Et si l'avenir c'était de recruter dans le métavers ?

07 nov. 2022

6min

Et si l'avenir c'était de recruter dans le métavers ?
auteur.e.s
Thomas Decamps

Photographe chez Welcome to the Jungle

Laure Girardot

Rédactrice indépendante.

Le coup de com employeur de Carrefour n’est pas passé inaperçu dans la sphère RH. Pour séduire les ingénieurs des grandes écoles, Alexandre Bompard, son PDG, a introduit une session de recrutement depuis son campus virtuel, dans le métavers. Innovation incontournable ou nouveau gadget RH ? Quoi qu’il en soit, sa place dans l’expérience candidat prend de l’ampleur. Mais quels sont les bénéfices attendus ? Demain, le métavers sera-t-il une étape du processus de recrutement pour toutes les entreprises ? Tous les profils ?

Les métaverses sont des univers numériques parallèles et immersifs. Techniquement, ils représentent des espaces virtuels collectifs, tels que des bureaux, créés via une combinaison de réalité virtuelle (VR) et de réalité augmentée. « Dans le métavers, au travers d’avatars, il sera possible de se mettre en situation et de ressentir les choses grâce aux simulations. Ce qui est bénéfique dans différents domaines RH, du recrutement à la formation », explique Pierre Jacob, Principal Digital & Data au sein de Magellan consulting, entité du groupe Magellan Partners, cabinet de conseil en organisation et technologie. Ainsi, toute une série d’actions RH sont virtuellement transposables : de la recherche de nouveaux talents à la valorisation en passant par l’évaluation des candidats jusqu’à la formation des nouvelles recrues.

Métavers : l’émergence de nouvelles étapes de recrutement

Les job datings virtuels : vers un nouveau marché de l’emploi

Marjorie Di Placido, experte en télétravail et créatrice du label Remote friendly, organise tous les mois un job dating virtuel avec des entreprises adeptes du 100 % remote. Côté organisation ? « J’utilise Typebot.io – mon assistant virtuel – qui me permet d’humaniser la démarche d’inscription. Puis, pour la création d’événements virtuels, WorkAdventure est mon outil de prédilection. Je l’utilise pour créer des bureaux virtuels à l’année et modèle l’outil pour inventer des univers dans lesquels je reçois le public. » Le dernier événement dans le métavers a été un succès : il a réuni dix entreprises dont AssessFirst, l’École O’clock, Bfore.Ai ou encore TROOPS.FR. Afin de pourvoir les 40 offres d’emplois ouvertes, les recruteurs ont pu rencontrer virtuellement plus de 800 candidats sur leur stand. La moyenne des talents rencontrés par entreprise est variable : « De 8 à 24 profils par demi-journée et par recruteur. Ce qui est quasi équivalent à un événement en présentiel ». L’expérience en elle-même semble également marquante : « Au début, c’est assez déstabilisant car les entretiens virtuels s’enchaînent… Mais les rencontres sont chaleureuses et restent finalement très humaines », raconte Aurore Baudry, Talent Acquisition Manager Senior chez Foodles.

Des simulations en situation de travail pour tester les compétences métiers

La réalité augmentée et la VR permettent de recréer des situations de travail très proches de la réalité. L’utilisateur ou l’utilisatrice a donc l’illusion d’y être pleinement immergé ! Les candidats pourront être testés sur leurs compétences techniques ou métiers. C’est une mine d’informations pour les recruteurs qui cherchent à déceler certains réflexes. « Dans les métiers de la restauration (règles d’hygiène, ordre du service…), de la médecine, de l’industrie ou lors de cas d’urgence (incendie, accident), la gamification est une manière de juger des compétences critiques d’un candidat. Dans la vie réelle, il est beaucoup plus compliqué de simuler de telles situations de travail. C’est un gain de temps immense et une vraie valeur ajoutée pour les processus de recrutement », souligne Pierre Jacob.

« Le métavers offre aussi aux entreprises la possibilité de tester les aptitudes comportementales et sociales dans des conditions très fidèles à la réalité business. »

Recrutement situationnel : détecter plus finement les soft skills

Le métavers offre aussi aux entreprises la possibilité de tester les aptitudes comportementales et sociales dans des conditions très fidèles à la réalité business. « Si vous recherchez des personnes dans les métiers de contact, telles que la communication ou la vente, vous pouvez par exemple simuler un salon et voir comment le candidat réagit face à une personne ou une problématique », explique Pierre Jacob. D’ailleurs, les étapes d’évaluation virtuelles, parce qu’elles sont souvent gamifiées, sont plus faciles à faire accepter. Dans la continuité du recrutement, cette approche s’applique aussi à l’onboarding : grâce à la création de situations réalistes, et parfois critiques, le métavers facilite la montée en compétences des nouvelles recrues. Une étude PWC a d’ailleurs montré que les individus formés via des simulations apprenaient quatre fois plus vite que ceux en présentiel.

Métavers RH : les 4 bénéfices à retenir

Disposer d’un large vivier de talents sans frontières

La globalisation des talents et les restrictions de déplacement récurrentes (Covid, sobriété énergétique…) exhortent les recruteurs à virtualiser les modes d’interaction avec leurs candidats. Si le métavers ne remplace pas l’indispensable contact humain, il démultiplie l’accès aux talents. « Leur ciblage est plus large car on s’affranchit des limites géographiques pour aller chercher d’autres viviers de candidats dans le métavers », explique Pierre Jacob. Dans cette optique, Carrefour a développé un campus virtuel et y a organisé un événement de recrutement pour cibler de jeunes data analysts ou data scientists : une manière d’attirer des talents rares et exigeants partout en France grâce à une expérience unique et innovante. Le job dating virtuel adresse la même problématique : « La majorité de nos postes ouverts sont des postes tech, par définition pénuriques. Ces job datings virtuels sont des moyens de nous faire connaître auprès d’une plus large cible tech, adepte du télétravail, et de les approcher », souligne Aurore Baudry.

Créer une vitrine moderne de l’expérience collaborateur

Recourir au métavers pour présenter la réalité de son entreprise renforce aussi l’attractivité employeur et ce dès la première rencontre. En effet, dans les univers virtuels, la frontière entre réel et virtuel tend parfois à s’estomper pour créer une réalité transposable. Il est possible de proposer à un candidat éloigné une visite immersive de l’entreprise via un environnement réel, reproduit numériquement. Aussi, l’expérience virtuelle envoie un message fort : la place centrale de l’innovation dans les préoccupations stratégiques de l’entreprise. « Le recrutement est une vitrine employeur : plus une entreprise se présente comme innovante, plus les talents s’attendent à vivre la même chose en interne (formation, outils à disposition…) », souligne Pierre Jacob. C’est ce qu’a voulu démontrer Carrefour lors de sa session de recrutement virtuel, alors que le secteur de la grande distribution souffre d’une image un peu vieillotte. En effet, l’expérience de recrutement dans le métavers crédibilise le discours d’Alexandre Bompard : « Nous sommes un acteur physique, mais nous vivons une transformation digitale de haute intensité (…) Le digital est un trait d’union entre toutes nos activités. Nous avons besoin de data scientists. Je ne vous vends pas du rêve mais des projets concrets ».

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Différencier sa marque employeur grâce à plus d’inclusion et de proximité

Au-delà de la recherche de profils rares, déployer une marque employeur au sein de mondes virtuels est l’opportunité de se différencier. « Les job datings dans le métavers ont l’avantage d’être plus conviviaux, ce qui est très positif pour la marque employeur de l’entreprise. Celle-ci semble plus accessible, moins formelle. Sans oublier que cela s’inscrit dans la responsabilité sociétale et environnementale des entreprises à plusieurs égards : plus inclusif, moins polluant… », souligne Marjorie Di Placido. En effet, l’utilisation d’avatars promeut un recrutement affranchi des biais classiques : genre, origine, âge. Aussi, l’expérience ludique invite à davantage de proximité. Il est possible de créer des journées portes ouvertes dans son digital office, d’organiser des sessions de recrutement inédites, de permettre aux candidats d’échanger avec les équipes. Les frontières s’amenuisent et des ponts virtuels se créent afin d’inventer de nouvelles relations entre employeurs et talents. Comme le rappelle Charlotte Goulard, responsable RH Tech & expérience candidats au sein de Mazars dans une interview accordée au site CadreEmploi : « En termes de marque employeur, les métavers seront utilisés pour se faire connaitre et notamment pour toucher les millenials. Un bon moyen de se différencier ».

Augmenter son ROI recrutement

Le job dating dans le métavers semble être un moyen efficace de rencontrer des candidats et candidates mieux ciblés à moindre coût : « Notre entreprise pratique le télétravail de manière hybride et ce type de rendez-vous nous offre la possibilité d’aller plus facilement à la rencontre de candidats qui ont des attentes particulières en la matière. Au total sur la journée, nous avons mené environ 15 entretiens : l’un d’eux a conduit à un recrutement tech. Sur un tel profil, une chasse nous aurait coûté environ 12000 euros ! », explique Aurore Baudry. Un vrai levier financier pour les budgets recrutement alors que le prix moyen d’un stand pour cet événement en particulier est de 119 euros. « C’est aussi un gain de temps et d’énergie : il n’y a pas de déplacement et le stand étant virtuel, il ne nécessite donc pas de frais supplémentaires en création de supports promotionnels », ajoute Aurore Baudry. Sans compter les prises de contact qui alimentent le vivier de talents : « Nous avons gardé contact avec d’autres candidats susceptibles de répondre à des besoins futurs. C’est donc une vraie réussite à tous les niveaux ».

« À force de chercher l’innovation à tout prix, il ne faudrait pas rendre le processus de recrutement plus complexe. Le métavers doit être un facilitateur pour l’accès à l’emploi. »

Comment réussir son immersion RH dans le métavers ?

L’aspect virtuel ne doit pas minimiser la charge liée à la préparation des événements. « Pour que le retour sur investissement soit au rendez-vous, il faut plusieurs conditions : avoir une marque employeur forte à la base, bien connaître ses offres d’emploi et garder le lien avec les candidats dès la fin de l’événement », souligne Aurore Baudry. L’autre point d’attention est l’accès à la plateforme : « À force de chercher l’innovation à tout prix, il ne faudrait pas rendre le processus de recrutement plus complexe. Le métavers doit être un facilitateur pour l’accès à l’emploi », explique Pierre Jacob. De même, le choix de la technologie est un sujet critique, d’où la nécessité de bien cadrer son besoin à moyen terme : « Qu’est-ce que l’entreprise veut réaliser dans le métavers ? Est-ce seulement pour le recrutement ou souhaite-t-elle avoir une présence plus large comme détenir des terrains, gagner en visibilité et faire du métavers un nouveau canal d’interaction client, par exemple ? ». C’est une question stratégique alors qu’en 2026, 25 % de la population passera au moins une heure par jour dans le métavers, selon une étude du cabinet Gartner.

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Article édité par Ariane Picoche, photo : Thomas Decamps pour WTTJ