Solitude du boss : comment composer avec le poids des responsabilités et du pouvoir ?

04 oct. 2022 - mis à jour le 30 sept. 2022

4min

Solitude du boss : comment composer avec le poids des responsabilités et du pouvoir ?
auteur.e
Marlène Moreira

Journaliste indépendante.

contributeur.e

LA SOLITUDE DU BOSS. C’est le genre de titre qui vaut certainement son pesant d’or dans certains dîners, mais au-delà de l’étiquette du grand manitou, le statut de dirigeant implique son lot de contraintes. Nombreux sont les chefs d’entreprise, notamment, à témoigner d’un puissant sentiment d’isolement. Mais à quoi est-il dû ? Quelles en sont les causes et les effets ? Et surtout, comment se défaire de cette solitude ? Plongée en trois actes au cœur de l’une des problématiques phares du haut de l’organigramme, qui n’est pas sans conséquence sur le reste de l’entreprise et des équipes.

D’après une étude BPI France Le Lab conduite en 2016, 45 % des dirigeants se sentent isolés. Comme souvent, une seule problématique dissimule des causes multiples, et la solitude du dirigeant n’y échappe pas. Pour analyser les différents tenants et aboutissants du phénomène, découvrez le premier article de notre série La solitude du boss, consacré ici au poids écrasant des responsabilités et du pouvoir inhérents au statut de dirigeant.

Faire grandir sa société, trouver des clients… et fermer les robinets

Bruno Bouton-Rodriguez a 53 ans, et rien ne le prédestinait à devenir chef d’entreprise. « J’ai travaillé dans la radio, la presse TV… J’ai même animé le journal télévisé de l’armée. Quand mon fils est né, j’ai voulu avoir une vie plus normale. Un peu par hasard, j’ai découvert le monde de la formation, et j’ai adoré », commence-t-il. Aujourd’hui, sa société Mission Formation compte une quinzaine de collaborateurs et collaboratrices. Mais malgré une équipe solide, le sentiment de solitude n’est pas étranger à Bruno. « À un moment, tout cela m’a dépassé. L’entreprise a grandi trop vite, ce n’était pas prévu. Je me suis rapidement senti seul et plus trop capable. » En effet, la gestion, la comptabilité, la finance : ce n’est pas sa tasse de thé. « Je gérais tout cela comme je gérais mon compte personnel. En fait, je n’ai jamais eu de business plan, tout s’est construit au fur et à mesure. Alors à un moment, cela donne le vertige : il y a tout cela déjà ? Comment je vais pouvoir gérer ? », se remémore Bruno.

Car ce dirigeant autodidacte n’a pas appris les fondamentaux dans une école de commerce, ni fait ses armes avec le business plan d’une entreprise fictive. « Quand j’ai lancé ma société, je ne savais même pas ce qu’était un amortissement, ajoute-t-il. À un moment, j’ai compris que j’avais deux choix : soit je me formais, soit j’embauchais… Et le temps est une ressource précieuse quand on est dirigeant, alors j’ai embauché. »

« On a souvent de la trésorerie pour payer un mois, deux mois, trois mois… Après cela, tout peut se terminer du jour au lendemain, ou presque. »

Au-delà des responsabilités et de la solitude, la plus grande inquiétude de Bruno est ailleurs : se « Johnnyhallydaïser ». Un néologisme sur-mesure qu’il utilise pour illustrer la course infernale du chef d’entreprise, dont il est parfois difficile de s’extraire. « Je crains parfois, comme Johnny Hallyday, de mettre le doigt dans un engrenage et ne plus pouvoir m’arrêter sous peine de m’effondrer. Il faut toujours plus de chiffre d’affaires, toujours plus de missions, toujours plus de collaborateurs. Mais la vérité, c’est que l’on a souvent de la trésorerie pour payer un mois, deux mois, trois mois… Après cela, tout peut se terminer du jour au lendemain, ou presque. »

Une conscience de la fragilité du quotidien que Bruno a parfois l’impression d’être le seul à porter. « Au démarrage d’un projet comme celui-ci, les collaborateurs sont hyper impliqués. L’entreprise est comme la leur, ils en prennent soin. Puis elle grandit, et une distance se crée. La solitude n’est pas uniquement liée aux angoisses, aux nuits blanches, au poids permanent des responsabilités… Elle est aussi alimentée par des choses toutes simples, comme réaliser que le dernier collaborateur est parti sans éteindre les lumières ou fermer les robinets, ou encore que des commandes de fournitures ont été passées en doublon. Cela donne le sentiment de devoir tout faire, tout le temps. »

Le dirigeant, seul face à ses limites

Mondialisation, conjoncture économique instable, réglementations en permanente évolution… Tributaires de facteurs exogènes, les dirigeants doivent maintenir le cap malgré un brouillard de plus en plus épais. Une situation d’autant plus pesante que les collaborateurs attendent de leur chef une vision claire de leur avenir. Or, il est par nature impossible pour le dirigeant de tout savoir, de tout prévoir. Pourtant, la multitude des casquettes et des expertises attendues d’elle ou lui ne font que croître. Et si on lui pardonnera aisément un peu de maladresse, ou des goûts old school pour la décoration de l’open space, il porte aussi la responsabilité légale, dans un monde où la réglementation est chaque jour plus complexe. « C’est pourquoi il est indispensable de s’entourer, afin de ne pas se retrouver en responsabilité et assumer des erreurs liées à sa propre ignorance. Les dirigeants qui vivent le mieux le poids de leur rôle sont ceux qui savent très vite identifier leurs limites, constate Christophe Nguyen. On peut être généraliste, mais si on veut accompagner la croissance de son entreprise il faut savoir déléguer. » Délé-quoi ?

« Si on ne veut plus se sentir seul, il faut aussi penser à ces endroits dans lesquels on peut être soi-même, avoir un équilibre : sa famille, ses hobbies, une vie associative… »

Un constat d’autant plus difficile à traduire en actes, que les dirigeants ont souvent un profil psychologique dit “responsable”. « La conséquence directe, c’est qu’ils se surattribuent souvent la responsabilité d’une action, d’un succès, d’un échec. » Est-il possible de contourner ce biais typique de l’être humain ? « Oui. Il faut non seulement arrêter de chercher des coupables, mais aussi s’investir dans autre chose que son entreprise. Si on ne veut plus se sentir seul, il faut aussi penser à ces endroits dans lesquels on peut être soi-même, avoir un équilibre : sa famille, ses hobbies, une vie associative… », recommande Christophe Nguyen. Bref, ne pas concentrer toute son individualité autour de son rôle de dirigeant, s’autoriser à lâcher du lest. Un conseil visiblement difficile à appliquer, puisque de récentes études sur la santé des dirigeants de TPE/PME révèle que, depuis la pandémie, plus de la moitié d’entre eux ont l’impression de ne plus se détacher du travail. Et un tiers déclare avoir du mal à concilier vie professionnelle et engagement personnel.

Apprendre à demander et trouver de l’aide

Car c’est bien là l’autre écueil du dirigeant : porter seul le poids des responsabilités et faire bonne figure, sans chercher de l’aide à l’extérieur. « La solitude, le dirigeant la ressent particulièrement dans les périodes difficiles, parce qu’il est contraint de faire semblant, de se créer un masque, il ne peut pas partager ses craintes à ses équipes ou trop s’épancher sur ses émotions, observe Christophe Nguyen. Et il est le seul à devoir jouer ce rôle-là ». Encore une fois, trouver des ressources en dehors de l’entreprise, troquer ses multiples casquettes et responsabilités pour un bob à fleurs, serait (au moins partiellement) la solution.

Alors, que vous décidiez de collectionner des timbres ou de devenir membre du club de curling local, ces autres cercles de vie sont indispensables à votre équilibre de dirigeant. En vous permettant d’être vous-même, ils vous soulagent - au moins provisoirement - du poids des responsabilités et du pouvoir, de l’isolement et de la solitude. Et ce n’est pas tout ! Combattre la solitude du dirigeant, c’est aussi savoir bien s’entourer. Une tâche qui n’est malheureusement pas aisée. Comment identifier les bonnes personnes ? Où les chercher ? Comment dépasser les mauvais coups et les trahisons ? C’est l’objet du second volet de notre série La solitude du boss.

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Article édité par Mélissa Darré, photo : Thomas Decamps pour WTTJ

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