Quand Sex Education booste votre marque employeur en 5 leçons

04 nov. 2021

9min

Quand Sex Education booste votre marque employeur en 5 leçons
auteur.e
Laetitia VitaudExpert du Lab

Autrice, consultante et conférencière sur le futur du travail, spécialiste de la productivité, de l’âge et du travail des femmes

Quel rapport entre la série Sex Education et le développement de votre marque employeur ? Sur le papier, aucun. Et pourtant, diffusée sur Netflix depuis 2019, cette création britannique est un puits d’inspiration pour les entreprises en quête d’attractivité. Aujourd’hui, être sexy pour ses (futur·e·s) salarié·e·s passe par plus d’inclusion et de diversité, une meilleure communication interne et l’équilibre entre individualités et sens du collectif – des sujets abordés sans fard dans Sex Education. Laetitia Vitaud vous explique pourquoi.

Qu’est-ce qui relie cette série géniale qui brise les tabous autour des sexualités et le sujet de la marque employeur ? Beaucoup de choses, en fait. D’abord, le monde du travail traverse actuellement une grande crise de libido. Avec la baisse de désir, les travailleur·se·s démissionnent en masse – outre-Atlantique, on parle même de « grande démission » – ou bien cherchent désespérément à « réinventer » leur job pour le rendre plus attirant. En somme, c’est un peu comme si le monde du travail vivait sa grande révolution sexuelle : chaque individu revendique son droit singulier au plaisir et voudrait apprendre à connaître ses propres zones érogènes.

Mais la raison principale pour laquelle on peut penser au sujet de la marque employeur en regardant Sex Education, c’est la place centrale de la lutte pour plus l’inclusivité dans le décor principal de la série – une institution scolaire. La fiction créée par Laurie Nunn fait largement écho aux enjeux de diversité et d’inclusion qui questionnent aujourd’hui l’organisation du travail, le recrutement et la culture des entreprises.

Le succès mérité de la série ne tient évidemment pas qu’au sexe. Grave et drôle, cette comédie aborde toutes les questions culturelles qui chamboulent notre société, et avec elle, les entreprises et la vision du travail. Donc oui, Sex Education est riche d’enseignements sur ce que peut être la marque employeur d’une organisation à notre époque. Voici 5 leçons que l’on peut en tirer.

Halte aux discours bullshit sur l’âge en entreprise

Dans la série :

Avec ses décors rétro, ses vieilles voitures et la faible place qu’elle accorde aux écrans et à la technologie, la série Sex Education cherche à créer une sorte de vertige temporel. Les grands problèmes humains qu’elle met en lumière sont des sujets universels non spécifiques à une génération. Tout ce qui concerne l’âge y est donc brouillé. Les parents font des crises d’adolescence et des retours dans l’enfance, comme Michael Groff, le proviseur du lycée, qui se confronte à son enfance après avoir perdu son poste. Les ados sont souvent plus responsables que les adultes, à l’image du personnage d’Ola Nyman qui conduit son père Jakob en camion au travail.

De plus, les personnages d’adolescent·e·s sont tou·te·s interprété·e·s par des acteur·rice·s qui ont entre 7 et 12 ans de plus que le personnage qu’ils / elles interprètent. Les jeunes de Sex Education ne sont pas bien différent·e·s de leurs aîné·e·s, semblent nous dire les scénaristes. Enfin, l’approche thérapeutique incarnée par Jean Milburn et son fils Otis mettent tous les âges sur un pied d’égalité. Face au trauma, à la quête de soi, à la recherche du plaisir sexuel ou à l’amour, nous sommes tou·te·s des enfants. On peut découvrir la sexualité à 50 ans, comme Maureen Groff, qui se lie d’amitié à Jean Milburn et (re)découvre la sexualité après une longue traversée du désert.

Au travail :

Les discours sur les générations – millennials puis génération Y et Z – ont fait les choux gras des consultant·e·s de tout poil. Mais ils reposent essentiellement sur du vent : en matière de travail, les X, Y et Z ont fondamentalement les mêmes aspirations. Il ne faut pas confondre effet d’âge et effet de génération. C’est à tort que l’on prête aux plus jeunes des caractéristiques générationnelles qu’ils / elles sont loin de partager. Les « nouveaux modes de travail » ne sont en rien l’apanage des plus jeunes ; ce sont paradoxalement eux / elles qui trouvent plus d’intérêt à aller au bureau pour nouer des liens tandis que les quarantenaires et cinquantenaires sont plus friand·e·s de télétravail quand ils / elles ont des enfants ou sont aidant·e·s. Quant aux compétences numériques des digital natives, elles ne sont pas universellement partagées par les individus d’une même classe d’âge.

Les entreprises ont tort de vouloir se focaliser sur les jeunes générations quand elles souhaitent améliorer leur marque employeur. Il n’y a tout simplement pas assez d’individus de la génération Z pour tous les besoins de nouveaux salariés des entreprises ! L’âge médian en France est supérieur à 41 ans et il ne cesse pas d’augmenter. C’est le jeunisme et l’âgisme omniprésents qui dégradent la marque employeur, pas l’incapacité à « attirer les Z ». Les Z, comme les Y, les X, les A, B, C, D et les autres, aimeraient bien qu’on ne les assigne pas de manière déterministe à des rôles et emplois en fonction de leur âge. Nous vivons et travaillons plus longtemps. Les carrières sont désormais rarement linéaires et amènent de nombreuses personnes à se réinventer plusieurs fois au cours de la vie. Il serait temps que les entreprises en prennent la mesure et cessent de perpétuer des modèles âgistes.

Articuler les revendications individuelles et le sens du collectif : le plus grand défi des organisations

Dans la série :

Dans la saison 3, après un épisode « d’hystérie collective » autour d’une épidémie de chlamydia, l’établissement Moordale est repris en main par une nouvelle proviseure, une jeune femme qui laisse attendre modernité et progressisme. Mais Hope Haddon déjoue les attentes en mettant en place des mesures plus répressives et archaïques les unes que les autres. Elle refuse d’entendre les revendications des élèves, qui lui semblent individualistes ou communautaristes. Elle entend ranger chacun·e dans une case précise (fille / garçon), exige qu’ils / elles marchent en file indienne, tente de supprimer toute forme d’expression personnelle et interdit les signes d’identification LGBTQ+. En somme, elle voudrait les dépouiller de leur individualité pour une parfaite homogénéité.

Au travail :

Comment maintenir le sens du collectif si chacun·e travaille dans son coin ? Que devient la culture d’entreprise dans une organisation hybride où chaque salarié·e choisit le mode de travail qui lui convient et entend faire respecter ses désidératas particuliers ? À force d’individualiser le travail, ne risque-t-on pas de détruire la cohésion du groupe ? Les mouvements féministes et « woke » qui mettent sur la table les questions de diversité et d’inclusion représentent-elles des menaces pour la conception universaliste que l’on défend souvent en France ?

Ces questions semblent de plus en plus omniprésentes, en particulier depuis la généralisation du télétravail imposée par la pandémie. Certaines entreprises sont tentées d’imposer à nouveau le présentéisme aux salarié·e·s pour les forcer à tisser des liens avec les autres. Hélas, forcer ses salarié·e·s à être présent·e·s au bureau, leur imposer des carcans qui font fi de leurs contraintes personnelles, cela ne crée pas par magie une cohésion d’équipe.

En tant que salarié·e, soit vous endurez le carcan en silence pour ne pas perdre votre emploi (mais vous éprouvez du ressentiment et n’êtes pas engagé·e), soit vous partez travailler ailleurs. Quant à attirer des candidat·e·s avec une culture qui refuse de respecter les individus dans leur singularité, cela sera de plus en plus difficile ! Hope Haddon représente l’anti-modèle absolu en matière de marque employeur. Elle n’a pas compris que la diversité et l’inclusion sont des sujets centraux qui doivent nous obliger à revoir nos manières de travailler.

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La ménopause sociale pénalise sérieusement les femmes

Dans la série :

La sexologue Jean Milburn, incarnée par l’actrice Gillian Anderson, tombe enceinte à 48 ans alors qu’elle est en périménopause. Elle décide de mener la grossesse à son terme… mais se heurte à un système hospitalier qui l’infantilise et la culpabilise sans cesse. Alors qu’elle est encore féconde (puisqu’elle tombe enceinte sans même le vouloir), la société et le corps médical lui font comprendre qu’elle ne devrait pas en avoir le droit.

Comme l’explique la sociologue Cécile Charlap dans La fabrique de la ménopause, il s’agit de la « ménopause sociale », une série d’interdits qui frappent les femmes avant même la ménopause. Jean Milburn est féministe : elle tente de se défendre face à un âgisme précoce qui la frappe avec des injonctions déterministes. On lui dit qu’elle est trop vieille pour avoir des enfants alors qu’on ne dit rien de semblable au père du même âge.

Au travail :

L’âge est devenu la première crainte de discrimination en entreprise et cela affecte les travailleur·se·s dès 45 ans. 41% des salarié·e·s estiment ainsi être discriminé·e·s en raison de leur âge. Cette réalité est encore pire pour les femmes. Dans un article de 1972 devenu culte, The Double Standard of Aging, l’écrivaine Susan Sontag expliquait déjà que l’âge est socialement valorisé chez les hommes – les tempes grisonnantes sont perçues comme un signe supplémentaire de légitimité – tandis qu’il est stigmatisé chez les femmes.

Avec ce rapport de 2019 du Conseil supérieur à l’égalité professionnelle, on comprend que les choses n’ont pas beaucoup changé : l’écart d’accès à l’emploi persiste au détriment des femmes et l’écart de revenus est d’autant plus élevé que l’on monte en âge. Une « ménopause sociale » pénalise les femmes dès la quarantaine. Pourtant, l’âge médian féminin est plus élevé que l’âge médian masculin – car il y a plus de vieilles femmes que de vieux hommes. 50% des Françaises ont plus de 44 ans !

Le sujet de la ménopause s’est récemment imposé dans les entreprises britanniques. Il y a des raisons de penser que l’âgisme sera dans les années à venir un enjeu de premier plan pour la marque employeur des entreprises partout en Europe. Écoutez Jean Milburn pour avoir une longueur d’avance !

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L’écoute active, une solution pour mieux communiquer

Dans la série :

Le duo central de Sex Education est composé d’une sexologue (Dr Jean Milburn) et de son fils adolescent (Otis), thérapeute en herbe. Pendant que Jean reçoit des patient·e·s dans son cabinet professionnel, Otis et sa « collègue » ado Maeve Wiley, en cachette des enseignant·e·s et du proviseur, mettent en place une cellule d’écoute auprès des élèves. À 16 ans, encore puceau (dans les deux premières saisons), Otis n’est en rien un expert du sexe. Mais il sait écouter. Or l’écoute et l’observation font des miracles. La sagesse de l’adolescent consiste à ne pas juger et à développer la patience nécessaire à une écoute active. En peu de temps, la cellule d’écoute d’Otis et Maeve connaît un succès qu’ils n’avaient pas anticipé…

Au travail :

Dans beaucoup d’entreprises, on valorise insuffisamment l’écoute. Les extraverti·e·s sont souvent récompensé·e·s : il faut occuper l’espace et montrer que l’on sait tout. Dans son livre La force des discrets, Susan Cain explique que les introverti·e·s ont longtemps été victimes de discriminations multiples dans les cultures qui cherchent des leaders « charismatiques ». Pour elle, un peu plus de silence et d’écoute feraient des miracles pour améliorer la communication et l’efficacité dans une équipe. Les introverti·e·s ont une force de concentration, une capacité d’analyse, un sens de l’écoute et une créativité qui en font les ressources les plus précieuses au travail.

Susan Cain n’est pas la seule à vouloir faire passer ce message aux managers. Depuis quelques années, des coachs proposent des ateliers d’écoute active en entreprise. Développé par le psychologue américain Carl Rogers, ce concept désigne une technique de communication visant à verbaliser les émotions que la personne a du mal à exprimer seule. Au travail, l’écoute active favorise la compréhension et la confiance. Pour améliorer sa marque employeur, on peut s’appuyer dessus : écouter activement les candidat·e·s et les salarié·e·s sans les juger devrait toujours être la première étape.

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En entreprise (et au-delà), inclure le handicap requiert une révolution

Dans la série :

Dans la saison 3, Maeve Wiley a une relation amoureuse avec Isaac Goodwin, un jeune homme en fauteuil roulant. Ce dernier est interprété par un acteur lui-même quadriplégique, George Robinson, qui a pris la parole sur la représentation (authentique) du handicap dans les œuvres de fiction et salué le fait que, pour une fois, le rôle d’handicapé n’a pas été confié à un acteur valide. Plusieurs scènes de Sex Education abordent de manière explicite la sexualité d’Isaac. Le message ? Lui aussi peut revendiquer le plaisir sexuel, l’amour et l’inclusion. Hélas, si sa vie amoureuse semble être présentée de manière inclusive, sa vie d’étudiant ou d’actif, elle, est à l’écart des autres. Créatif et intelligent, Isaac n’est ni scolarisé ni actif. Il habite avec son frère dans un parc à caravanes et vit dans la plus grande précarité. La série laisse ainsi le public avec un sentiment d’immense gâchis.

Au travail :

Le handicap est un sujet régulièrement abordé en entreprise. Mais il l’est souvent sous l’angle réglementaire ou « caritatif ». Bien sûr, ces aspects sont essentiels. Mais souvent les lois et les objectifs RSE enferment le handicap dans des considérations d’obligations légales, déshumanisent les personnes concernées et dévalorisent leur talent.

Le taux de chômage des personnes handicapées reste beaucoup plus élevé que la moyenne nationale. Parmi les chômeur·se·s handicapé·e·s, plus de la moitié sont sans emploi depuis plus d’un an. L’inclusion des personnes en situation de handicap dans les organisations fait de plus en plus l’objet de revendications. Le validisme est présenté comme une forme de discrimination car il désigne la personne sans handicap comme la norme sociale à laquelle tout le monde devrait se conformer. L’entreprise peut jouer un rôle critique dans la déconstruction de cette norme. Et si c’était là un autre chantier de la marque employeur ?

Photo Netflix
Article édité par Ariane Picoche

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