vie est en marche et ça semble trop difficile. Pourtant, cela crée un effet pervers : petit à petit, ces personnes vont perdre leur motivation. À l’inverse, le candidat en reconversion arrive avec sa fraîcheur, son énergie, et ses idées nouvelles. Et ça aussi, c’est de la valeur ajoutée.

« Ceux qui se reconvertissent ont souvent un haut niveau d’implication car ils veulent apprendre. »

Comment valoriser les compétences de ces « reconvertis » dès le recrutement ?

Il est essentiel de sensibiliser les entreprises à l’intégration des personnes qui n’ont pas le bon profil sur le papier. C’est un mal très français. Chez nous, on recrute sur le diplôme, qui garde un poids très important. Il faut que ça change car jusqu’à preuve du contraire, c’est bien la diversité des profils, des façons de penser, des parcours et des backgrounds qui permet aux équipes et aux services de fonctionner. Par la diversité, les idées émergent et les organisations sont plus efficaces. L’onboarding est aussi primordial. Oui, ça prend un peu de temps d’accueillir et d’intégrer une personne nouvelle. Mais ce temps passé doit être vu comme un investissement.

Depuis quelques mois, le taux de chômage baisse et le phénomène américain de la grande démission touche chez nous des secteurs comme la restauration ou le bâtiment. Le rapport de force qui a longtemps été du côté des recruteurs est en train de s’équilibrer, voire de changer. Pour fidéliser des salariés, il faut les accueillir et les former tout au long de leur vie. Les entreprises commencent à comprendre qu’elles doivent changer leur processus de recrutement. Car finalement, un poste vacant, ça coûte cher.

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En quoi la formation des personnes en reconversion diffère-t-elle de celle des salariés en interne ?

Quoi qu’on en pense, on ne forme pas différemment les candidats en reconversion professionnelle. La majorité des formations passent par le learning by doing, sur le terrain, en doublon avec un collègue. En clair, on met les mains dans le cambouis, et ça va très vite, quel que soit le profil : les entreprises n’ont aucune crainte à avoir sur ce point. Mais pour dissiper toutes les inquiétudes, il existe aussi le dispositif « Période de mise en situation en milieu professionnel », mis en place par Pôle Emploi. C’est gagnant-gagnant, car chacun se teste et ça ne coûte rien à l’entreprise. Le compte de formation reste aussi un dispositif intéressant, que ce soit pour acquérir une qualification ou un diplôme. Les nouveaux métiers liés à l’informatique sont très demandés et, dans ce domaine, les entreprises vont laisser plus de chances aux candidats et miser plus facilement sur leur personnalité et leur savoir-être.

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Article édité par Ariane Picoche, photos : Thomas Decamps pour WTTJ