Ces managers désemparés par "l'enfer" du travail hybride

18 oct. 2022

5min

Ces managers désemparés par "l'enfer" du travail hybride
auteur.e
Gabrielle de Loynes

Rédacteur & Photographe

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SOS MANAGERS EN DÉTRESSE - Quand vous avez été promu manager, vous étiez (avouez-le) loin d’imaginer ce que diriger une équipe impliquait vraiment. Car trouver le juste équilibre entre leadership, bienveillance et équité, en autres choses, relève dans certaines situations du parcours du combattant. Dans cette série, notre expert du Lab Ludovic Girodon vous offre enfin les clés pour sortir la tête de l’eau face à vos problématiques du quotidien. Managers, suivez le guide !

Onze heures, quelque part dans le quartier de la Défense. À l’intérieur de la grande salle de réunion, on croirait à une parodie de la politique de la chaise vide. « Géraldine ? » « Présente. » « Maxime ? » Une voix mécanique résonne depuis l’écran noir : « Je suis avec vous en visio ! » « Roxane ? » « Oui, je vous vois ! », réplique l’image sur la vidéo. C’est le nouveau défi du manager 3.0. Composer avec une équipe moitié-présentiel, moitié-visio. Le manager doit dorénavant se montrer hybride, agile et connecté. Mais tous n’ont pas le profil de Bioman. Pour certains, comme Pierre, Axelle et Sofiane, le management hybride se révèle un véritable casse-tête…

« En cherchant à régler un conflit à distance, je n’ai fait que l’accentuer… »

Axelle dirige une petite équipe dans une agence de communication. D’ordinaire, le management hybride ne lui fait pas peur. « Que l’on soit en présentiel ou en télétravail, j’accorde à chaque collaborateur une réelle autonomie dans la gestion de ses tâches au quotidien, explique-t-elle. À distance, je n’ai pas vraiment de difficultés à suivre l’avancée des projets et à entretenir un lien d’équipe. » Entre Axelle et son équipe, tout roule donc. Le problème vient davantage des rapports entre les membres de l’équipe. « J’ai perçu qu’il y avait un conflit naissant entre deux collaboratrices, se souvient-elle. L’une était à distance et l’autre en présentiel. Naïvement, j’ai voulu régler la situation par téléphone avec celle qui se trouvait en home office. Mais je me suis vite rendue compte que la résolution d’une crise était bien plus complexe, voire impossible, dans ces conditions. Les tensions ressenties par cette collaboratrice se sont exacerbées et elle a même fini par me raccrocher au nez… Bref, en cherchant à régler la situation avec elle à distance, je n’ai fait que l’accentuer. Le fait d’être en présentiel avec l’une et à distance de l’autre, a probablement eu un impact négatif dans la gestion de cette crise. Dorénavant, je privilégierai toujours le présentiel pour résoudre un conflit. »

  • L’œil de l’expert : « Le manager en mode hybride reste un manager, observe Ludovic Girodon. Les besoins fondamentaux de ses collaborateurs sont les mêmes. La distance ne fait pas émerger de nouveau besoin, mais elle exacerbe tout. La moindre tension ou frustration, un petit couac ou un léger sentiment d’exclusion, prend tout de suite des proportions énormes. » Pour compenser cette difficulté, l’expert recommande au manager de redoubler d’attention et de vigilance : « En mode hybride, il faut adopter un management augmenté ». Pas question de manquer un one-to-one, de le commencer en retard ou de bâcler une discussion informelle avec un collaborateur. « Il faut avoir une autodiscipline de fer », insiste-t-il. Plus encore, lorsqu’il s’agit de régler un conflit entre membres de l’équipe : « Le manager doit mettre chacun sur un pied d’égalité et traiter l’équipe de la même manière. Il ne faut pas créer d’asymétrie. Le fait de résoudre un conflit avec une personne à distance crée d’emblée un déséquilibre. Ici, Axelle aurait dû organiser une réunion où les trois participants sont en physique ou, au contraire, tous les trois en visio. »

« J’ai instauré un rituel informel, mais tous ne jouaient pas le jeu… »

Pierre est directeur commercial dans une PME du secteur de l’informatique. « Avant le premier confinement, mon équipe travaillait en présentiel, raconte-t-il. Tout était plus simple. » La pratique du télétravail s’étant largement pérennisée, il est contraint d’adopter une méthode de management hybride. « Je n’ai jamais mon équipe au complet. Pour organiser des rencontres informelles, il faut composer avec les emplois du temps de chacun. » Pierre veut néanmoins maintenir une cohésion d’équipe. Rapidement, il instaure un rituel. « C’était un rendez-vous informel de trente minutes le vendredi après-midi, détaille-t-il. L’objectif était simplement de se réunir où que nous soyons pour se voir et partager de l’énergie en équipe. Il n’y avait pas forcément de raison d’être à ce point d’équipe, si ce n’est se retrouver. Au début c’était sympathique, mais rapidement certains ont manqué à l’appel. Tous ne jouaient pas le jeu. Les participations devenaient un peu aléatoires. Finalement, ce rendez-vous s’est montré plutôt contre-productif, du moins inefficace, et nous l’avons petit à petit abandonné. »

  • L’œil de l’expert : « Ce qui m’interpelle ici, c’est que le manager reconnaît lui-même que le rituel n’a pas de raison d’être, remarque Ludovic Girodon. Or, le problème est là, un rituel imposé doit avoir une raison d’être claire. Sinon ça ne marche pas. » Le rituel informel, qui vise à reproduire virtuellement celui de la machine à café, a fait son apparition lors du confinement. « Avec le recul, on voit bien que ça ne fonctionne que si le rituel est souple et que la présence de chacun n’est pas obligatoire », analyse l’expert. Mais ce petit rituel ne suffit pas au bon manager hybride, il doit impérativement poser un cadre à son équipe. « Le travail en remote n’est possible que s’il s’intègre dans un cadre équitable à tous les membres de l’équipe », assure-t-il. Par exemple, le cadre peut accorder à tous X jours de télétravail. À l’intérieur de ce cadre, les règles du jeu sont souples : chacun est libre de recourir ou non à ce droit au télétravail. « En revanche, reprend l’expert, ce temps de home office doit être ponctué de retrouvailles physiques récurrentes et obligatoires en équipe. » Le rôle du manager hybride est précisément d’organiser ces rencontres informelles au travail. Il doit prévoir des activités qui servent le groupe et favorisent l’intelligence collective : des moments de convivialité, des brainstormings, des ateliers… « Il ne s’agit pas seulement de se retrouver au bureau en équipe, mais de se poser la question de ce qu’on vient y faire ensemble. S’il faut se réunir pour se retrouver seul derrière son écran, cela n’a aucun sens. »

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« À distance, certains collaborateurs ont tendance à se sentir oubliés… »

Sofiane est le DG d’une startup dans la logistique. « Toutes les semaines, les lundis matin, on demande à l’ensemble de l’équipe de participer à une réunion de lancement, expose-t-il. Ceux qui le peuvent sont en présentiel et les autres en visio. » La réunion est donc hybride. « Le mécanisme fonctionne bien mais, au bout de quelques temps, certains collaborateurs en visio nous ont fait part d’une certaine frustration. Ils nous ont dit qu’ils se sentaient un peu oubliés dans ces réunions. Même s’ils y participaient, du simple fait qu’ils soient en visio, nous avions tendance à moins nous adresser à eux, à moins penser à les faire réagir. » Une remarque que Sofiane prend alors très au sérieux : « Nous avons continué ce format de réunion hybride, mais à partir de là, nous nous sommes montrés très vigilants envers les participants en visio. Nous avons eu une attention particulièrement soutenue vis-à-vis d’eux, pour qu’ils se sentent plus considérés et écoutés. Depuis, nous n’avons plus eu de problème. »

  • L’œil de l’expert : « Je ne suis pas partisan de la réunion hybride, avoue Ludovic Girodon. J’aurais plutôt tendance à la bannir. Elle favorise les interférences, exacerbe le sentiment d’exclusion et augmente le risque de préférence géographique qui consiste, pour un manager, à accorder plus d’intérêt aux membres présents. » Selon l’expert, faute de technologies capables de reproduire l’expérience de la réunion physique, mieux vaut privilégier le tout visio. « Ainsi, le manager place ses collaborateurs sur un pied d’égalité, constate-t-il. C’est fondamental, car la distance crée une déperdition d’informations et renforce les inégalités. » En réunion, comme sur tous les canaux de communication employés, il recommande donc de transmettre un message clair et identique à chacun pour que tous reçoivent une même qualité d’information.

Onze heures. La réunion débute. Qu’il l’anime depuis les locaux de la Défense en présentiel, ou en visio derrière son écran, peu importe. Ce nouveau statut hybride n’y change rien, le manager doit plus que jamais rester 100 % humain. Selon Ludovic Girodon, il lui faut simplement évoluer vers un « management augmenté ». Plus attentif et attentionné, plus organisé et équitable…

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Article édité par Mélissa Darré, photo : Thomas Decamps pour WTTJ

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