« Méditer au bureau c’est dire “Je décide de prendre soin de moi maintenant” »

06 juin 2022

8min

« Méditer au bureau c’est dire “Je décide de prendre soin de moi maintenant” »
auteur.e
Anais Koopman

Journaliste indépendante

Stéphane Nau est coach professionnel certifié, mais pas que. Depuis qu’il est tombé dans la marmite de la méditation, il est aussi instructeur de pleine conscience sur l’application de méditation Petit Bambou et « en live », auprès de particuliers, d’entreprises, ou encore de « personnes invisibles », telles que les détenu·e·s en prison. En mars dernier, il a justement publié l’ouvrage « Je médite au travail, dix séances d’auto coaching pour vivre son quotidien en pleine conscience ». Son message est clair : on peut vivre de manière apaisée, consciente et active en même temps… y compris en entreprise ! Conscient du côté réfractaire de certaines personnes face à la pratique de la méditation de pleine conscience, en particulier au travail, l’auteur défend son utilité et son impact positif sur les actif·ve·s et les organisations. Entretien… en pleine conscience.

Qu’est-ce qui vous anime dans votre travail d’instructeur de pleine conscience et de coach professionnel ?

Je me lève le matin avec l’envie de contribuer à ce que le monde soit plus apaisé, bienveillant et solidaire. Concrètement, ma mission est de permettre aux personnes que je croise sur mon chemin de se révéler à elles-mêmes, de se relier aux autres et de s’engager plus fortement, pour un impact humain, social, ou encore écologique.

Comment en vient-on à s’intéresser ainsi à la méditation ?

Il y a près de vingt ans, j’ai eu un vrai déclic. À ce moment-là de ma vie, tout, ou presque, était compliqué : les trois entreprises que je dirigeais de front commençaient à s’essouffler, mon couple battait de l’aile et mes finances n’allaient pas bien non plus… J’avais l’impression que quelque chose ne tournait pas rond, sans vraiment savoir quoi. Un jour, j’ai rencontré une acupunctrice à Lille, qui m’a invitée à méditer avec elle. Le simple fait de m’autoriser à arrêter toute activité pendant 1h a été pour moi une révélation.

Que signifiait pour vous la méditation avant cette rencontre ?

À l’époque, je faisais partie des personnes pour lesquelles la méditation est synonyme de sectes, de champignons hallucinogènes toute la journée… (rires). Pourtant, je ne me suis pas arrêté à cette réticence et suite à cette première expérience, j’ai continué à expérimenter.

Et finalement, la méditation a pris de plus en plus de place dans votre vie…

Exactement. Face à des difficultés de plus en plus importantes, entre la liquidation de mes entreprises et une procédure de divoce, j’ai fini par faire une dépression. J’ai passé six mois à l’hôpital, shooté aux médicaments. La méditation m’a clairement sauvé la vie. En prenant du recul, j’ai réalisé que mon rôle sur cette terre n’était pas de produire des prestations de conseil en communication, mais bien de contribuer à ce que le monde aille mieux. Cette prise de conscience m’a envoyé au Cambodge, où je suis parti vivre et travailler entre 2010 et 2013 avec des ONG, tout en continuant à pratiquer la méditation. De retour en France, j’ai voulu transmettre cette pratique, avec l’espoir qu’elle améliore aussi la vie d’autres personnes.

« On a souvent tendance à prendre la pleine conscience comme quelque chose de « perché », inapte au monde professionnel » - Stéphane Nau, auteur, coach professionnel et instructeur de méditation en pleine conscience

Dans votre ouvrage, vous associez la méditation et le monde du travail. Pourquoi avoir fait ce rapprochement ?

Après avoir créé sept entreprises, j’avais bien conscience de la nécessité d’introduire et de démystifier la méditation au travail. On a souvent tendance à prendre la pleine conscience comme quelque chose de « perché », inapte au monde professionnel. J’ai souvent entendu des choses comme : « On est pas une entreprise new edge, on ne va quand même pas payer les gens à ne rien faire ! » Je sentais bien que j’avais un rôle à jouer pour que la méditation, qui m’avait tant accompagné, aussi bien sur le plan personnel que professionnel, soit revalorisée et accessible au plus grand nombre.

Quels sont les principaux bienfaits de la méditation au quotidien ?

En général, appuyer sur « pause » pour pratiquer la pleine conscience nous aide à réguler notre stress et à gérer nos émotions, ce qui est bien plus difficile lorsqu’on est uniquement dans le « faire ». Cela permet également de prendre de la distance par rapport aux difficultés. Bien sûr, cela ne supprime pas les obstacles, mais cela amène un autre regard sur ces derniers et nous empêche de les transformer en problèmes. La méditation apaise notre mental et ouvre la possibilité de communiquer avec les autres de manière plus féconde. Elle permet donc de fluidifier les relations et d’apaiser tensions et conflits.

Les bienfaits de la pleine conscience sur notre vie personnelle sont-ils différents de ses impacts sur notre vie professionnelle ?

Absolument pas : on est la même personne dans notre vie professionnelle et personnelle, on change simplement de contexte. De manière concrète, méditer au travail amène au moins trois choses. En général, dans notre vie professionnelle, on est automatiquement sur le « mode réactif », dans le sens où nos réactions sont souvent des automatismes, sans forcément de réflexion au préalable. Alors, méditer nous permet de retrouver rapidement le calme et de prendre du recul dans les situations de stress, au lieu de réagir sans ressentir et réfléchir. Ensuite, elle nous aide à y voir plus clair, pour prendre des décisions plus sereines et justes, avec le recul nécessaire. Enfin, elle nous permet de développer des relations fondées sur l’authenticité, plus que sur le statut hiérarchique de chacun·e.

Dans le livre, vous vous adressez aussi bien aux employé·e·s qu’aux manager·euse·s… est-ce que l’application des exercices est la même selon le niveau hiérarchique ?

Oui, la pratique de la méditation est universelle. Que l’on soit collaborateur·trice ou manager·euse, c’est pareil : elle touche notre être ! En revanche, il est clair que les manager·euse·s ont un rôle à jouer vis-à-vis de leurs équipes. Ils·elles ne sont plus que manager·euse·s de compétences, mais aussi porteur·euse·s de sens. En changeant leur propre posture, ils·elles peuvent passer progressivement du stade de manager·euse à celui de leader·euse conscient·e d’eux-mêmes et de leurs collaborateurs·trices.

Pouvez-vous nous expliquer en quoi la méditation, qui se pratique plus souvent de manière individuelle, peut impacter nos relations ?

Dans nos relations, il faut savoir sortir des postures d’autorité, des mécanismes d’égo qui font que nous voulons à tout prix avoir raison. Grâce à une meilleure conscience de soi et à une certaine prise de recul, on pourra par exemple laisser de côté les arguments qui s’opposent pour faire de la place à ceux qui servent l’intérêt commun. En d’autres mots, on passe d’une compétition à une collaboration. Dans le chapitre sur la communication, je fais justement référence à l’aïkido, cet art martial japonais qui consiste non pas à se battre contre l’autre, mais plutôt à l’emmener dans sa propre énergie. Il encourage une posture d’assertivité, et non de victime ou de dominant·e. C’est une dynamique d’intelligence collective, qui nécessite d’abord de se poser avec soi-même…

Est-ce que cela fonctionne aussi uniquement si toutes les parties pratiquent la méditation ?

Non, il suffit qu’une personne change de posture pour que la relation change dans sa globalité, grâce à la fluidité, la douceur et la clarté que cette personne pourra apporter.

Aujourd’hui, on parle beaucoup de lâcher prise… Mais cela reste un challenge pour beaucoup. Est-ce que la pleine conscience est une manière de relâcher le contrôle ?

Oui, c’est une façon d’accepter ce qui est, de relâcher la volonté de tout contrôler. Concrètement, lorsqu’on fait face à une situation difficile, la méditation nous encourage d’abord à nous Arrêter pour regarder ce qu’il se passe. Ensuite, on peut Accueillir cela comme un fait, avant de tenter de l’Accepter, en discernant les choses qu’on peut transformer de celles que l’on ne peut changer. Enfin, on peut passer à l’Action, en sachant que décider de ne pas agir est aussi une action en soi. C’est ce qu’on appelle le processus des quatre « A ».

« Méditer ce n’est pas se tenir comme un bouddha pendant 1h a faire « Om » les jambes croisées sur un coussin… ! » - Stéphane Nau, auteur, coach professionnel et instructeur de méditation en pleine conscience

Concrètement, comment les actif·ve·s qui veulent se lancer peuvent-ils commencer à méditer sur leur lieu de travail ?

Ils peuvent commencer par lire mon livre (rires). Plus sérieusement, il y a deux façons de commencer. On peut s’y mettre seul·e à l’aide d’une application ou de vidéos YouTube, mais souvent, après l’élan de la découverte, la pratique a tendance à tourner court, faute d’accompagnement. On peut aussi rejoindre un groupe de méditation et/ou se faire accompagner par un·e instructeur·trice qui anime des méditations, ce qui permet aussi des échanges avec les autres… et de réaliser qu’on est plusieurs a avoir les mêmes difficultés. Lors de mon programme MBSR - la Réduction du Stress Basée sur la Pleine Conscience, ndlr -, par exemple, on pratique au quotidien pendant huit semaines. En général, à la fin de la formation, l’habitude de la méditation est installée et on peut alors être plus autonome.

N’est-il pas contradictoire, voire irréaliste de méditer au bureau face aux impératifs de temps et contraintes liées à la vie de salarié ? Comment méditer sans s’attirer jugements ou ennuis ?

D’abord, il faut être à l’aise avec le simple fait qu’on va méditer et encore une fois, démystifier cette activité. Méditer ce n’est pas se tenir comme un bouddha pendant 1h a faire « Om » les jambes croisées sur un coussin… ! Dans le livre, je propose plus de 50 exercices pour adapter la pratique au contexte professionnel, comme respirer pendant 10 minutes, ou un tas de petites actions moins formelles, comme sonder sa météo intérieure, boire un café en pleine conscience, s’entraîner à écouter l’autre, revisiter son agenda, s’offrir de la bienveillance dans une situation difficile, etc. En fait, méditer, c’est juste revenir à soi ! Ce n’est peut-être pas facile à faire, surtout au début, mais cela reste très accessible. On peut le faire très discrètement, sans attendre l’aval des autres. Et puis, c’est aussi bien une pratique individuelle que collective, que les manager·euse·s ou RH aient décidé de l’appliquer ou non dans l’entreprise !

Et comment faire, lorsqu’on est pris·e par le temps ?

On a toujours quelque chose de plus urgent à faire que de prendre soin de soi, encore plus au travail ! C’est pour ça que méditer demande un certain engagement. C’est un acte assez radical, qui nous fait nous dire : « Je décide de prendre soin de moi maintenant. » et apprendre à son cerveau à faire autrement. En ça, la pleine conscience est une formidable école d’autonomie et de responsabilité.

« Selon moi, la performance est un effet de la méditation et non un objectif en soi. » - Stéphane Nau, auteur, coach professionnel et instructeur de méditation en pleine conscience

Certains détracteurs soupçonnent la méditation d’avoir un côté « bullshit », de faire partie d’une sorte de « dictature du bien être »… Comprenez-vous que l’on puisse penser cela ?

Tout à fait. Mais une fois qu’on a dit ça, on n’en a toujours pas fait l’expérience (rires), donc mieux vaut essayer avant, non ? Et puis, grâce aux études qui paraissent sur la méditation de pleine conscience, on peut prouver qu’elle modifie des connexions neuronales, des parties du cerveau qui gèrent la régulation des émotions et la prise de décision… Tous ces changements impactent le comportement et augmentent le mieux-être des personnes qui le pratiquent. En revanche, il faut faire attention au « greenwashing du bien-être » qui nous est souvent vendu en entreprise : la pratique individuelle ou collective de la pleine conscience - et l’accès au bien-être qui en découle généralement -, n’est pas une manière de redorer l’image d’une entreprise !

En effet, ne pensez-vous pas que le fait de proposer aux actif·ve·s de méditer revient à faire porter la responsabilité du bien-être - et donc de la souffrance - sur leurs épaules ?

Tout dépend de l’intention de base… Si le·la dirigeant·e ou RH souhaite passer par la méditation pour atteindre le bien-être des collaborateurs·trices et donc encourager la performance de l’entreprise, cela revient à mettre un sparadrap sur le problème de la souffrance au travail… ou encore un baby-foot dans le hall du bureau ! Il y a deux dimensions dans l’entreprise : celle de l’être et celle de la performance attendue. Il ne s’agit en aucun cas de substituer l’une à l’autre. La méditation ne remplace pas la prise en charge des difficultés. Elle l’accompagne. Selon moi, la performance est un effet de la méditation et non un objectif en soi.

Finalement, méditer, c’est peut-être davantage une intention qu’une pratique que l’on adopte dans un but particulier ?

Exactement. On ne cherche pas une perfection, ou à obtenir un résultat spécifique. Plus on lâche prise sur le résultat, plus on entre de fait dans une attitude de pleine conscience…

Article édité par Manuel Avenel
Photo par Thomas Decamps

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