Entretien annuel : comment réagir quand vos salariés négocient via leur vie perso ?
13 déc. 2023
5min
Les entretiens annuels approchent. Avec une inflation de 3,4 % sur un an au mois de novembre (après un pic à 6,3 % en février), les demandes d’augmentation pourraient bien suivre la cadence. Difficultés à boucler les fins de mois, désir d’achat immobilier, bébé en route… Certains salariés avancent parfois des arguments personnels pour négocier leur rémunération. Comment réagir et répondre avec tact à chacune de ces sollicitations en tant que manager ?
Triste nouvelle : les cadeaux déposés au pied du sapin risquent d’être moins nombreux cette année. Selon le baromètre de l’association Dons Solidaires, 54 % des Français prévoient de réduire leur budget dédié suite à l’inflation par rapport aux années précédentes. Pire, 37 % d’entre eux envisagent de renoncer purement et simplement à offrir des cadeaux à Noël. L’entretien annuel étant bien souvent l’occasion privilégiée d’aborder la fameuse question du salaire, le contexte inflationniste pourrait orienter les négociations vers des éléments extérieurs au bureau. « Les gens se basent généralement sur leurs performances et leurs compétences pour demander une augmentation, mais ce n’est pas systématique », affirme Céline Méchain, spécialiste du recrutement et des stratégies RH. Parce que l’on va être parent ou pour toute autre événement de la vie, on peut être amené à demander un avantage ou une hausse de la rémunération à son manager. » Une attitude dans la droite lignée de la redéfinition de la place du travail. « On est certes dans le cadre professionnel, mais les gens travaillent pour subvenir aux besoins de leur famille, il est normal que la sphère personnelle interfère », poursuit la spécialiste. Côté managers, comment faire face à ces sujets parfois chargés émotionnellement, lorsqu’ils surgissent en plein entretien annuel ? On vous dévoile par le menu nos 5 conseils pour réagir avec brio.
Conseil n°1 : soyez à l’écoute quelque soit le motif avancé
Avant d’en venir aux réactions possibles quant à la problématique avancée par le salarié, revenons aux bases : pour que les membres de votre équipe se sentent libres de s’exprimer et d’évoquer des éléments de leur vie privée avec vous, un climat de confiance est nécessaire. C’est ce qu’Alexis Eve, coach et psychologue du travail, nomme la posture du « manager-coach ». « En tant que manager, le care [prendre soin, s’intéresser et se préoccuper d’une personne, ndlr] n’est pas une option. Lorsqu’un membre de son équipe s’ouvre sur sa vie personnelle, la position par défaut est le care. Il ne faut surtout pas le rembarrer sous prétexte qu’il s’agit d’éléments “en dehors du travail” », conseille-t-il.
D’autant plus si le sujet est douloureux pour le salarié, votre rôle consiste à ne pas redouter ce registre émotionnel, en offrant une oreille attentive. Primordiale au sein d’une équipe, l’écoute est pourtant loin d’être une généralité : selon une étude de Qualtrics et Augmented Talent publiée en 2021, 41% des salariés ne s’estiment pas suffisamment écoutés par leur employeur. Tandis qu’une autre étude du cabinet de recrutement PageGroup, publiée en septembre dernier, montre que 40% des salariés « ont le sentiment de ne pas avoir eu leur salaire revalorisé au cours des deux dernières années ». L’écoute est donc un ingrédient indispensable pour rééquilibrer le pouvoir de négociation entre l’employé et l’employeur. Et ce même si la demande d’augmentation repose sur des arguments bancals, comme la sortie du dernier GTA. Restez ouvert au dialogue et pédagogue en toutes circonstances !
Conseil n°2 : prenez appui sur les grilles de rémunération
Care et négociation ne sont évidemment pas incompatibles : être empathique ne signifie pas dire oui à tout. Des documents internes peuvent constituer de solides appuis pour concilier ces deux postures et montrer ce qu’il est possible de mettre en place ou non. « Une bonne réponse managériale est de s’appuyer sur les grilles de rémunération et les politiques RH pour rappeler au N-1 les conditions qui permettent d’augmenter son salaire. Avoir une politique et un cadre clair permet d’annuler la partie “musclée” de la négociation », rappelle Alexis Eve. Baptiste, ancien manager au sein d’une grande enseigne sportive, connaît bien cette situation : « Il arrivait régulièrement que certains collaborateurs demandent une augmentation, en espérant s’acheter une nouvelle voiture ou investir dans un appartement. Ce n’était pas toujours évident, parce qu’il s’agissait rarement des profils qui cochaient les “cases” susceptibles d’en décrocher. Pour éviter d’exprimer une forme de jugement de valeur, je leur rappelais ces modalités clairement définies dans nos process. »
Des situations similaires passées et la façon dont elles ont été gérées sont également de bons indicateurs sur la marche à suivre. Si les arguments avancés par le salarié ont déjà été mis sur la table au préalable, vous connaissez déjà sans doute la réponse de l’entreprise et disposez d’éléments concrets sur lesquels vous baser.
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Conseil n°3 : si vous n’avez pas la réponse, temporisez
Les politiques d’entreprise ne peuvent pas englober toutes les éventualités et chaque problématique mérite une attention particulière. Si vous séchez, ne donnez pas une réponse directement au salarié concerné, au risque de trop vous avancer et de créer davantage de frustrations encore. À l’inverse, un salarié qui ne se sent pas écouté ou qui aurait le sentiment que vous tentez de noyer le poisson pourrait se désengager de son travail, voire vous quitter plus tôt que prévu. Au lieu de ça, temporisez, en lui montrant qu’il a été entendu et que vous reviendrez vers lui quand vous aurez une réponse claire et définitive de votre hiérarchie. Vous pouvez notamment conserver ce point à l’ordre du jour de vos échanges individuels, pour le tenir au courant des avancées en cours. « Il arrive que l’on ne puisse pas répondre au besoin d’un salarié ou bien seulement à moitié. Mais, il faut faire preuve d’empathie pour qu’il se sente suffisamment en confiance pour parler de sa situation à son manager », pointe la spécialiste RH Céline Méchain.
Quoiqu’il en soit, ne perdez pas de vue que vous n’êtes pas supposé avoir réponse à tout : en tant que manager, le soutien de votre équipe ressources humaines est primordial, notamment lors de certains sujets préoccupants, à l’image d’une situation de dépendance qui entraînerait des problèmes financiers (addiction aux jeux, maltraitance). N’hésitez pas à vous faire épauler pour accompagner du mieux possible le collaborateur concerné.
Conseil n°4 : apprenez à dire non en douceur
Les documents internes sont rarement souples lorsqu’il s’agit d’argumenter selon des éléments de la vie personnelle. « Un manager peut difficilement être créatif sur les salaires, puisqu’ils dépendent d’une fonction et d’un niveau de responsabilité. Il est compliqué d’y intégrer des éléments personnels, à moins qu’il ne s’agisse d’une décision de l’entreprise », précise Céline Méchain. Si la réponse à la demande d’augmentation est donc négative, reste à formuler convenablement ce refus. En plus d’expliquer clairement les motivations de ce « non », rappeler les conditions -par exemple performatives- qui permettent d’augmenter est une bonne façon de rappeler les règles du jeu au salarié. En tant que manager, vous pouvez aussi lui proposer votre soutien dans sa démarche d’atteindre les objectifs lui permettant de revaloriser son salaire. « Je me souviens d’un collaborateur qui projetait avec sa compagne d’avoir un second enfant, rembobine encore Baptiste. Il m’avait demandé une augmentation parce que, disait-il, la situation n’était déjà pas évidente avec son premier enfant et cette revalorisation l’aurait fait souffler. Ses résultats n’étaient clairement pas au rendez-vous pour m’aider à appuyer sa demande, donc je lui ai proposé qu’on envisage ensemble les actions à mettre en place de son côté pour espérer y parvenir et j’ai refait le tour des avantages dont il disposait via l’entreprise.* » Sans être un lot de consolation, souligner le package collaborateur proposé par votre organisation peut effectivement porter à la connaissance du salarié des avantages potentiellement méconnus jusque-là, voire lui apporter une autre forme de soutien.
Conseil n°5 : adaptez vos politiques si nécessaire
Les nouvelles problématiques sont un point de départ essentiel aux évolutions au sein d’une entreprise : c’est grâce à la naissance de cas de figure inédits que les politiques d’entreprise et les process des ressources humaines se construisent et évoluent. « On a l’impression d’avoir été suffisamment dans le détail quand on poste une nouvelle politique. Mais avec le temps, il y aura toujours quelqu’un pour pointer un oubli. On doit alors repenser le process à travers ce prisme, pour faire évoluer la procédure interne et inclure cette question spécifique », poursuit Céline Méchain. C’est le cas de Shine par exemple, qui a décidé d’intégrer pour ses salariés un bonus financier par personne à charge, qu’il s’agisse d’un enfant ou d’un parent dépendant. Une politique solidaire qui relève néanmoins de l’exception. Reste que prouver à ses salariés que leurs problématiques individuelles sont entendues permet de valoriser vos talents et d’éviter de les voir prendre le large, à l’heure où les questions de rétention et de fidélisation sont cruciales dans la plupart des métiers et secteurs.
Davantage, le perso et le pro étant intimement liés, il est difficile d’occulter la vie des salariés lorsque l’on parle de rémunération ou d’avantages fournis par l’entreprise. Qu’il s’agisse de projets à venir, de désir de changer d’air, d’un parent dépendant ou d’un accident de la vie, chaque problème mérite d’être entendu… quitte, pourquoi pas, à inclure de nouveaux éléments à la politique de son entreprise.
Article édité par Mélissa Darré, photo par Thomas Decamps.
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