Clem et Mumu : « Au travail, il faut comprendre ce qu’on apporte au monde »

17 mars 2022

6min

Clem et Mumu : « Au travail, il faut comprendre ce qu’on apporte au monde »
auteur.e
Paulina Jonquères d'Oriola

Journalist & Content Manager

Pour Clem et Mumu, la vie est comme une boîte de Lego : elle se façonne au gré des envies, brique par brique, quitte à se détacher du mode d’emploi initial. À la tête d’une agence de communication destinée aux entreprises du secteur culturel et de l’éducation, Clem et Mumu gèrent aussi deux blogs et deux chaînes Youtube : Les petits aventuriers et Voyage en roue libre. La première est destinée aux enfants pour les accompagner dans leur découverte du monde, tandis que l’autre raconte la conversion d’un ancien bus scolaire en studio de création vidéo et cinébus. Le tout en posant leurs valises aux quatre coins du monde. Le duo franco-canadien de choc aide également les porteurs de projets créatifs à faire le grand saut dans l’entrepreneuriat. Convaincues qu’il n’existe qu’un seul et même continuum entre la vie pro et perso, Clem et Mumu nous invitent à fabriquer notre meilleure vie et à la savourer dès à présent.

Vous êtes digital nomades depuis de nombreuses années. Autrement dit, votre activité et vos clients vous suivent aux quatre coins du monde. Qu’il s’agisse de votre vie pro ou perso, chez vous, toutes les frontières sont brouillées ?

Clem et Mumu : Effectivement, nous ne segmentons pas notre vie pro et perso. Elles sont alignées, ce qui nous permet de nous assurer en permanence que nous allons bien. Dans la gestion de notre agenda, cela signifie que nous ne projetons pas de vacances de telle date à telle date, mais plutôt que nous nous adaptons au jour le jour, comme quelqu’un qui regarderait la météo avant de décider de sortir. Nous n’hésitons donc pas à nous offrir des coupures tout au long de l’année. Au Canada, les gens n’ont que deux semaines de vacances, et il est clair que lorsque l’on regarde la productivité par rapport à des pays comme la France, cela ne donne pas raison à ce modèle. À un moment, le corps est fatigué et a besoin d’une pause. Notre activité professionnelle ne doit pas nous détruire mais respecter nos rythmes biologiques et notre santé psychologique.

Vous considérez que le travail est un moyen de créer votre meilleure vie, plutôt qu’une fin en soi. Que voulez-vous dire par là ?

Clem et Mumu : Simplement qu’en travaillant, on est dans un processus créatif. Nous avons travaillé pour gagner notre vie, mais à un moment, nous avons switché pour que notre activité ait un véritable impact : cela passe par collaborer pour des entreprises et des clients avec lesquels nous partageons une vision. C’est pour cela que nous parlons de continuum : il s’agit d’aligner notre vision personnelle et professionnelle en créant quelque chose qui nous dépasse. C’est ainsi que l’on sort d’une vision aliénante du travail. L’important, c’est comprendre ce que l’on apporte au monde. C’est ainsi que la magie opère et que tout devient très fluide.

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Avez-vous ressenti comme un déclic pour sortir de la case CDI et lancer tous vos projets ? Et surtout, pensez-vous qu’il faille attendre ce déclic pour se lancer ?

Clem : Non, idéalement, il vaut mieux se préparer en bâtissant peu à peu un tremplin vers une nouvelle vie. Dès que l’on commence à râler, que l’on a mal au ventre le matin, c’est que quelque chose ne va pas. Pour Muriel, c’est malheureusement un burn out qui a été l’élément déclencheur. Elle était enfermée dans une prison dorée dans laquelle on lui demandait d’être toujours plus spécialisée. Alors, même si elle croyait aux valeurs de son entreprise, elle a fini par étouffer dans cette petite case dont les contours se restreignaient. Quant à moi, je me souviens d’un jour dans mon agence où je me suis rendue compte que je faisais chaque matin le même trajet pour m’asseoir sur la même chaise, alors que j’étais venue pour découvrir le Canada. Et même si je travaillais sur de supers projets, j’ai compris que ma place n’était pas là.

Malgré le fait que vous ayez tout quitté, votre conseil n’est certainement pas de tout envoyer bouler en un clin d’œil ?

Clem et Mumu : Absolument pas ! Nous disons plutôt que les transitions se préparent en amont. C’est d’autant plus vrai ici au Canada où il n’y a pas vraiment de filet de sécurité comme le chômage. Cela nous procure donc une grande responsabilité dans le travail. Ce que nous défendons, c’est que nous naissons avec une boîte de Lego pour laquelle le monde extérieur nous donne un mode d’emploi. On espère ainsi que les enfants vont construire un château fort pour se protéger. Sauf que ni l’enfant ni l’adulte ne se sent nécessairement bien dedans. Il faut parfois savoir mettre un coup de pied et tout reconstruire pour avoir une activité qui nous ressemble. Pour nous, il était essentiel de retrouver de la liberté, de l’indépendance et de l’espace pour voyager. C’est ainsi que nous nous sommes détachées des préceptes qu’on nous avait inculqués comme dans nos études ou dans la manière de gérer nos carrières.

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Ce tremplin, vous l’avez notamment construit avec vos “side projects”. Vous dîtes que ces projets persos sont d’une importance capitale. Pourquoi ?

Clem : Ces projets sont comme de grandes bulles d’air dans un quotidien parfois difficile. Pour Muriel par exemple, cela a été la clef pour rebondir après son burn out, car elle avait anticipé au préalable en commençant à s’investir dans Les Petits aventuriers. Il lui a tout de même fallu plus de six mois pour reprendre ses forces. Mais parfois, le burn out nous laisse à terre. C’est pourquoi nous invitons chacun à développer ses projets personnels. Cela permet d’être dans une logique de création plutôt que de réaction (qui nous laisse la tête dans le guidon !). Il peut s’agir d’écrire un livre, de lancer une association, peu importe. En revanche, c’est important de se donner des deadlines. Pour Les petits aventuriers, nous avions décidé de sortir une vidéo par semaine au lancement, et nous l’avions annoncé à tout le monde. Après cela, on ne pouvait plus reculer.

Les projets à vocation nous permettent de développer nos compétences dans des sphères que nous ne pouvions peut-être pas explorer, mais aussi de faire grandir notre réseau et gagner en visibilité. Chez les créateurs, ces projets permettent clairement de sortir du lot. Cela a été le cas pour de grands artistes comme le designer Stefan Sagmeister pour son expo Happiness qui a été publiée dans tous les grands magazines, ou encore l’artiste JR et son projet Inside Out qui affiche les portraits des habitants des villes à travers le monde dans leur espace de vie. Tout cela doit se faire en cohérence avec la vision que l’on a à plus long terme. C’est ainsi que l’on évite de s’éparpiller dans un océan de possibilités, et qu’on lutte contre le vertige de la liberté.

Vous êtes animées par de multiples passions. Mais que dîtes-vous à celles et ceux qui n’en ont pas ?

Clem et Mumu : Nous avons tous des valeurs, et il y a certaines choses qui nous font plus réagir que d’autres. Par exemple : qu’est-ce qui vous a récemment inspiré ou au contraire choqué ou indigné dernièrement sur les réseaux sociaux ? La réalité, c’est que nous avons tous quelque chose en nous. Parfois, on n’a juste pas été autorisé à l’explorer.

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Lorsque l’on opère de tels changements, la peur de réussir n’est-elle finalement pas plus forte que celle de l’échec ?

Clem et Mumu : Effectivement ! On peut avoir peur de réussir puis d’échouer derrière. Ou peur de ne pas mériter notre succès. Cette peur fonctionne d’ailleurs souvent avec le syndrome de l’imposteur (peur de ne pas être assez compétent). L’être humain est résistant au changement, sans compter l’entourage qui ne nous aide pas forcément à switcher. De notre côté, le fait que nous soyons deux nous a grandement aidé à surpasser cette peur, même si nous pouvons toujours souffrir du syndrome de l’imposteur. En même temps, ce doute permanent est salutaire. Il permet d’avancer. Il faut juste apprendre à vivre avec.

Pour vous, il y a un non sens à attendre la retraite pour jouir de la vie. Toutefois, vous arrive-t-il d’y penser ?

Clem et Mumu : Honnêtement, il est impossible de savoir quelle sera notre psychologie dans plusieurs décennies. Est-ce que l’on aura encore envie de travailler, ou juste de profiter ? Ce qui est certain, c’est que l’on vendait autrefois un schéma où l’on devait attendre d’avoir 60 ans pour profiter de la vie. Je trouve cela triste. Heureusement, le monde d’aujourd’hui est différent, avec une multitude d’opportunités. De ce fait, de plus en plus d’entrepreneurs, notamment dans le domaine du digital nomadisme, préfèrent profiter du moment présent sans forcément penser au futur. On entend souvent l’argumentaire “de toute façon, on n’aura pas de retraite…”. Mais nous, on préfère jouer sur les deux tableaux sans forcément se reposer totalement sur l’État. C’est pourquoi nous avons mis en place une stratégie pour construire notre sécurité financière en cas de coup dur (un peu d’immobilier, assurance vie, placements, épargnes, investissements, fonds d’urgence). Fabriquer de toutes pièces la vie que nous aimons au présent ne nous empêche de planifier le futur !

Article édité par Romane Ganneval
Photo par Clem et Mumu

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