Comment arrêter de culpabiliser au travail lorsqu'on est mère ?

Publié dans BADASS

25 mai 2022

7min

Comment arrêter de culpabiliser au travail lorsqu'on est mère ?
auteur.e
Lucile QuilletExpert du Lab

Journaliste, conférencière et autrice spécialiste de la vie professionnelle des femmes

BADASS - Vous vous sentez illégitimes, désemparées, impostrices ou juste « pas assez » au travail ? Mesdames, vous êtes (tristement) loin d’être seules. Dans cette série, notre experte du Lab et autrice du livre de coaching Libre de prendre le pouvoir sur ma carrière Lucile Quillet décortique pour vous comment sortir de la posture de la “bonne élève” qui arrange tout le monde (sauf elle), pour enfin rayonner, asseoir votre valeur et obtenir ce que vous méritez vraiment.

Ma mère est un ovni. Je l’ai compris très tard. Elle est cheffe d’entreprise dans le médical. Nous aurions pu déménager au gré des offres de promotion de mon père, mais nous sommes restés là où nous étions pour son entreprise, à elle. Elle ne venait pas nous chercher tous les jours à l’école, encore moins avec un goûter bio, elle rentrait tard certains soirs, elle partait parfois en pleine nuit pour des urgences. Ma soeur et moi avons grandi avec l’exemple de cette mère très active, sans nous questionner, et jamais, de mémoire, nous ne lui avons fait de reproches, ni ne nous sommes senties moins aimées. Parce que ma mère ne s’est jamais excusée de travailler. Cela n’a en fait jamais été un sujet.

Culpaquoi ?

Puis, je suis devenue journaliste, spécialisée sur le travail des femmes. J’ai fait beaucoup d’interviews, écouté nombre de femmes me raconter leurs problématiques de conciliation de vies. Et toujours une petite musique revenait. Une petite musique que je ne comprenais pas, que je découvrais et qui me semblait venue d’un autre temps : celle de la culpabilité.

J’entends - encore aujourd’hui - des femmes me dire qu’une boule au ventre se noue à la fin de leur congé maternité. Qu’elles culpabilisent de laisser leur enfant à la crèche ou à une nounou qui ne sera jamais autant impliquée et aimante qu’elles. La culpabilité est là aussi quand elles doivent arrêter d’allaiter à cause de leurs déplacements professionnels, ceux-là même qui les poussent à “laisser” leurs enfants quelques jours. J’entends tout ça et me demande encore : « Mais pourquoi ? »

Cette culpabilité vient leur dire qu’elles n’ont pas le “bon” sens des priorités. Elle se mue en une petite voix intérieure qui leur murmure qu’elles sont « la mère, tout de même », que le travail ne devrait pas passer avant leur(s) enfant(s), qu’ils sont le véritable sens de leur vie, loin devant leur job, aussi sympa soit-il. Alors, quand elles passent la majeure partie de leur temps, du lundi au vendredi, à faire autre chose que de s’occuper de leur progéniture, la redoutable étiquette vient se coller à leur front : « Mauvaise mère. » Et pourtant, hello world, nous sommes en 2022.

Culpabilité partout, égalité nulle part

Quand ce n’est pas une petite voix intérieure qui joue la guilty symphonie, c’est parfois l’entourage, la famille, voire la société toute entière qui leur rappelle. Sur Instagram, certaines abonnées m’ont raconté la culpabilité ressentie face aux réactions désapprobatrices quand elles affirment être soulagées de retourner au travail, comme si elles traitaient leur enfant tel un un vieux sac de pommes de terre. Mais les voilà désormais réduites au statut de mère, cette sainte qui doit tout oublier, à commencer par son individualité. Évidemment : pourquoi faire des enfants si ce n’est pas pour passer TOUT votre temps avec eux à la maison ?

En creusant au fil du temps, je me suis rendue compte que la culpabilité maternelle est partout, qu’elle ne s’arrête pas aux enfants. Elle se prolonge vis-à-vis de l’employeur : quand la charge mentale inhérente à la vie de famille laisse moins de temps de cerveau disponible aux femmes pour leur job. Quand elles n’arrivent plus à “tout faire” comme avant. Quand elles “confessent” en entretien d’embauche être enceintes et qu’elles s’estiment “chanceuses” de ne pas avoir été recalées d’office. Quand elles n’osent du coup pas négocier leur salaire, parce que c’est “déjà bien” d’avoir ce poste avec toutes leurs contraintes. Quand elles ne peuvent pas assister aux réunions après 18h et quittent le bureau en catimini pour échapper au fameux « Bah alors, tu as pris ton aprem ?». Quand elles n’osent pas demander de l’aide face à l’un des nombreux imprévus rencontrés par les parents (la palme revenant à la maladie inopinée du bambin ou une contrainte du mode de garde) pour ne pas “embêter” les autres, ceux-là même auxquels on s’adapte quand ils font du télétravail, par exemple.

Et puis, cherry on the cake, il y a la culpabilité vis-à-vis de soi-même : celle de ne plus avoir de temps pour soi, de ne pas arriver à “tout faire”, ou encore de raconter à la machine à café, le lundi matin, un week-end fait de lessives et préparation de repas façon batch cooking alors que votre collègue Benoît, 29 ans, étale ses exploits de kite-surf.
Que laisse entendre cette culpabilité ? Que notre rôle premier en tant que femme n’est pas là. Qu’on a tort, qu’on a failli, qu’on fait mal… C’est faux, bien sûr. Cette culpabilité met surtout en lumière une chose : que les mères en prennent beaucoup plus sur leurs épaules qu’elles ne devraient.

Alors, comment l’envoyer valser cette culpabilité ?

1. Remettre les choses dans leur contexte

Pourquoi les femmes culpabilisent alors qu’elles se coltinent plus de travail que tout le monde ? Heureusement, les chiffres sont là pour vous le rappeler : vous assurez certainement plus de 72% des tâches domestiques de base. Et, comme environ 41% de celles étant cadres selon l’Insee, vous avez probablement adapté vos horaires ou temps de travail une fois devenues mères. C’est encore vous qui êtes appelées quasi systématiquement par la crèche ou l’école en cas de pépin. Vous qui avez un congé maternité de 8 semaines obligatoires contre seulement… 7 jours pour les pères… Et tout ça fait qu’en bout de chaîne, vous gagnez moins d’argent. Bref, au lieu de vous auto-flageller, vous méritez surtout d’avoir accès à l’égalité… et les hommes, de stimuler un peu leur degré de perfectionnisme.

2. Vous demander ce que voulez vraiment

L’omniprésence de la culpabilité signifie une chose : vous n’aurez jamais l’approbation de tout le monde. Alors concentrez-vous sur la seule chose qui est authentique, sincère et à votre portée : votre désir. Quand vous laissez au placard les “il faut”, c’est déjà un gros morceau de perfectionnisme dont vous vous allégez. Accordez-vous de la souplesse, savourez les cycles de votre vie : avoir tout en même temps, c’est souvent éprouvant et au fond, ça ne vous fait pas tant plaisir que ça (puisque vous êtes épuisée).
Si vous avez envie de faire une Rachida Dati et de retourner bosser quatre jours après l’accouchement, très bien. Si vous souhaitez prendre une année de congé parental car tout vous semble dérisoire à côté de votre bébé, faites donc. L’option qui vous ressemble est toujours celle qui, in fine, s’avère la plus pertinente et surtout, vous laisse le moins de regret dans le futur. Car il n’y a jamais qu’une seule bonne façon de faire : la vôtre, selon votre personnalité, vos envies, vos besoins, votre contexte.

3. Parler à votre enfant

Je n’ai jamais fait de reproches à ma mère car elle ne m’a jamais fait sentir que son travail enlevait quoi que ce soit à l’amour qu’elle me portait. On abandonne un enfant quand on se déresponsabilise vis-à-vis de lui, pas quand on ne passe pas tout son temps avec lui. Votre enfant est une éponge, il absorbe les messages que vous lui envoyez, il comprend ce que vous lui montrez. Expliquez-lui vos choix de façon positive : « Je pars en déplacement une semaine, mais je vais revenir. Tu sais, le travail c’est important, c’est quelque chose qui n’appartient qu’à soi, qui apporte de la satisfaction, qui rend indépendant. Toi aussi, plus tard, tu auras un travail à toi. » Le message derrière n’est pas « Je préfère mon travail à toi » mais « Dans la vie, on a le droit d’être pluriel. Une personne ne peut pas suffire à tout ». Quand votre mode de vie respecte votre équilibre, sans pour autant manquer à vos responsabilités familiales, c’est aussi une éducation riche et pleine de possibles que vous donnez à votre enfant.

4. Ne plus vous excuser

Quant à la culpabilité vis-à-vis de votre employeur, vous n’avez pas à porter sur vos épaules le poids du manque d’inclusivité, de souplesse d’un monde du travail resté bloqué dans les années 60, où l’on doit être 100% disponible pour son travail (pendant que quelqu’un fait tout à la maison à votre place).
Ça me fait toujours un peu rire de me dire que certains hommes aiment visiblement avoir des enfants, mais pas que les femmes (du moins celles qui travaillent avec eux) en fassent. Avoir des enfants et des responsabilités qui induisent une flexibilité au travail, ça n’a rien d’anormal, ni d’exceptionnel. Ne pas tenir ses responsabilités familiales tout en jugeant ceux et celles qui les assument, voilà qui devrait en faire culpabiliser plus d’un.

5. Vous connecter

Parlez entre collègues, consoeurs, amies, et vous vous rendrez vite compte que votre problème n’est pas un cas isolé : nous sommes des milliers (que dis-je, des millions !) dans ce cas-là. Ce qui prouve bien que le problème ne peut pas être résolu à une échelle individuelle mais sociétale. Aussi, un peu de vigilance : gardons-nous bien de juger les autres mères et leurs méthodes !
Pour vous sentir moins seule et gagner de la force, branchez vos écouteurs sur les podcasts spécialisés comme Les Équilibristes, Maman bosse, La Reprise, Bliss stories, French working mums and dads et allez jeter un oeil sur le compte Instagram @Issence.fr dédié au 5ème trimestre.

Quand on y pense, au fond, cette culpabilité maternelle, vis-à-vis de l’enfant, de l’employeur et de nous-mêmes, nous rappelle combien on refuse encore aux femmes d’être des êtres pluri-dimensionnels : mère, femme active, amie, soeur, compagne, et aussi ces autres qualificatifs qui ne vous définissent pas en fonction d’autres personnes (activiste, membre d’association, fan de curling…). La preuve en est : on leur demande, selon la formule bien connue de « travailler comme si elles n’avaient pas d’enfants, et d’élever leurs enfants comme si elles n’avaient pas de travail ». Parce qu’on leur demande d’être parfaite dans ce qu’elles font, elles n’ont pas la place pour tout. Être 100% investie ou ne pas être. Si elles rognent sur le niveau de perfectionnisme, elles culpabilisent. Alors elles tentent d’être la mère parfaite et la working girl de l’extrême, cette Shiva en puissance, une Wonder Woman surhumaine… Résultat, nous craquons (et c’est à ce moment-là que Jean-Mi-du-bureau dit que « les femmes ne sont pas aussi solides que les hommes tout de même »). Or, nous avons le droit d’être plurielles, sans s’excuser, sans devoir s’épuiser. Il est temps d’inverser la culpabilité et rendre leur part aux hommes, au monde du travail, à la société qui nous en demande BEAUCOUP trop. Alors que sans doute, nous ne leur en demandons pas assez.

Article édité par Mélissa Darré, photo par Thomas Decamps.

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