L'Aïkido verbal, pour se défendre (en douceur!) des attaques au travail

10 nov. 2020

5min

L'Aïkido verbal, pour se défendre (en douceur!) des attaques au travail
auteur.e
Marlène Moreira

Journaliste indépendante.

Low kick, coup de pied circulaire, uppercut… les débats entre Trump et Biden se sont révélés particulièrement agressifs lors de la campagne présidentielle américaine. Mais si pour certains, l’attaque est la meilleure défense, ce n’est pas le cas des adeptes de l’Aïkido verbal. Ses pratiquants, au contraire, voient leur discipline comme un moyen pacifique et efficace de gérer les attaques verbales et la négativité. Entre les réunions à gérer à distance, les nouvelles politiques de télétravail à mettre en place et les débats entre collègues sur le port du masque… les sujets de désaccords ne manquent pas ! Découverte de cette pratique, dont les précieux conseils vous seront utiles pour gérer vos collègues les plus offensifs, au bureau ou à distance.

L’Aïkido verbal : passer du conflit à l’échange

Inspiré de l’art martial homonyme, l’Aïkido verbal a pour objectif de vous aider à sortir indemne d’une situation de tension. Ici, les deux pratiquants ne sont pas des « adversaires » mais des « partenaires ». Il n’y a donc, ni vainqueur, ni vaincu. Son unique objectif : « Diriger une agression verbale vers un résultat positif et équilibré. » Il ne s’agit donc pas forcément de trouver une solution à un conflit… mais au moins de passer d’une situation tendue à une situation apaisée, dans laquelle il est possible de converser à nouveau. C’est une approche pacifique pour gérer les attaques et la négativité d’autrui, dans la vie personnelle, autant qu’au travail.

Mais pour commencer, comment reconnaître une attaque verbale ? Ce n’est pas toujours facile, puisqu’elle laisse moins de traces qu’une clé de bras ou une gifle. Au contraire, elle peut prendre des formes diverses : critique, reproche, jugement, objections, plaintes. « C’est très subjectif, cela peut venir de quelque chose qui est dit… ou au contraire qui ne l’est pas. Mais cela conduit toujours à une tension, une perte de centre, pour la personne qui la subit », explique Luke Archer, formateur, écrivain et spécialiste de cette pratique.

Alors, fuir ou combattre ?

« On découvre généralement l’Aïkido verbal avec la volonté de se protéger soi-même, de mettre de la distance pour ne pas être blessé par ce qui peut être dit par l’autre », ajoute Luke Archer. Dans ses « dojos verbaux » (ndlr : les espaces dans lesquels on pratique cette discipline), les pratiquants s’entraînent et développent leurs réflexes face à des situations plus ou moins courantes : un boss qui vous reproche d’être en retard, un collègue qui critique votre travail, ou encore votre belle-mère qui râle sur la cuisson du rôti.

Chacun a ses limites, ses sujets « zones rouges », mais surtout sa façon de réagir face à une attaque. Êtes-vous plutôt du genre à contre-attaquer, à fuir, à vous justifier ou à détourner l’attention ? Une attaque verbale peut déclencher une tempête d’émotions chez celui qui la subit, l’empêchant de réagir de façon appropriée sur le moment. C’est le fameux phénomène du « Flûte, j’aurais dû lui dire ça, ça l’aurait séché ! » ou au contraire, le regret de s’être emporté trop précipitamment.

Alors, l’Aïkido verbal apprend à rester serein, pour mieux gérer la situation. « C’est une danse, avec trois postures », explique Luke Archer.

  • D’abord, on apprend à recevoir l’attaque avec un « sourire intérieur ». Ce sourire est une forme de « confiance intouchable », intrinsèquement liée à la connaissance et la confiance en soi. Il permet d’éviter le conflit avec celui qui essaie de le provoquer.
  • Puis, on accompagne l’attaque jusqu’au point de déstabilisation. Cette étape consiste à se mettre dans la peau de l’attaquant, essayer de percevoir son point de vue, afin de regarder objectivement dans le même sens que lui plutôt qu’en confrontation directe.
  • Et enfin seulement, on peut essayer de rééquilibrer l’échange : entamer un dialogue plus constructif, proposer une direction commune, faire entendre raison à l’autre, trouver un compromis acceptable ou simplement trouver des solutions au problème initial.

Cet enchaînement proposé par l’Aïkido verbal peut être particulièrement efficace pour faire face à une situation immédiate, mais aussi pour anticiper des situations à venir. Elle permet de se préparer à certains événements courants dans le monde professionnel : un entretien d’embauche dans lequel vous savez que l’on pourrait vous reprocher un trou de plusieurs mois sur votre CV, une réunion qui s’annonce tendue avec un collègue réputé pour être particulièrement obtus, ou encore votre entretien annuel avec un manager peu tolérant.

C’est parti pour l’entraînement : quelques mouvements classiques de l’Aïkido verbal

L’Aïkido verbal propose quelques mouvements spécifiques pour faire face à une attaque. Bien que chaque situation soit différente et qu’il n’existe pas de « coup miracle », voici quelques exemples courants en entreprise :

  • Votre collègue râle contre une nouvelle mesure prise par votre boss ou par la direction ? Laissez couler les énergies négatives. « Souvent, lorsque les gens ronchonnent, on a envie qu’ils s’arrêtent. Alors, on résiste. Pourtant, on devrait les inviter à continuer, se mettre en position d’écoute neutre, leur proposer d’être compris. », partage Luke Archer. Alors, plutôt que de rétorquer à votre collègue que « ce n’est pas siiii grave ! », invitez-le à vider son sac. Ensuite seulement, vous pourrez lui proposer d’identifier le cœur du problème, puis d’y trouver une réponse.

  • Votre manager critique votre travail ? Discutez pour trouver une nouvelle approche. « Ces slides sont vraiment incompréhensibles », vous dit-il sans aucune pincette. Plutôt que de lui rétorquer que les siennes semblent tout droit sorties de Word 98, prenez une pause (le fameux sourire intérieur), avant de confirmer son point de vue avec humilité en disant que vous avez « effectivement déjà réalisé de meilleures présentations » (l’idée est de le déstabiliser plutôt que de débattre ou de vous justifier)… puis de lui proposer de la retravailler, voire lui demander « comment il serait possible de les améliorer » d’après lui. Ainsi, chacun sort respecté et la tête haute de cet échange.

  • Un collègue vous reproche quelque chose qui n’est pas vraiment justifié ? Cherchez une solution sans céder. Ici, la personne attaquée peut reconnaître que l’opinion de l’autre est entièrement ou partiellement valable, mais en gardant son propre point de vue sur le sujet. « Je comprends que mon e-mail t’ait déplu. Cependant ne pas intervenir aurait pu conduire à une incompréhension sur ce projet. Comment pourrais-je intervenir sans te mettre mal à l’aise la prochaine fois ? ».

  • Votre boss va trop loin et vous incendie ? Confrontez-le. Bien que pacifique, l’Aïkido verbal ne suggère pas d’accepter une agression et de tendre l’autre joue, mais bien de neutraliser l’adversaire. Parfois, quand la situation va trop loin, la personne attaquée doit faire savoir que la parole de l’autre est une offense inacceptable : « Il se peut que j’aie commis une erreur, mais vous n’avez pas à me traiter ainsi. J’attends donc que vous me parliez avec plus de calme et que vous vous excusiez ».

Ce nouveau confinement, avec le retour sur Zoom pour de nombreux collaborateurs, n’arrête pas pour autant les adeptes des petites punchlines acides, des jugements plus ou moins subtiles et des critiques ouvertes. Luke Archer note d’ailleurs que trois sentiments se font plus présents dans cette situation particulière : la colère, la peur et la tristesse. Autant d’éléments qui peuvent contribuer au conflit… mais également autant d’opportunités supplémentaires de se montrer plus empathique et de parler des ressentis pour avancer ensemble. Et c’est bien l’objectif de l’Aïkido verbal. Alors si jusqu’ici vous étiez à deux doigts de vous étrangler devant votre écran face aux réflexions déplacées de vos collègues, vous avez maintenant de nouvelles armes pour vous en sortir avec autant de sagesse et de calme que Maître Yoda. Surtout, souvenez-vous des paroles d’Isaac Asimov, professeur de biochimie et écrivain de science-fiction : « La violence est le dernier recours de l’incompétent ».

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