Gérald Baticle : « Les joueurs de foot sont à la fois des salariés et des produits »

17 nov. 2022

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Gérald Baticle : « Les joueurs de foot sont à la fois des salariés et des produits »
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Les clubs de foot sont des entreprises un peu particulières. Pourtant des similarités existent avec les organisations traditionnelles, notamment au niveau des méthodes de management et du rapport à la pression. Gérald Baticle, entraîneur au SCO d’Angers, évoque ce milieu qu’il écume depuis 1991. Interview.

(NDLR : depuis la publication de notre article, Gérard Baticle a été démis de ses fonctions de coach du SCO d’Angers)

À 53 ans, Gérald Baticle est un jeune entraîneur de football… avec une longue expérience du haut niveau derrière lui. Adjoint pendant 10 ans à l’Olympique Lyonnais, il a tout appris du monde professionnel au sein de cette grande institution. Chaque coach qu’il a secondé lui a transmis des savoirs dont il se sert aujourd’hui dans sa vie de numéro un. Depuis plus d’un an, il est entraîneur de Ligue 1 au SCO d’Angers. L’ancien attaquant passé entre autres par Auxerre et Strasbourg se livre pour Welcome to the Jungle sur le monde du foot professionnel, qu’il perçoit comme très proche de l’entreprise « classique ».

Vous êtes numéro un au SCO d’Angers, mais que gardez-vous de vos expériences passées d’entraîneur adjoint ?

J’ai beaucoup appris à travers les différentes méthodes, personnalités et managements auxquels j’ai été confronté. Lorsqu’on est adjoint, on est opérationnel mais il y a aussi des périodes où il faut prendre du recul et c’est le coach principal qui dirige, ce qui permet d’être dans l’observation. J’analysais alors le groupe et tout ce qui se passait, ce qui marchait plus ou moins bien avec les joueurs. J’ai toujours pris des notes sur les bonnes pratiques du métier et sur ce qui me plaisait. Toutes ces méthodes sont des expériences enrichissantes qui permettent de définir sa propre recette de coaching.

Lors de vos dix années d’adjoint à l’Olympique Lyonnais (OL), quels sont les entraîneurs et les méthodes qui vous ont marqué ?

J’ai appris auprès de tous et chacun avait sa particularité. Rémi Garde, par exemple, était plus un manager, il était très fort dans la manière de gérer son staff et ses joueurs. Il trouvait des équilibres dans le club, au niveau administratif ou avec la presse. Hubert Fournier, lui, avait davantage la fibre d’entraîneur et se concentrait sur la stratégie de jeu. Et Rudi Garcia était très expérimenté, il avait ses méthodes à lui, mais a réussi à s’intégrer dans un club qui possède pourtant un fort ADN. Avec lui, j’ai compris que quand on arrive dans un club, il est important d’adapter son management et son discours à la culture en place, de se fondre dedans. Ça n’empêche pas d’apporter de nouvelles choses, bien au contraire, mais il faut respecter l’histoire du club.

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Quel type d’entraîneur êtes-vous : celui qui met la pression ou celui qui mise sur la bienveillance ?

Ça dépend des moments. On a besoin de varier les postures et de s’adapter aux situations pour apporter les bonnes réponses. Je sais être dur ou autoritaire s’il le faut. Mais la base de mon management réside plus dans l’échange, l’observation, l’analyse, l’écoute. Je communique beaucoup avec mon staff, je récolte leurs avis. Je fais des entretiens individuels avec mes joueurs. Dès que j’ai des problématiques, je récupère des informations et après seulement, je fais mes choix. Pour les jeunes joueurs, je me considère comme un guide : je dois les accompagner, les pousser quand ils en ont besoin, les ramener dans le droit chemin quand ils s’égarent. J’essaie de leur montrer le chemin vers la réussite collective et individuelle.

Pensez-vous qu’il y a des parallèles à faire entre un entraîneur et un manager au sein d’une entreprise traditionnelle ?

J’en suis persuadé ! Beaucoup de pratiques du management en l’entreprise s’appliquent au management sportif. J’ai déjà eu des échanges avec des managers de grandes entreprises sur telle ou telle problématique et je me suis inspiré. Cela dit, le management sportif est à part. En entreprise, il y a une hiérarchie avec un manager et des managés. Dans le foot, les joueurs sont à la fois des salariés et des produits. Des produits de luxe que vous devez bonifier… Ils peuvent prendre énormément de valeur voire devenir des produits capitaux pour le club. Manager des salariés, beaucoup d’écoles vous l’apprennent, mais manager un produit haut de gamme qui devient un investissement pour le club, c’est très particulier.

« Manager des salariés, beaucoup d’écoles vous l’apprennent, mais manager un produit haut de gamme qui devient un investissement pour le club, c’est très particulier. »

Dans le monde du sport pro comme celui de l’entreprise, il y a des échéances importantes : comment les abordez-vous ? Sur quoi vous appuyez-vous pour que les joueurs donnent le meilleur d’eux-mêmes ?

J’utilise tous les ressorts possibles. En début de saison, je fais des réunions avec mon staff pour délimiter un cadre de travail et édicter des règles toutes simples. Je donne des responsabilités précises à chacun des membres de mon équipe et s’il y a un doute, ils peuvent venir me voir. Quand ils s’occupent des joueurs, ils sont autonomes et prennent les décisions. Ensuite, je fixe le cadre avec les joueurs, et dans l’année, quand il faut reprendre quelqu’un, je le reprends. Je décide par ailleurs toutes les semaines des objectifs à atteindre.
Et j’insiste sur la communication. Le foot et le sport collectif, c’est beaucoup d’humain donc de communication. Je ne veux pas qu’on se dise juste les bonnes choses, je veux qu’on se dise tout et qu’on soit capable de tout se dire. J’attache aussi de l’importance à la positivité. Il faut voir les choses du bon côté pour attirer le positif et c’est très dur, j’y mets énormément d’énergie. Je m’efforce également de maintenir un minimum de capital confiance. Quand on gagne des matchs, je lutte contre la surconfiance. Quand on perd, je partage mes retours pour faire progresser les joueurs tout en maintenant leur confiance. Il ne s’agit pas de leur « taper dessus ». Si je les « tape », je les perds. Je me dois de les bouger mais de leur expliquer pourquoi, et je me dois de les remettre sur le chemin de la performance tout en les rassurant.

Quand on remet en question votre autorité, comment réagissez-vous ?

J’organise « un entretien individuel de crise ». On y pointe du doigt les lignes franchies et on fixe un autre recadrage quelque temps après pour vérifier que tout est bien en place. Si la situation redevient problématique, on passe à « l’entretien de conflit ». Le premier entretien est un échange, j’essaie de savoir ce qu’il s’est passé pour qu’il morde sur la ligne, de comprendre. Dans le second, on sort de la discussion, je resitue la ligne directrice et j’insiste sur ce que j’attends de la personne.

Vous ne prenez jamais de décisions hâtives, à chaud ?

Quand il faut trancher à chaud, je le fais, mais j’évite. À la mi-temps d’un match, je peux donner de nouvelles indications pour redresser la barre si besoin, mais quand on termine le jeu avec une contre-performance, j’interviens très rarement. Parce qu’on peut aller trop loin quand on est encore dans l’émotion. Je préfère réagir le lendemain avec un management bien défini. Concrètement, quand un joueur s’égare ou a une réaction disproportionnée, on est obligé d’agir voire de sanctionner. On essaie d’intervenir en amont pour éviter la sanction car ce ne sont plus des enfants… La punition doit être l’acte suprême.

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Dans votre milieu, les collaborateurs sont plus payés que les managers. Est-ce que c’est dur à gérer ?

Autant, il y a plein de parallèles entre le milieu de l’entreprise et celui du football, autant la dimension économique est complètement différente. Le joueur peut avoir un énorme salaire et être l’un des gros capitaux du club, ce qui inverse le rapport de force. Moi, je me détache des rémunérations et de leur valeur en me concentrant sur l’accompagnement. J’ai trois objectifs : le premier est de faire gagner les types pour que le SCO se maintienne en Ligue 1. Le deuxième est de pousser mon équipe à bien jouer parce que ça correspond à ma philosophie. Certains collègues privilégient le contre. Moi je veux qu’on gagne par l’attaque, le jeu. En ce moment, avec nos difficultés (le SCO était 19e du classement au moment de l’interview, ndlr), je mets un peu moins l’accent là-dessus. Troisième objectif : faire progresser les joueurs pour leur apporter quelque chose. Quand on y arrive, ils prennent de la valeur. Depuis que je suis au club, on a « vendu » pour 32 millions d’euros de joueurs et « acheté » pour 5 millions.

Quand vous faites des erreurs, le reconnaissez-vous ?

Ce n’est pas agréable de faire des erreurs mais si j’en fais, je le reconnais. Je n’ai pas de problème avec ça car j’ai des discussions avec mes joueurs en interne. Et en externe, je me dois de protéger le groupe. En conférence de presse, par exemple, je réponds aux questions mais je suis dans la protection. Certains joueurs mériteraient parfois d’être critiqués, mais je ne le fais pas en public. D’ailleurs, on me le reproche parfois et on dit que je suis trop positif après un match car on voudrait que j’attaque des joueurs qui ont pu être défaillants… Ce n’est pas mon approche. Par contre, je fais des retours et du recadrage individuels, et des retours collectifs sur la base de vidéos de matchs.

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Ressentez-vous un décalage entre les demandes de votre direction et ce que vous pouvez mettre en place ?

Je ne peux pas vous parler de décalage, car on est dans le sport. La saison dernière, on était le 18e budget du Ligue 1 et on devait battre des clubs aux budgets supérieurs au nôtre… Dans le sport, il y a une vraie corrélation entre le budget et le classement, mais pas que ! Quand on vous donne un challenge, il faut le relever parce qu’il y a cette dimension humaine qui surpasse l’économique et qui peut vous permettre de surperformer. Cette année, avec quatre descentes sèches en Ligue 2 au lieu de deux les années précédentes, il faut encore plus performer et avec plus de pression. On avait également l’obligation de vendre des joueurs donc j’ai dû faire plus avec moins, mais ça fait aussi partie du monde du sport et de la vie d’un club d’avoir des difficultés financières. On s’accroche et on relève le défi.

« Il faut avancer avec la technologie, elle peut confirmer notre perception ou la modifier si on se trompe. »

Comment voyez-vous le futur du métier d’entraîneur ? Nouvelles technologies, nouvelles techniques de management ?

Il faut rester ouvert à l’innovation. Il y a 30 ans, on était sur de la prise d’informations et de l’observation, on y allait à l’inspiration et au ressenti, avec très peu de technologies. Aujourd’hui, le regard du coach reste essentiel, mais on a aussi des données athlétiques, avec de plus en plus de statistiques. Ce matin, on a pris un drone pour filmer notre séance d’entraînement afin de convaincre les joueurs d’aller plus vers l’avant ou de prendre plus de risques. Visuellement, c’est plus fort pour la pédagogie. Quand je dis à un joueur qu’il ne fait pas assez d’appels, j’ai maintenant des chiffres et des données à l’appui. Il faut avancer avec la technologie, elle peut confirmer notre perception ou la modifier si on se trompe.

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Article édité par Ariane Picoche, photos fournies par le club

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