« Miss météo » : ce surnom sexiste qui dessert les femmes journalistes

13 juin 2022

7min

 « Miss météo » : ce surnom sexiste qui dessert les femmes journalistes
auteur.e
Barbara Azais

Journaliste freelance

En France, la légitimité des femmes journalistes météo est lourdement entachée par le surnom de « Miss météo ». Très ancré dans le langage courant, ce terme sexiste dévalorise la complexité et l’utilité de leur travail, les renvoyant principalement à un aspect physique et esthétique. Face à l’urgence climatique pourtant, les questions environnementales sont plus que jamais au cœur des préoccupations. Alors comment expliquer que le décryptage de la météorologie et de la climatologie soit implicitement et inconsciemment relayé au second plan lorsqu’il est établi par des femmes ? Quatre journalistes météo de France 2, France 3 et BFMTV ont décidé de s’opposer à ce surnom, qu’elles estiment misogyne et injustifié. Surtout quand on retrace l’incroyable évolution de ce métier devenu si essentiel, comme l’explique également Evelyne Dhéliat.

La lutte contre le sexisme implique parfois de bannir certaines expressions de notre langage courant. Notamment lorsqu’elles dévalorisent le talent et l’intelligence au travail, au profit de l’apparence physique et esthétique, comme c’est le cas avec le tristement populaire « Miss météo ». Si vous ne l’employez pas, vous l’avez sûrement déjà entendu. Même la presse féminine l’utilise. C’est ainsi que sont surnommées les femmes journalistes spécialisées en météorologie et climatologie, alors que leurs collègues masculins conservent leur statut officiel et respectable d’expert. Comme si le savoir-faire que requièrent la compréhension, le traitement et la vulgarisation de ces sciences ultra-pointues passait au second plan concernant les femmes.

« Je l’entends partout, du grand public mais aussi en interne, de certaines personnes avec qui je travaille, s’indigne Virginie Hilssone-Lévy, journaliste et présentatrice météo sur France 2, France 3 et BFMTV. C’est un terme misogyne et réducteur qui dévalorise toute la complexité de notre travail. » Car contrairement à ce que l’on pourrait penser, présenter un bulletin météo est un exercice difficile qui nécessite, chaque jour, une étude approfondie des prévisions faites par les bureaux d’études météorologiques. « Les prévisionnistes font des prévisions sur des logiciels très techniques, on doit ensuite vulgariser le propos scientifique et le présenter aux téléspectateurs dans un langage simple et compréhensible en un temps réduit, sans prompteur », nous explique Virginie Hilssone-Lévy. Une prouesse technique et intellectuelle qui implique de se souvenir de l’ordre des cartes, des informations qui y sont associées, tout en prêtant attention à sa gestuelle, à son élocution et au chrono.

Le fantasme pesant de la « Miss météo »

Pourtant « les gens assimilent notre travail aux sketchs du Grand Journal de Canal + », déplore Myriam Seurat, journaliste et présentatrice météo sur France 2 et France 3. De 2004 à 2017, l’émission révèle le talent d’actrice de Louise Bourgoin, Charlotte Le Bon ou encore Doria Tillier, grâce à son personnage emblématique de « la Miss météo ». Une parenthèse humoristique qui met en scène une « présentatrice » météo sexy et délurée, dans laquelle l’info météo n’est qu’un prétexte. De ces sketchs, il ne reste que le fantasme pesant de la « jolie Miss météo » qui met à mal le vrai travail scientifique et journalistique des femmes qui l’exercent. « Leur popularité a été importante mais nous a desservies. On est journalistes avant tout », confirme Chloé Nabédian, qui officie sur France 2. Au même titre que les services politique ou économique, le service météo fait partie de la rédaction. « On est journalistes, on a des cartes de presse, on fait partie de l’information », appuie Myriam Seurat. Pourtant, « ce terme de ‘Miss météo’ s’est popularisé et nous renvoie à une image de ‘potiche de service’ », s’indigne Virgilia Hess, qui exerce chez BFMTV.

De façon générale, les femmes exposées dans l’espace public ont en commun d’être constamment jugées sur leur apparence physique. La stigmatisation des femmes journalistes météo va jusqu’à impacter leur choix vestimentaire, lequel constitue pourtant une liberté individuelle protégée par le Code du travail. « On a l’impression d’être renvoyées uniquement à notre apparence. Les gens se concentrent sur la tenue qu’on porte, la façon dont on est maquillées et coiffées. Ils se concentrent davantage sur la forme que sur le fond », s’insurge Chloé Nabédian, qui se souvient s’être retrouvée au cœur d’une polémique sur les réseaux sociaux à une période où elle se sentait plus à l’aise de porter des pantalons. « Certains étaient scandalisés de ne plus me voir à l’antenne en robe ou en jupe. J’ai eu beaucoup de mal à me remettre en robe. On ne demande pas aux hommes de montrer leurs jambes. Ce genre de remarques sur notre manière de nous habiller me paraît anormal. C’est ma façon à moi d’être feministe : si je veux mettre un pantalon tous les jours, j’en ai le droit. »

Certains téléspectateurs semblent vouloir s’approprier le corps des femmes qui travaillent à la télé, se sentant ainsi libres de penser leur beauté à leur place. Mais au-delà de constituer une injustice, ces injonctions à la féminité peuvent engendrer des modifications de comportement. « Personnellement, j’aime m’apprêter, mais je m’interdis parfois de porter une robe si elle est trop courte, ou d’en mettre plusieurs d’affilée, avoue Virgilia Hess. Je redoute que ça accentue cette image de ‘Miss météo’ au dépend de mon statut de journaliste. Ma collègue qui présente le JT est moins jugée sur ses tenues, parce qu’on la considère davantage comme une journaliste. Moi je me permets moins de liberté dans ma façon de m’habiller parce que j’ai déjà cette étiquette de ‘Miss météo’. »

« Miss météo », ou l’infantilisation des femmes dans la société

Pour Pascal Gygax, psycholinguiste expérimental et psychologue cognitif, le terme de « Miss météo » vient d’une pratique très répandue dans notre société, qui consiste à infantiliser les femmes. Y compris dans leur travail. « Même si nous commençons, à notre époque à comprendre qu’il y a une notion d’infantilisation des femmes avec le terme ‘mademoiselle’, celui de ‘miss’ (qui en est la traduction, ndlr) reste dans le langage courant, probablement parce que c’est un anglicisme. Mais en l’utilisant, nous réduisons la femme au statut d’enfant », explique-t-il, dans la mesure ou « miss » n’est pas utilisé pour qualifier des femmes, mais des jeunes filles. À ceci s’ajoute le fait qu’en France, le statut de « Miss » est traditionnellement attribué aux « reines de beauté », ce qui renvoie de nouveau à l’apparence physique, ainsi qu’aux diktats de la jeunesse et de la minceur.

En plus d’infantiliser les femmes, ce « Miss météo » réduit donc les journalistes à « l’aspect de femme object, à l’aspect esthétique qui est un stéréotype très grand. » Car même à travail égal, le jugement de valeur diffère pour les femmes et les hommes. « On ne dit pas ‘Mister météo’ », fait d’ailleurs remarquer Virginie Hilssone-Lévy. Pour Pascal Gygax, cette différence de traitement entre les genres illustre « l’asymétrie typique d’une société androcentrée, qui tourne autour des hommes, d’une société patriarcale et misogyne. » Bien entendu, le sens de ce terme est implicite et inconscient. Mais il existe néanmoins et il est délétère dans la mesure où les mots renvoient à des idées et des concepts mentaux. Il existe un « lien entre langage et pensée, qui est un lien attentionnel », confirme le spécialiste.

Et comme tous les surnoms attribués au travail, ce « Miss météo » peut engendrer des conséquences sur le bien-être et la santé au travail. Notamment parce qu’en portant atteinte à la dignité, il peut provoquer un « dénigrement caractérisé », nous explique Pierre-Eric Sutter, psychologue du travail. « C’est-à-dire une dévalorisation, une perte de légitimité et d’estime de soi, en plus de pouvoir susciter une anxiété anticipatoire liée à l’exercice de son métier ». Plus précisément dans ce cas, une appréhension à passer à l’antenne. Car le harcèlement de certains téléspectateurs masculins peut en effet s’avérer pesant. « Parfois, on est contactées par des fétichistes des collants ou des chaussures, même sur LinkedIn, raconte Chloé Nabédian. Je reçois des messages salaces, des réflexions sur mon physique, on me félicite d’être enceinte alors que je ne le suis pas. À un moment ça m’affectait. Certains messages que je recevais inquiétaient mes proches. Mais aujourd’hui je me protège de tout ça. »

Derrière le mythe de la « Miss météo », un travail d’expertise

La météo fédère, notamment parce que l’être humain est depuis toujours dépendant du temps : pour ses récoltes et son travail, originellement, puis de plus en plus pour ses loisirs. « Tout le monde a besoin de connaître la météo, détaille Myriam Seurat. Pour organiser un barbecue, un mariage, des événements, mais plus largement aussi, les agriculteurs, les navigateurs, les pilotes, l’armée, etc. » Et récemment, un nouvel intérêt a émergé, plus angoissant celui-ci, lié au dérèglement climatique. L’expertise des journalistes météo est donc plus que jamais nécessaire sur une planète souffrante et encline à des catastrophes naturelles inégalées. « Le réchauffement climatique a fait évoluer le métier, confirme la journaliste. Nous sommes de plus en plus sollicités en plateau pour apporter une expertise, ou le décryptage d’un phénomène survenu ou à venir. Ça demande beaucoup de savoir, les intempéries sont plus intenses et nous sommes face à des situations inédites. »

« Quand il a fait 35 degrés au mois de mai dernier, j’ai dû expliquer la nature de ce phénomène, se souvient Virginie Hilssone-Lévy. J’ai passé du temps dans les archives météo avec les prévisionnistes pour comparer les températures selon les années par exemple. Aujourd’hui, les gens ont besoin de comprendre ce qu’il se passe. » En témoignent les pics d’audience lors des bulletins météo du soir : jusqu’à sept millions de téléspectateurs pour TF1 et quatre millions pour France 2. Selon Evelyne Dhéliat, responsable du service météo de TF1 et LCI, le succès de la météo vient de la fiabilité de plus en plus précise des prévisions. « J’ai commencé en 1992 à l’antenne et les bulletins ne sont plus les mêmes. J’ai vu au fil des années les prévisions s’affiner. Avant, il n’était pas possible d’avoir les tendances pour les six prochains jours ». Cette crédibilité booste en effet la confiance des Français. Une enquête du CREDOC sur les Conditions de Vie et les Aspirations des Français (2014) estime que 77% d’entre eux ont confiance en les prévisions météo pour le lendemain.

Un métier qui peut sauver des vies

La grande innovation du métier, ce sont les cartes de vigilance auxquelles a contribué Evelyne Dhéliat, et dont l’utilité publique ne fait aucun doute. « C’est venu après les tempêtes des 26 et 27 décembre 1999 qui ont ravagé pratiquement toute la France, contextualise l’ancienne speakerine. On s’est rendus compte qu’on n’avait pas trop la ‘culture du risque’ et qu’on avait besoin de cartes de vigilance. Il fallait donc traduire une nouvelle info à la télé pour qu’elle soit perceptible et compréhensible de tous. » Aujourd’hui, les alertes météo ont un impact sur les comportements. « Il n’y a plus autant de victimes qu’il pouvait y avoir à une certaine époque. Avant, les gens n’étaient pas prévenus du danger, aujourd’hui ils le sont. » Selon le CREDOC, 92% des Français connaissent l’existence des cartes de vigilance et 82% s’estiment bien informés des risques survenant dans leur région.

Le travail des journalistes météo est si central dans notre vie quotidienne qu’il influe indirectement sur l’économie. Les gens attendent de connaître les prévisions météo avant de prévoir des sorties ou des événements. « Certains hôteliers m’ont déjà parlé de l’importance des bulletins météo sur leur taux de réservations, explique Evelyne Dhéliat. Il arrive fréquemment qu’il y ait des désistements ou peu de réservations lorsque le temps s’annonce mauvais. À l’inverse, ils remarquent une hausse des réservations lorsque du beau temps est prévu. » Des propos à nouveau confirmés par les chiffres du CREDOC, puisque 70% des Français auraient déjà reporté une sortie en découvrant les prévisions météo, 56% auraient renoncé à prendre leur voiture et 52% à sortir de chez elles. C’est dire le lien étroit qu’entretiennent les Français avec l’info météo et combien le service apporté par les journalistes compétents, femmes ou hommes, suscite des attributs qui vont au-delà du physique et de l’esthétique.

Article édité par Clémence Lesacq
Photos par Thomas Decamps pour WTTJ

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