Management interculturel : les perles des fails (et leurs leçons)

11 févr. 2021

5min

Management interculturel : les perles des fails (et leurs leçons)
auteur.e
Anais Koopman

Journaliste indépendante

Parce que nous sommes de plus en plus nombreux à manager des collaborateurs de pays et cultures différentes, ou à travailler avec, les opportunités se multiplient… de commettre des impairs insoupçonnés ! Pour Welcome to the Jungle, des managers ont accepté de partager leurs mésaventures. Qu'ont-ils ressenti ? Et surtout, qu'ont-ils appris ? Sur les autres façons de vivre, de travailler, sur leur propre manière de manager... ? Tour d’horizon.

« Auparavant, ma première réaction aurait été de leur demander de séparer leurs pratiques religieuses de notre espace de travail »

Marc, 33 ans, Consultant en Birmanie

En 2017, j’ai été nommé directeur d’une chambre de commerce européenne en Birmanie, avec une équipe composée aux 2/3 de Birmans. Autant vous dire que la différence culturelle était omniprésente ! D’abord, quand je suis arrivé, j’ai voulu fixer un point d’équipe hebdomadaire le lundi, pour parler finance. Mais automatiquement, et sans me prévenir, ma secrétaire déplaçait ce rendez-vous : j’ai fini par comprendre qu’en Birmanie, on ne parle pas argent le lundi. Résultat : points finance le mardi ! J’ai aussi appris que ça ne servait à rien de demander à mon équipe si tout était compris à la fin d’une réunion : là-bas, on n’avoue pas qu’on ne sait pas devant ses collègues. Il faut partir du principe qu’un « oui » collectif peut valoir plusieurs « non » individuels. Alors, j’ai pris l’habitude d’aller voir les membres de mon équipe seuls à seuls pour être sûr que les choses soient claires pour tout le monde. Aujourd’hui je peux dire que c’est une pratique que j’aimerais appliquer dans d’autres contextes.
Une autre fois, j’ai proposé une promotion à une jeune femme de mon équipe. C’était sans savoir que je la mettait extrêmement mal à l’aise ! En Birmanie, quelles que soient ses compétences, pas question d’accepter une telle offre si on est plus jeune que d’autres collègues non promus. Finalement, on a réussi à trouver une manière de faire passer la pilule, en combinant deux postes, justifiant une plus grosse masse de travail et un salaire plus élevé.
J’ai un dernier exemple, plus profond : pour les Birmans, la religion est centrale. Tellement centrale qu’à mon arrivée, impossible de louper l’espace bouddhiste parfumé d’encens, décoré de bouddhas, et animé de speakers réglés au volume maximal, déversant des prières toute la journée. Auparavant, ma première réaction aurait été de leur demander de séparer leurs pratiques religieuses de notre espace de travail. Ça m’était arrivé au Tadjikistan, et ça n’était pas bien passé du tout ! Alors cette fois-ci, j’ai respecté ce pan de leur culture, tout en apportant une solution qui convienne à tout le monde : j’ai mis une salle fermée à leur disposition. A partir de là, nous avons pu travailler ensemble, sans impacter négativement nos relations et notre activité.

« Je devais, certes, être directe, mais de manière implicite, presque passive. En tournant autour du pot »

Léa, 28 ans, Productrice Senior à Londres, Grande-Bretagne

« You’re too blunt » (« tu es trop brusque »). C’est le premier retour que j’ai eu de ma boss trois mois après mon arrivée dans ma boîte londonienne en 2017. Il faut dire qu’à l’époque, j’avais une mentalité très française : oui, j’étais directe. Or, après ce feedback, j’ai compris que cela n’était pas considéré comme positif, mais plutôt comme impoli, voire agressif. J’avoue qu’au début, je n’ai pas trop compris. Mon travail en tant que leadeuse de projet et d’équipe, c’était justement d’aller droit au but, non ? Heureusement, ma N+1 m’a expliqué ce qu’elle attendait de moi en tant que manageuse au Royaume-Uni : je devais certes mener fermement la barque, mais de manière implicite, presque passive. En tournant autour du pot. Par exemple, pour organiser mon premier projet, dont certaines étapes avaient lieu le week-end, j’avais communiqué les dates aux membres de mon équipe sans leur demander s’ils étaient disponibles, ce qu’ils ont mal pris. Ils auraient aimé que je leur dise la même chose, mais différemment. Au lieu de leur dire « Voici les dates à laquelle tu devras être disponible », j’aurais dû leur demander : « Penses-tu que ces dates soient jouables pour toi ? ». Car même si je leur pose la question, eux, l’entendent comme une affirmation. Ils savent qu’ils doivent être là, mais préfèrent que je leur laisse une marge de manœuvre dans ma manière de communiquer. En fait, cela revient à les inviter à donner les réponses que j’ai déjà.
Au final, mon caractère a d’abord un peu choqué, mais a fini par être accepté par mon équipe. Peut-être qu’ils se sont adaptés en voyant que j’essayais moi aussi d’aller dans leur sens en m’adoucissant… même si je reste quand même la plus cash de ma boite (rires) ! C’est devenu ma plus grande force en tant que productrice. Ça a peut-être même un peu influencé la culture de l’entreprise : j’ai l’impression qu’on est tous.tes plus direct.e.s qu’à mon arrivée. Qu’on a créé un entre-deux qui n’est pas trop violent, ni pour les un.e.s, ni pour les autres.

« J’ai réalisé que quand on arrive pour travailler dans un pays étranger, on a vraiment tort d’ignorer l’histoire et la situation sociale du pays »

Nicolas, 40 ans, Responsable logistiqueau Mozambique

Voilà le contexte : je suis arrivé en 2019 en tant qu’expatrié au Mozambique, où il existe plusieurs ethnies avec un lourd passif de guerres. Encore aujourd’hui, les mozambais se divisent en clans. Ce contexte, je ne le connaissais pas à mon arrivée. Je suis tombé des nues le jour où un des chefs d’équipe local est venu me prévenir que certains membres de mon équipe essayaient de s’empoisonner pour des raisons de conflit ethnique et de poste qu’ils étaient plusieurs à convoiter. Choqué, j’ai réalisé que quand on arrive pour travailler dans un pays étranger, on a vraiment tort d’ignorer l’histoire et la situation sociale du pays. Car même si au quotidien on dirait que tout va bien, les équipes peuvent cacher énormément de choses au management et les conséquences peuvent devenir sérieuses ! La prochaine fois, je creuserai davantage pour comprendre plus vite ce qu’il se passe vraiment dans le pays en question et au sein de mes équipes, notamment en sondant plus fréquemment les chefs d’équipe locaux.
Au Mozambique, j’ai aussi compris qu’il fallait quand même éviter d’être trop proche de mes subordonné.e.s ! Un jour, un agent de sécurité est allé jusqu’à m’offrir sa fille en mariage ! Je pense qu’il s’est senti poussé des ailes car j’avais pris l’habitude de discuter avec lui, ce qui est rare là-bas, où la hiérarchie cloisonne beaucoup les différents rôles… Cette demande m’a mise très mal à l’aise… Lui, moins : il m’a ensuite demandé si je voulais investir dans son exploitation - illégale ! - de diamants. Au lieu de me braquer une seconde fois, j’ai décidé de l’aider, à condition qu’il revienne vers moi avec un projet plus réaliste et légal de préférence (rires). Chose qu’il a faite. Je crois qu’aujourd’hui, son affaire roule toujours !

« Entre montagnes de nourriture et alcool, voilà comment s’est déroulée la première réunion que j’ai organisée pour elle… en plein ramadan »

Lina, 26 ans, Chargée de clientèle internationale

Lorsque j’ai managé quelqu’un pour la première fois, j’avais 20 ans. J’étais coordinatrice vente et marketing dans un hôtel en Espagne, et notamment chargée de former la nouvelle stagiaire, arrivée tout droit de Dubaï. Sauf que moi, je débutais, et j’étais très mal informée sur la culture de ce pays ! Ca m’a menée à un vrai enchaînement de gaffes. Dès le premier jour, ça n’a pas loupé : j’ai organisé une grosse réunion d’équipe au restaurant de l’hôtel et elle a passé tout le déjeuner hyper mal à l’aise, car elle ne pouvait pas manger. Entre montagnes de nourriture et alcool, voilà comment s’est déroulée la première réunion que j’ai organisée pour elle… en plein ramadan ! Dès ce jour-là, un froid s’est installé entre nous. Elle ne m’avait rien dit, et moi, je n’avais toujours pas fait le lien avec sa religion. Quand j’ai fini par lui demander ce qui n’allait pas, j’ai compris ma bourde. Suite à cela, je ne savais plus comment faire pour créer de la proximité entre nous. Alors, pour briser la glace, je faisais plein de petites références sur cet épisode… sauf que j’étais la seule à en rire ! En voyant que l’ambiance était toujours aussi glaciale, je suis revenue vers elle une deuxième fois pour mettre les choses à plat. Elle m’a expliqué que mes remarques et questions la gênaient beaucoup et qu’elle avait l’impression que j’insultais sa culture. Je me suis évidemment excusée et grâce à cette discussion, c’est allé mieux. Il a fallu que j’insiste pour qu’on en discute : chez elle, on évite la confrontation et au travail, on n’est pas censé.e.s contredire son manager direct. Ce que je retiens ? Que communiquer permet de rassembler ! Si je lui avais parlé plus tôt, elle aurait pu m’en dire davantage sur sa culture, se sentir en confiance, et ça aurait tout de suite impacté en bien notre relation et notre travail…

Photo by Thomas Decamps pour WTTJ

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