8 clés pour favoriser la cohésion au sein d'une équipe multiculturelle

Publié dans Le book club du taf

07 avr. 2020

9min

8 clés pour favoriser la cohésion au sein d'une équipe multiculturelle
auteur.e
Laetitia VitaudExpert du Lab

Autrice, consultante et conférencière sur le futur du travail, spécialiste de la productivité, de l’âge et du travail des femmes

LE BOOK CLUB DU TAF - Dans cette jungle (encore une !) qu’est la littérature traitant de la thématique du travail, difficile d’identifier les ouvrages de référence. Autrice et conférencière sur le futur du travail, notre experte du Lab Laetitia Vitaud a une passion : lire les meilleurs bouquins sur le sujet, et vous en livrer la substantifique moelle. Découvrez chaque mois, son dernier livre de chevet pour vous inspirer.

Aujourd’hui, pourquoi ne pas apprendre à naviguer entre les cultures ? La carte des différences culturelles (Diateino, 2016) d’Erin Meyer offre un guide pratique éclairant avec 8 critères, au coeur d’une grille d’analyse ayant fait ses preuves sur le terrain. Bref, un indispensable.

L’importance de s’ouvrir aux autres cultures

Notre économie est largement mondialisée et de nombreuses grandes entreprises opèrent à l’échelle internationale. On serait donc tenté.e de croire que les cultures locales jouent un rôle de moins en moins important. Et puis, tout le monde parle l’anglais globish et a les mêmes aspirations, non ?
En réalité, la capacité à comprendre et travailler avec des personnes de cultures différentes est probablement une compétence de plus en plus importante pour faire des affaires (et dans la vie en général). Malgré la mondialisation, les cultures locales restent toujours singulières.

« Lorsque vous nagez dans la culture qui est la vôtre, comme un poisson nage dans l’océan, il est souvent difficile, voire impossible, de voir cette culture. Les personnes qui ont passé toute leur vie dans une seule culture ont tendance à ne voir que les différences régionales ou individuelles. Ils en viennent souvent à la conclusion que leur pays n’a pas de culture nationale caractéristique. »

Erin Meyer est professeure à l’INSEAD. Ses principaux sujets d’études concernent les relations et la communication interculturelles. Elle aide les managers à se préparer à diriger une équipe multiculturelle ou à s’expatrier dans un pays de culture différente. Son livre La carte des différences culturelles et ses « 8 échelles pour cartographier les cultures du monde » offrent une excellente introduction au sujet. « Si vous appréhendez chaque interaction humaine avec l’idée que la culture ne compte pas, vous allez toujours, par défaut, regarder les autres à travers le prisme de votre propre culture et vous méprendre sur leurs intentions. »

Les 8 clés de compréhension d’Erin Meyer

1. Communication : contexte faible ou contexte élevé ?

Il faut distinguer :

  • Le contexte faible : le contexte de l’échange joue un rôle faible, la communication doit être efficace, claire et explicite. « La responsabilité de la bonne transmission du message repose sur celui qui l’exprime, non sur la personne qui le reçoit. Si vous ne comprenez pas ce que je dis, c’est de ma faute. » C’est le cas notamment aux États-Unis (le pays ayant dû intégrer de nombreuses vagues d’immigrants de cultures différentes en relativement peu de temps) comme au Canada, en Australie, aux Pays-Bas et en Allemagne.
  • Le contexte élevé : le contexte joue un rôle important, les messages sont plus implicites et les individus doivent lire entre les lignes, grâce au langage corporel par exemple. Les Japonais ont une expression spécifique pour désigner cette capacité à comprendre ce qui n’est pas dit explicitement : « savoir lire l’air ». « Une bonne communication est subtile, présente de multiples niveaux de lecture, et dépend largement du contexte de l’émission du message. La responsabilité de la bonne compréhension repose autant sur la personne qui reçoit le message que sur celle qui l’émet. »

Le conseil à retenir : dans les équipes multiculturelles, le mode de communication par défaut devrait toujours être le plus explicite possible : dites les choses simplement et écrivez les consignes noir sur blanc pour éviter toute confusion.

2. Évaluation : feedback négatif direct ou indirect ?

Il faut distinguer :

  • Le feedback direct : dans la plupart des cultures européennes, on peut critiquer de manière directe. En Russie, aux Pays-Bas, en France, en Allemagne ou encore au Danemark, le feedback est franc et direct, parfois brutal. On a alors tendance à augmenter ses commentaires d’adverbes comme « absolument », « totalement », « complètement ». « Selon leur culture, les managers ont appris à donner leur feedback de manière très différente. (…) Les Français.es critiquent passionnément mais ne font de commentaires élogieux qu’avec parcimonie. »
  • Le feedback indirect : dans la plupart des cultures asiatiques, le feedback négatif est indirect, notamment au Japon, en Thaïlande ou en Corée. Les Américains, les Canadiens et les Mexicains sont entre les deux. Ils émettent des critiques de manière plus diplomatique, en les enrobant de commentaires positifs. On diminue davantage, dans ce cas, ses commentaires de locutions comme « un peu » ou « en quelque sorte », ou encore de litotes (qui consiste à dire moins que ce qu’on pense) : « On n’y est pas encore tout à fait » peut alors signifier « On est très loin du compte, qu’avez-vous fichu ? »

Le conseil à retenir : lorsque vous travaillez avec des personnes d’une culture plus directe que la vôtre, n’essayez pas de les imiter, car « même dans ces cultures, on peut blesser les gens en étant trop direct ». Quand vous travaillez avec des individus d’une culture moins directe que la vôtre, apprenez à être plus positif dans vos retours et vos évaluations. Par défaut, dans un groupe multiculturel, il est plus prudent d’être plus diplomate et de ne pas faire de critique à un individu devant le groupe.

3. Persuasion : théorie ou faits d’abord?

« Bien que peu de gens en soient conscients, la manière dont on cherche à convaincre ses interlocuteurs et le type d’arguments que l’on choisira pour le faire, sont profondément ancrés dans la culture, dans ses fondements religieux et philosophiques. Loin d’être universel, l’art de la persuasion dépend largement de la culture », explique Erin Meyer.

Il faut distinguer :

  • Le raisonnement déductif : va de la théorie aux faits et des concepts généraux aux illustrations : ces cultures s’intéressent davantage au pourquoi. L’art de la persuasion à la française, comme à l’allemande, a été façonné par la méthode dialectique : thèse, antithèse, synthèse. Une structure d’argumentation dans laquelle la première idée est suivie d’une seconde qui nie la première, puis d’une troisième qui offre une synthèse (une réconciliation) des deux premières.
  • Le raisonnement inductif : commence par les faits et les histoires concrètes pour en tirer des conclusions plus générales : ces cultures se focalisent plus sur le quoi et le comment. Les Américains notamment préfèrent commencer par des exemples, des histoires et des cas particuliers. Ils n’utilisent la théorie que pour parler des conséquences concrètes sur les individus.

Le conseil à retenir : si vous venez d’une culture « principe d’abord », tâchez d’écrire des emails plus courts et plus « pratiques » lorsque vous communiquez avec des individus de culture « applications d’abord ». Inversement, quand vous communiquez avec des personnes de culture « principes d’abord », donnez plus de contexte, rappelez la théorie, l’histoire, les principes généraux, essayez d’expliquer pourquoi vous pensez que quelque chose doit être fait.

4. Leadership : hiérarchique ou égalitaire ?

Il faut distinguer :

  • Le leadership hiérarchique : au Japon, en Inde, en Chine ou au Nigéria, « la distance idéale entre un patron et un employé est élevée ». Le statut compte beaucoup et la communication doit suivre. Les pays les plus influencés par l’Empire ont développé un autre rapport à la hiérarchie et à l’organisation, contrairement aux Vikings, par exemple, qui étaient déjà étonnamment égalitaires.
  • Le leadership égalitaire : comme au Danemark, en Suède ou aux Pays-Bas, « la distance idéale entre un patron et ses subordonnés est minimale ». Les patrons sont davantage des facilitateurs parmi leurs pairs. La structure hiérarchique est plate : on peut communiquer librement avec son n+3 sans mettre son n+1 et n+2 en copie ! « La croyance selon laquelle les individus sont égaux et la réussite individuelle ne doit pas être étalée fait partie de la culture scandinave depuis des siècles », écrit Erin Meyer.

Pourquoi les pays ont-ils des cultures si différentes en matière de rapport à la hiérarchie ?
Meyer évoque deux pistes :

  • Le rôle des traces culturelles laissées par l’Empire romain : « Les Romains ont construit des structures sociales et politiques basées sur une hiérarchie solide. Ce sont des systèmes lourdement centralisés qui ont permis de manager un empire si vaste. Les frontières entre les classes étaient strictes et bien respectées. Les membres des différentes classes devaient même s’habiller différemment. »
  • La place de la religion : « Confucius s’est avant tout intéressé au maintien de l’ordre sociétal et de l’harmonie sociale. Il pensait que l’humanité ne pouvait être en harmonie avec l’univers que si chacun était bien à sa place, comprenait son rang dans la société et avait un comportement conforme à son rang. »

Le conseil à retenir : si vous travaillez avec un·e partenaire de culture plus « hiérarchique » que la vôtre, tâchez de toujours échanger avec les personnes du même niveau hiérarchique que vous, de mettre le n+1 en copie dans les emails que vous envoyez à quelqu’un d’un niveau inférieur et d’utiliser les noms de famille dans les communications. À l’inverse, si vous travaillez avec des partenaires de culture plus « égalitaire », allez directement à la source, ne mettez pas le/la supérieur·e en copie et utilisez plutôt les prénoms. Dans une équipe multiculturelle, il est essentiel de définir des protocoles de communication précis au début de la collaboration, d’expliquer, par exemple, quand un supérieur doit être mis en copie d’un message.

5. Décision : consensuelle ou prise au sommet?

Il faut distinguer :

  • La décision consensuelle : il faut des accords de groupe unanimes pour chaque décision. Les prises de décisions consensuelles prennent beaucoup plus de temps, mais sont aussi plus difficiles à changer. Quand on parvient à une décision tous ensemble, on est prêt à la mettre en œuvre, car on a pensé à tout. Étonnamment, les cultures « hiérarchiques » ne sont pas forcément incompatibles avec des prises de décisions consensuelles. Ainsi, au Japon, où la hiérarchie est stricte et respectée, les décisions se prennent de manière consensuelle : « à la fois le système hiérarchique et la prise de décision consensuelle sont profondément ancrés dans la culture japonaise. » Le système du ringi repose sur une manière unique de prendre des décisions dans les grandes organisations : les managers en bas de l’échelle discutent ensemble et parviennent à un consensus, puis présentent leur idée au niveau hiérarchique du dessus. Et ainsi de suite.
  • La décision prise au sommet : un individu (le/la patron.ne) prend la décision seul.e. Les décisions unilatérales sont plus rapides, mais elles sont aussi moins solides. Elles peuvent être changées facilement. Et comme personne n’est au courant, on n’est pas prêt à la mettre en œuvre immédiatement. La mise en œuvre est donc beaucoup plus longue.

Le conseil à retenir : « Les décisions unilatérales ET les décisions consensuelles peuvent être efficaces. » Mais s’adapter à un changement culturel en matière de prise de décision n’a rien d’évident pour les personnes concernées. Quand on a l’habitude des décisions « prises en haut », il faut s’armer de patience vis-à-vis de ses homologues qui prennent leurs décisions de manière plus consensuelle. Et pour les personnes qui prennent leurs décisions de manière consensuelle, il faut comprendre que les décisions unilatérales des partenaires ne sont pas aussi définitives qu’il y paraît. Elles peuvent encore être modifiées.

6. Confiance : la tête ou le cœur ?

Il faut distinguer :

  • La confiance cognitive : elle repose sur la fiabilité professionnelle, la qualité du travail qui est fait, soit les tâches à réaliser. C’est le cas notamment aux États-Unis, au Danemark, en Allemagne et aux Pays-Bas. La France se situe davatange entre les deux.
  • La confiance affective : elle est engendrée par des sentiments de proximité affective, voire d’amitié, soit les relations tissées. Comme par exemple au Mexique, en Russie, au Japon, au Brésil, en Arabie Saoudite ou encore en Chine. « En Chine, les relations professionnelles sont toujours des relations personnelles. La loyauté est accordée à l’individu plutôt qu’à l’organisation. Lorsqu’une personne quitte son entreprise, les relations qui ont été développées avec les clients ou les fournisseurs ont tendance à survivre au départ de cette personne », explique Meyer.

Le conseil à retenir : les individus qui, culturellement, construisent leur confiance uniquement sur la base d’un travail bien fait doivent apprendre à construire des relations plus solides avec des interlocuteurs qui n’appréhendent pas la notion de confiance de la même manière. Bavarder, boire un café ou passer deux heures à déjeuner, ce n’est pas une perte de temps si cela permet de construire la confiance ! Pour ceux qui construisent culturellement leur confiance sur des relations plus personnelles, il peut être très difficile de comprendre que la confiance peut émerger dans le strict cadre d’une bonne collaboration professionnelle. Pourtant, c’est possible !

7. Désaccord : confrontation ou pas ?

Il faut distinguer :

  • La confrontation ouverte : les désaccords et les débats sont vus comme positifs pour l’équipe. En France, en Allemagne, en Israël, en Russie ou encore aux Pays-Bas, il est d’usage de marquer ouvertement son désaccord avec ses collègues.
  • La confrontation dissimulée : les désaccords et les débats ouverts sont perçus comme dangereux pour l’harmonie du groupe. C’est le cas au Japon, en Indonésie ou en Thaïlande.

Le conseil à retenir : quand on travaille avec des personnes d’une culture plus « confrontationnelle » que la sienne, il est important de ne surtout pas essayer de les imiter. Dans toutes les cultures, on peut être perçu comme hostile et désagréable ! Or, quand on ne connaît pas bien la culture, on peut être à côté de la plaque sur ce qui est acceptable et ce qui ne l’est pas. Il faut aussi apprendre que les désaccords ne mettent pas en péril les relations. Vous êtes peut-être moins en danger que vous ne pensez !

8. Horaires : temps linéaire ou temps flexible?

Il faut distinguer :

  • Le temps linéaire : les projets sont appréhendés de manière séquentielle : il faut avoir complété une tâche avant de passer à la suivante. En Suisse, en Allemagne ou au Japon, on n’aime pas par exemple les interruptions et on s’en tient strictement au calendrier. « Encore aujourd’hui, la perception du temps qui domine en Allemagne est liée aux conséquences de la révolution industrielle précoce qui y a eu lieu. Le travail à l’usine requiert que la main d’œuvre soit disponible à l’heure précise où la chaîne d’assemblage doit se mettre en route. »
  • Le temps flexible : au Kenya, en Inde, en Arabie Saoudite ou au Nigéria, le temps est perçu de manière plus flexible. On appréhende les projets de façon plus fluide. Plusieurs choses peuvent être faites simultanément et les interruptions sont tolérées. L’essentiel, c’est l’adaptabilité. Le temps n’est pas fixé par les horloges qui minutent le travail à l’usine : il faut s’adapter à l’environnement naturel, au climat. Vous devez être flexible pour réagir vite aux changements environnementaux.

Le conseil à retenir : pour ce qui est des rendez-vous avec vos partenaires ou vos clients, s’adapter à un rapport au temps différent du sien n’est pas bien difficile. Être en retard à un rendez-vous professionnel en Suisse, en Allemagne ou en Suède peut mettre votre relation en péril car cela sera perçu comme un manque de respect. Si à l’inverse, vos partenaires indiens sont en retard, vous devez comprendre qu’il ne faut pas forcément y voir un manque de respect.

Article édité par Mélissa Darré, photo par Thomas Decamps.

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