Diversité et inclusion : « Chaque entreprise a tendance à recruter des clones »

18 janv. 2022

auteur.e.s
Bénédicte Tilloy

DRH, ex-DG de SNCF Transilien, conférencière, professeure à Science-Po, autrice, cofondatrice de 10h32

Alexiane Wozniak

Rédactrice

« Vous êtes en couple ? Depuis combien de temps ? » « On a déjà trop de blacks »… Voici le genre de répliques discriminatoires auxquelles nombre de personnes ont dû faire face lors d’entretiens d’embauche. Pour lutter contre cette pratique illégale, une solution : le « recrutement inclusif ». Vous en avez sans doute déjà entendu parler, mais que cache ce concept à la mode ? Quels sont les enjeux, les rouages et les limites de cette stratégie ? Trois expert·es se sont exprimé·es à l’occasion de la table ronde « Recrutement inclusif : l’anti-gueule de l’emploi »… Anthony Babkine, co-fondateur de Diversidays, une association d’égalité des chances spécialisée dans la tech ; Bénédicte Tilloy, DRH, autrice, entrepreneure et experte du Lab Welcome to the Jungle ; et Benjamin Balcerak-Allen, responsable de la politique diversité et inclusion au sein du groupe Canal+. Flash-back.

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21% de personnes victimes de discriminations à l’embauche

Vingt-cinq critères de discrimination sont recensés en France. Si l’âge reste le premier motif, le genre ainsi que les origines sociales et ethniques arrivent en deuxième et troisième position. Et bien que toute forme de discrimination à l’embauche soit illégale, certaines entreprises s’arrangent avec la loi. Ainsi, un sondage Ifop relayé par Le Monde révèle que « la proportion de travailleurs s’estimant victimes d’une discrimination lors de la recherche d’un emploi atteint (…) 21% en 2021. C’est près du double du chiffre relevé par une enquête Ipsos en 2001 (…) ». Les demandeur·ses d’emploi d’origine maghrébine sont particulièrement touché·es : ils / elles ont 31,5% moins de chances d’être contacté·es par un·e recruteur·se que leurs pairs. Des chiffres alarmants qui ne sont pas sans conséquences pour les entreprises et l’économie françaises.

Dans une vidéo Welcome to the Jungle publiée en 2020, Saïd Hammouche, fondateur du cabinet de recrutement Mozaïk RH et expert du Lab, rappelle pourtant que « l’inclusion est un véritable enjeu économique. On perd des points de croissance alors qu’on a des gens qui sont diplômés ». Le coût des discriminations représenterait 150 milliards d’euros par an, l’équivalent de 7% du PIB. Or une personne « qui se sent intégrée à l’entreprise sera plus performante », donc déployer une stratégie D&I, c’est miser sur la réussite de l’organisation.

L’entreprise doit refléter la société

La diversité ou l’absence de diversité d’une équipe, c’est-à-dire la variété des sociotypes qui la composent, est une réalité mesurable, quand l’inclusion relève d’un choix stratégique et culturel de la part de l’entreprise. Benjamin Balcerak-Allen définit cette seconde notion comme « la manière dont l’entreprise va mettre de l’intentionnalité pour faire en sorte que ces différences s’expriment positivement ». Au sein du groupe Canal +, l’inclusion répond ainsi à trois problématiques :

  • la garantie d’un cadre de travail libéré de toute forme de discrimination ;
  • l’attractivité vis-à-vis des candidat·es, de plus en plus nombreux·ses à prêter attention à la politique D&I d’une entreprise ;
  • le business qui se doit d’être synonyme de créativité et d’innovation afin de parler à des publics divers.

Pour Bénédicte Tilloy, la question de la diversité va de pair avec celle de l’âge. Il lui semble essentiel de constituer une équipe intergénérationnelle : « L’entreprise ne peut pas être un tout petit noyau de personnes alors que la société a une grande amplitude d’âges. C’est important que dans une même entreprise, les générations se côtoient parce que c’est grâce à ça que les services et produits que l’on va offrir, la manière dont on va les délivrer, va tenir compte de toutes les catégories de populations françaises et étrangères auxquelles on va s’adresser ». Loin de l’opinion publique qui tendrait à opposer baby boomers, millennials, générations X et Z entre elles, les études récentes vont dans le sens de Bénédicte, démontrant que les différences générationnelles sont moindres. Certain·es décideur·ses pensent même que la lutte contre l’âgisme est une priorité. C’est le cas de Gina Pell, fondatrice de The WHAT et créatrice du concept de “Perennials” : « un groupe de personnes de tous âges, de toutes origines et de tous types qui vont au-delà des stéréotypes et établissent des liens entre elles et avec le monde qui les entoure ». Elle y voit une richesse et l’avenir de l’entreprise.

Recrutement inclusif, mode d’emploi

Revenons aux définitions. Pour Saïd Hammouche, un recrutement inclusif consiste à « permettre à tous les talents d’être évalués de la même manière que tout le monde. (…) C’est aussi s’intéresser davantage à l’individu, à ses valeurs, à ses qualités intrinsèques, à ses aptitudes naturelles ». Alors, comment rendre son processus RH inclusif ? D’abord, en le voulant ! Et en se remettant en question. Ce travail d’audit implique d’identifier ses failles et ses biais cognitifs. Ces biais, comme celui qui pousse à embaucher des personnes qui nous ressemblent, touchent tou·tes les recruteur·ses sans distinction, dans les petites comme les grandes entreprises. « Chaque type d’organisation a tendance à recruter des clones. On retrouve dans les start-ups les mêmes problèmes qu’on peut retrouver dans les grands groupes. À ceci près que dans [ces derniers, il y a] des politiques visant à corriger les discriminations à l’embauche », rappelle Bénédicte Tilloy. Et d’insister sur le rôle des start-ups pour faire avancer les choses : parce qu’elles sont plus jeunes, que leur culture n’est pas figée, il est plus facile pour elles d’adopter tout de suite de bonnes pratiques…

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Oui, mais lesquelles ? Anthony Babkine cite trois champs d’action : le recrutement – penser expérience et compétences plutôt que diplômes – ; le / la manager – sensibiliser aux problématiques d’inclusion – ; la diversité – refléter à l’interne les valeurs d’inclusion que l’on prône. Benjamin Balcerak-Allen insiste par ailleurs sur l’exemplarité des process et la diversification des canaux de recrutement. Il est important de s’interroger sur la façon dont on interagit avec son écosystème : travailler le sourcing, faire appel à des associations comme Tous en stage et Viens Voir mon taf, qui proposent de mettre en immersion dans l’entreprise des jeunes qui n’ont pas de réseau… En bref, « s’assurer en permanence que dans un vivier, on a une représentation large de talents », résume Bénédicte Tilloy. Enfin, s’appuyer sur les soft skills des candidat·es – ces compétences comportementales telles que l’intelligence émotionnelle et la curiosité –, plutôt que sur les hard skills qui peuvent s’acquérir assez vite, est également une solution efficace pour s’ouvrir à de nouveaux profils.

Éducation et mesure de la diversité : les limites à dépasser

Malheureusement, selon les métiers, on ne peut pas recruter à 100% sur les soft skills. Certain·es candidat·es sont très recherché·es parce qu’ils / elles ont une maîtrise technique de haut vol, or ils / elles sortent souvent du même type d’école, du même moule. L’égalité des chances en matière d’éducation est donc un enjeu stratégique dans la lutte contre l’exclusion professionnelle. Selon Bénédicte Tilloy, il est en outre nécessaire « d’apprendre à parler (…) de nos différences sans que ça devienne un sujet de lutte. Rendre possible ça à l’école serait déjà un premier pas ».

Les challenges du recrutement inclusif ne s’arrêtent pas là. En effet, si la parité et la représentativité des âges sont mesurables par l’entreprise, des données clés, comme l’orientation sexuelle, lui échappent. Difficile de savoir si l’on attire et intègre tous les talents sans data, même si l’on comprend que certaines informations ne soient pas divulguées par respect pour la vie privée. « La mesure [de la diversité] reste le parent pauvre de l’entreprise », déplore Anthony Babkine. À ce flou, s’ajoutent des limites d’ordre logistique. Diversifier le sourcing des candidat·es demande du temps et des moyens, d’autant plus « qu’un collaborateur sur deux ne sait pas ce que veut dire diversité et inclusion ». Le chemin est encore long, mais les entreprises sont de plus en plus nombreuses à l’emprunter, conscientes qu’il en va de leur réussite et de celle de leurs équipes.


Photo par Thomas Decamps
Article édité par Ariane Picoche

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