Bruno Génésio : manuel de management en terrain hostile

09 févr. 2023

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Bruno Génésio : manuel de management en terrain hostile
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Les entraîneurs de foot sont-ils des managers comme les autres ? Entre gestion des egos et pression des résultats, Bruno Génésio, numéro 1 du Stade Rennais F.C., nous répond et partage ses tips en management de terrain (hostile).

Entraîneur de l’Olympique Lyonnais pendant près de 4 ans, Bruno Genesio a l’expérience du haut niveau, ce qui lui permet de disséquer le fonctionnement de son milieu de manière pragmatique. Celui que l’on a surnommé « Pep Genesio » – en hommage à Pep Guardiola, le célèbre coach catalan de Manchester City – entraîne l’équipe de Rennes depuis 2021. Pour Welcome to the jungle, il dévoile son quotidien et les coulisses d’un métier « passionnant ».

Quel type d’entraîneur êtes-vous ?

Je délègue beaucoup et je responsabilise mon staff. J’aime travailler en équipe, tout en mettant en place une ligne directrice et une philosophie de jeu avec mon groupe. J’essaie d’avoir un management participatif qui encourage l’autonomie, et beaucoup d’échanges sur le jeu, la vie en communauté… Même si c’est moi le décisionnaire à la fin.

Justement, quels sont les parallèles entre entraîneur de foot et manager au sein d’une entreprise traditionnelle ?

Pour moi ce sont les mêmes mécanismes. Dans les deux cas, c’est un travail basé sur le collectif, qui touche à l’humain. Après, c’est très personnel. L’entraîneur manage de la façon dont il se sent le plus à l’aise et selon ce qui lui semble le plus efficace pour l’équipe. La seule grosse différence que je vois entre le monde du travail classique et le foot, c’est que nous, on a affaire à des joueurs très médiatisés qui, pour la plupart, ont un statut financier hors du commun.

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D’ailleurs, dans le foot, les salariés sont mieux payés que les managers. Comment gère-t-on cette contradiction au quotidien ?

Le travail du staff médical et technique est d’entretenir des échanges et des relations entre tous les joueurs. Oui, ceux qui travaillent proche du groupe ont une influence. Ils créent du lien, et c’est à nous managers-entraîneurs de veiller à le développer et le renforcer chaque jour. Ils nous partagent aussi leurs observations et retours. Il faut les écouter attentivement pour éviter les conflits ou les désamorcer le plus tôt possible.

En parlant de conflit… Quand vous étiez entraîneur de l’OL, certains supporters vous ont rapidement pris en grippe. Comment avez-vous appréhendé la situation ? Et quels conseils donneriez-vous à un manager qui fait face à un conflit ?

L’important, c’est de s’attacher avant tout à ce que l’on maîtrise. Les managers contrôlent l’influence qu’ils ont sur l’équipe et la manière dont ils veulent qu’elle joue. Il faut aussi s’assurer du bon fonctionnement du staff et des relations de chacun avec les joueurs et moi-même. Ce sont des choses sur lesquelles on peut influer et que l’on peut améliorer. Pour le reste, il ne faut pas perdre d’énergie avec ce qui nous échappe.

Une critique revient dans le monde de l’entreprise, c’est le fait de ramener le travail à la maison. Votre métier est très prenant : comment faites-vous pour respecter un équilibre vie pro / vie perso ?

C’est très très compliqué de s’échapper quand on a des responsabilités d’entraîneur ou de patron d’entreprise. On est tous logés à la même enseigne, à savoir qu’on est quasiment 24/24 impliqués dans notre travail. Pendant la saison, c’est d’autant plus difficile de se déconnecter de son job. On peut parfois s’accorder une demi-journée ou une journée avec nos proches sur nos rares temps de repos. Dans ces cas-là, on pense toujours à l’entraînement du lendemain, au match passé ou encore à celui qui arrive avec les différents axes de progression possibles. C’est une éternelle remise en question.

« Je n’ai pas l’impression de travailler quand je me rends à l’entraînement ou à un match. »

Vous êtes-vous déjà senti submergé ?

Non, moi j’ai plutôt tendance à aimer ça et très souvent, quand je suis au repos ou en vacances, je me rends compte que je tourne un peu en rond, le retour au stade fait du bien. On a la chance de vivre d’une passion. Je n’ai pas l’impression de travailler quand je me rends à l’entraînement ou à un match. C’est tellement prenant et ce, malgré les coups de pression et de stress.

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Vous avez dit toujours réfléchir aux prochaines échéances… Comment aborde-t-on les grands rendez-vous et sur quels ressorts s’appuyer pour préparer une équipe aux compétitions ?

Il faut savoir que l’entraîneur ou le manager transmet toutes ses émotions à son groupe. L’équipe va réagir différemment quand tu doutes et quand tu as confiance. La plupart du temps, j’essaie de communiquer de la sérénité et de l’assurance. Parfois ça passe et d’autres fois non. Quoi qu’il en soit, il faut avoir de la mesure et du recul. On est dans un métier où tout va très vite. Si on gagne deux matchs, tout peut s’enflammer et si on en perd deux, ça part dans le sens inverse. J’aime bien mettre de la mesure dans mes jugements pour compenser l’emballement.

En entreprise, on doit parfois communiquer des mauvaises nouvelles comme un licenciement ou une mise à pied. Quelle est votre approche quand vous devez faire ce type d’annonces – la non-sélection d’un joueur pour un match, par exemple ?

La première chose, c’est de privilégier la discussion avec le joueur, même si dans un premier temps ce n’est pas très important de donner des explications car il ne sera pas enclin à les entendre. Par contre, la semaine suivante, on revient sur ce qu’il lui manque pour être titulaire ou sur le banc, et ce qu’il doit améliorer. Il faut toujours avoir la même approche vis-à-vis de ceux qui jouent et de ceux qui ne jouent pas. Porter la même attention, quel que soit le statut du joueur, c’est un des éléments essentiels dans la gestion d’un groupe.

« Porter la même attention, quel que soit le statut du joueur, c’est un des éléments essentiels dans la gestion d’un groupe. »

L’équipe de Rennes augmente en qualité d’année en année, avec des joueurs comme Majer, Theate, Doué… À l’image des chasseurs de talents en entreprise, comment bâtissez-vous une équipe solide ?

Florian Maurice, mon directeur sportif, ainsi qu’une cellule de recrutement, sont chargés d’observer des joueurs tout au long de l’année. En fin de saison, je fais un bilan sur nos besoins. Des éléments peuvent nous quitter parce qu’ils sont sollicités ailleurs ou que je veux me séparer d’eux. Je définis par ailleurs le profil que je souhaite intégrer et c’est Florian, avec ces recruteurs, qui me proposent les joueurs qu’ils ont identifiés. Ensuite, on en discute et on valide. Je ne suis pas seul à prendre la décision car j’estime que je suis de passage. On ne peut pas confier toute la responsabilité du recrutement à un coach parce que le jour où il s’en va, qu’est-ce que l’on fait ? Je pense que c’est important d’avoir des gens qui travaillent de manière un peu plus stable au club et qui le font de concert avec l’entraîneur.

Après l’OL, vous avez entraîné en Chine pendant 2 ans. Que retirez-vous de cette expérience à l’étranger, sur le plan professionnel et personnel ?

D’un point de vue culturel, c’est intéressant de voir des gens qui vivent différemment, avec une pensée et une culture éloignées des nôtres. Ça développe la faculté d’adaptation et ouvre l’esprit sur d’autres habitudes, qui peuvent paraître anodines pour nous mais qui ne le sont pas. D’un point de vue sportif, c’est un autre niveau que la France. Néanmoins, j’ai découvert des joueurs créatifs et travailleurs, avec un grand respect de la hiérarchie et de l’autorité. À l’inverse, dans certains clubs français, cela peut arriver que des joueurs prennent le dessus sur l’institution.

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N’est-ce pas trop dur d’être propulsé numéro 1 après avoir été dans l’ombre, comme un employé qui deviendrait soudain manager ?

Quand on est adjoint ou second, on se demande comment on serait si on était numéro 1. Mais c’est en le devenant que l’on prend conscience de ce que ça représente vraiment en termes de travail… On n’est jamais vraiment prêt. Alors ce qui est important, c’est d’être bien entouré. À Lyon, beaucoup de gens m’ont aidé en me donnant des conseils. Ma force a été de les écouter et de ne pas rester enfermé dans ma vision.

Comment voyez-vous le futur du métier d’entraîneur ?

Pour moi, l’évolution du métier d’entraîneur passe par le management plutôt que le coaching au sens pur du terme, c’est-à-dire la préparation et l’animation de séance. La place du management est plus importante aujourd’hui dans le foot car il y a une forte dimension humaine. Entre les joueurs surmédiatisés qui gagnent beaucoup d’argent et ceux qui ne jouent pas ou peu, la question des egos se pose aussi. Je pense qu’un tacticien ne pourrait pas évoluer sans s’en occuper à moyen terme. Un grand stratège qui n’est pas un bon manager ne peut pas réussir. En revanche, un très bon manager qui ne serait pas un bon stratège peut y arriver en s’entourant d’experts en tactique. D’après moi, le management sera à l’avenir – et ça l’est déjà – au cœur de la réussite de l’entraîneur.
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Article édité par Ariane Picoche, photos fournies par le Stade Rennais Football Club

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