Jeunes et allergiques au CDI : ils nous racontent leur parcours

09 mars 2022

9min

Jeunes et allergiques au CDI : ils nous racontent leur parcours
auteur.e.s
Thomas Decamps

Photographe chez Welcome to the Jungle

Manuel Avenel

Journaliste chez Welcome to the Jungle

S’il reste le contrat star pour 88% des salariés français, un symbole de réussite professionnelle et de stabilité, le CDI, ne rencontre pas le succès escompté chez les jeunes actifs. Peu à peu, le statut d’indépendant grappille des voix chez ceux qui débarquent sur le marché de l’emploi, si bien que 45% des 18-24 ans disent aujourd’hui le préférer au salariat. Et si les raisons de ce désamour sont plurielles, beaucoup évoquent un besoin de consacrer plus de temps à sa vie personnelle qu’à sa carrière et de trouver davantage de sens à leurs activités. Alors que la nouvelle génération de travailleurs a déjà traversé des périodes de troubles avec les confinements successifs et la mise à l’arrêt de la plupart des stages, nous avons rencontré des jeunes qui ne rêvent pas de s’engager sur le long terme au travail.

« Je ne vis pas pour travailler, mais je travaille pour vivre »

Mickaël, 29 ans, vendeur à Bergerac

Un BTS en alternance et une licence pro de management en poche, Mickaël cherche sa place dans le monde du travail. Et comme d’autres, il décroche un job saisonnier, dans le secteur de la grande distribution. Alors quand on lui propose de jouer les prolongations en CDD à la fin de ce contrat, il se lance et enchaîne sur un deuxième contrat court. Pourtant quand ses supérieurs lui tendent le Graal six mois plus tard, il fait machine arrière et décline le CDI. Ne sachant pas réellement quoi faire dans la vie, Mickaël alterne alors entre CDD et périodes de chômage. Le jeune homme a un seul crédo : « Travailler pour vivre, pas vivre pour le travail. » Pas carriériste pour un sou, il ose la comparaison entre le CDI et la prison à ciel ouvert. Et malgré l’incertitude liée à son manque d’expérience, il s’accroche à ce mode de vie en poursuivant ce rythme pendant plusieurs années.

Pourquoi ce refus permanent ? Mickaël ne se reconnaît pas dans le travail qu’il réalise : « La grande distribution ne m’intéressait pas et je ne me voyais pas vivre comme ça toute ma vie à charbonner six jours sur sept et toucher le SMIC. » Au tournant de ses 25 ans, il décide finalement de se reconvertir dans la vente. Plus en phase avec le métier de vendeur, il continue pourtant de refuser les propositions de CDI. Sa crainte porte notamment sur la durée du préavis qui ne lui permet pas une grande mobilité : « Changer d’emploi avec un préavis d’un mois n’est pas toujours évident car dans le commerce, les boîtes appellent souvent pour demander de bosser la semaine suivante. Je préfère avoir un délai indiqué dès le départ. » Aujourd’hui, Mickaël a fini par accepter de signer un CDI, mais pas à n’importe quel prix : « Je ne suis pas à temps plein et j’ai deux jours de repos par semaine. Ça me correspond parce que j’ai plus de temps pour moi. Autre point important : je sais aussi que le magasin doit fermer dans un an. Ça m’a motivé pour accepter le poste. »

« Le CDI a des avantages mais ne fait plus rêver comme avant »

Adil, 24 ans, salarié et entrepreneur à Paris

Coiffé d’une double casquette d’entrepreneur et de salarié, Adil trouve au CDI autant d’atouts que de défauts. Fondateur de StartupOKLM, un média de solutions pour les jeunes entrepreneurs, il cumule depuis un an cette activité avec un CDI dans une banque, en tant que chef de projet IT. « Dans le travail, je considère que le facteur temps et argent doit être le plus pertinent possible. Travailler me donne la sécurité de l’emploi et me permet de rester focus sur mon média sans besoin de rentabilité. » Et s’il apprécie son travail actuel, c’est aussi parce qu’il a réussi à fixer ses conditions : « Comme j’habite juste à côté, je profite des pauses matinales, du déjeuner pour bosser sur mon projet. » Est-ce qu’il considère le CDI comme un accomplissement ? Pas vraiment. « Je pense que le marché du travail a énormément évolué ces dernières années, observe-t-il. Il y a beaucoup d’opportunités et même une guerre des talents dans certains secteurs. Si une porte se ferme, une autre s’ouvre. »

Lucide, le jeune homme pense tout de même que cette facilité n’est pas à la portée de tous et sait bien que son cursus d’ingénieur en informatique et de développeur lui octroie un certain confort. Après son stage de fin d’étude, il n’a pas eu le temps de se poser la question de l’accès à l’emploi, puisqu’un CDI lui a été proposé dans son entreprise d’accueil. « Quand on obtient un CDI, il n’y a plus ce moment où on se dit « Enfin, je l’ai, c’est fini ! » À mon avis, si j’ai envie de chercher ailleurs, je ne vais pas avoir de mal à trouver quelque chose et c’est rassurant. D’un autre côté, ça rend le CDI moins rare et impressionnant je trouve. » Une vision qui coïncide aussi avec ses conditions de vie puisqu’il vit seul et que sa famille n’a pas des difficultés financières particulières. Et que pense-t-il de devoir répondre aux attentes d’une hiérarchie, de dépendre d’un manager et ne pas toujours pouvoir choisir ses missions ? Cela ne lui pose pas de problème tant qu’il continue à apprendre. Le seul bémol au travail en CDI, c’est que ce cadre plus strict freine souvent la créativité et les initiatives personnelles. Et s’il souhaite à terme vivre de son projet c’est aussi pour avoir plus de liberté de mouvement. « Lorsque j’ai voulu changer les designs de mon talk-show, je l’ai fait sans souci. Dans une entreprise, l’exécution d’un projet est beaucoup plus lente et demande de faire plusieurs points avec un responsable. » Un fonctionnement avec ses avantages et ses contraintes donc.

« L’ennui est quelque chose de très anxiogène »

Ingrid, 28 ans, en recherche d’emploi à La Rochelle

Quand on lui demande ce qu’elle fait dans la vie, Ingrid répond qu’elle est en recherche d’emploi permanent. Pourtant, son premier job dans la vente était un CDI. Après trois ans dans sa boutique où elle manque de stimulation, elle décide de claquer la porte. Depuis 2017, la jeune femme jette son dévolu sur à peu près tout ce qui lui passe sous la main, en fonction des opportunités, des postes vacants, mais s’abstient à refuser les CDI. Ménage, vente, secrétariat, aide aux personnes, elle teste tout jusqu’à travailler pour des secteurs dont elle ignore les rouages comme l’informatique ou les RH. Le but : ne pas s’enfermer dans un poste type. « Je suis quelqu’un de très stable dans ma vie personnelle, mais l’ennui dans le travail est quelque chose de très anxiogène pour moi. Je préfère faire dix entretiens pour dix postes différents tant que je m’éclate dans ce que je fais et que j’y trouve un sens », explique la jeune femme.

Ces missions, qui vont d’une semaine d’intérim au CDD de six mois, Ingrid les vit comme un challenge : « Je sais qu’il y a une date de fin et j’essaie d’être la plus productive possible, de me donner à 100% jusqu’au bout. » Et si ce n’est pas la liberté totale, puisqu’elle dépend des contrats qu’elle signe, la Rochelaise ne se sent pas redevable des autres. « J’ai appris à dire non, explique-t-elle. Je travaille seulement quand j’en ai besoin, tout en m’ouvrant à plusieurs activités. » Mais bien qu’elle se plaise dans ce tourbillon de métiers, le fait qu’elle quitte la stabilité du CDI n’a pas été perçu positivement par son entourage. On lui dit qu’elle ne pourra jamais mener de projet dans la vie, qu’elle est en vacances toute l’année ou qu’elle ne travaille pas vraiment. Après, tout le monde ne rêve pas d’acheter forcément une maison, explique Ingrid à ses détracteurs. La jeune femme se tient désormais à distance de la critique même si elle admet avoir douté : « Aujourd’hui, je me rends compte que rien ne m’a plus rendu service que d’avoir quitté mon CDI. »

« J’ai trouvé des missions où je suis plus estimé pour ce que je fais »

Karol Chômage, 26 ans, artiste musicien à Paris

Avant de se consacrer à la musique, l’artiste Karol Chômage a suivi cinq ans d’études en informatique. Il débute une alternance à 19 ans en tant que développeur, puis exerce en freelance à la fin de son cursus. Très vite, ce basculement vers l’auto-entrepreneuriat l’aide à trouver un meilleur équilibre sur tous les plans de sa vie. En télétravail, il prend désormais le temps de cuisiner, ranger son appartement, faire du sport, faire de la méditation…Un équilibre devenu indispensable à son bien-être physique, psychique et qui a même des bénéfices sur son travail.

D’un naturel empathique et à l’aise socialement, l’aspect humain a toujours été un des moteurs de la vie professionnelle du jeune homme. Pour autant, travailler en freelance ne lui fait pas regretter les moments de sociabilité qu’il partageait avec ses collègues. « En tant qu’indépendant tu te retrouves à interagir avec beaucoup de personnes différentes. Je dirais que ça a amélioré ma manière d’être avec tout le monde. » Aujourd’hui, il se met à son bureau vers 11h et poursuit l’après-midi après une longue pause-déjeuner : « Quand tu es à fond dans un truc, au final tu ne te rends pas vraiment compte de ton degré de production. » Bien établi dans sa carrière pro, il a désormais le temps de se consacrer pleinement à la musique. « De la musique pour les curieux » sourit-il, aux influences house, néo-soul et jazz, qu’il interprète avec son personnage mi-glandeur mi-télétravailleur « Karol Chômage ».

Pour lui, la création est une façon de jalonner son évolution professionnelle et les étapes parcourues. Après deux ans en tant que freelance, il sort naturellement l’EP « Télétravail », comme la conclusion des heures passées seul derrière un ordi chez lui. « Ce que les gens ont découvert avec le confinement, je le vivais déjà en freelance mais je n’avais pas beaucoup de personnes avec qui le partager. Avec le confinement je me suis dit « c’est notre moment ». J’avais toute l’expérience pour devenir influenceur télétravail. » En attendant l’album « Chômage Lifestyle », qui sortira en mai, il aime à rappeler que si le chômage draine une image négative, il faut déjà avoir travaillé dur pour pouvoir y prétendre. « Le chômage en France est une vraie chance, tu passes beaucoup de temps chez toi à réfléchir, à te réapproprier ton temps et à te réaligner. » Un CDI, il en est certain, lui prendrait beaucoup de temps et ne lui permettrait pas de gagner plus d’argent ni d’être plus épanoui.

« Je ne collais pas trop au mode de vie attendu en entreprise »

Pauline, 26 ans, journaliste freelance à Paris

Après des études en Fac d’info-com puis un master en journalisme, Pauline est embauchée dans une entreprise de presse quotidienne dans la région de Grenoble. Sans grande conviction, elle découvre le salariat par le biais d’un contrat en CDD. Un choix économique qu’elle fait avant de comprendre que son avenir se jouerait en dehors des bureaux calfeutrés des rédactions. Embauchée comme secrétaire de rédaction pour trois mois, la jeune femme n’est pas satisfaite de l’ambiance de travail : « Au bout de plusieurs mois, mes collègues ne retenaient même pas mon prénom. » Dernier maillon au bout de la chaîne de production, c’est elle qui essuie les reproches de la chefferie lorsqu’une coquille se glisse dans le tirage du journal. « Je savais que chaque matin j’allais avoir droit à mon quart d’heure d’explication sur ce qui n’allait pas. C’était stressant de rendre des comptes quotidiennement. » Elle doit aussi composer avec des horaires décalés puisqu’elle commence à 10h et termine parfois après 22h, tout en traitant de sujets d’actualité locale qui sont loin de la passionner. « J’ai eu un peu de mal à respecter les horaires, j’arrivais tout le temps en retard, je me suis rendu compte que je ne collais pas trop au mode de vie attendu en entreprise. » Sans surprise, lorsqu’on lui propose de signer un nouveau contrat, Pauline décline la proposition, préférant se tourner vers la pige. À partir de là, le rythme de vie de la jeune femme change totalement.

Martinique, Strasbourg ou encore Montréal, cela fait trois ans qu’elle travaille d’à- peu-près n’importe où et voit du pays. « Dès que je pars en vacances j’emmène mon ordi. C’est à moitié des vacances à moitié du travail, mais je suis toujours mobile », explique-t-elle. Depuis qu’elle a un statut d’indépendante, la jeune femme n’a plus de souci de retard et ne s’impose plus de cadre après avoir tenté de se fixer des horaires. « Si je suis devant mon ordi et que ça ne fonctionne pas, je m’y remets un peu plus tard. » Elle concède toutefois qu’elle a abandonné ses cinq jours de travail en mettant aussi la main à la patte le week-end, indispensable pour percevoir un revenu suffisant pour vivre. Mais le bénéfice est à son avantage puisqu’elle n’écrit désormais que sur des sujets qui l’intéressent et rencontre des personnes inspirantes dans le cadre de son travail. « Je ne le vois pas du tout comme un sacrifice de temps. Au contraire, je ne passe plus mes journées à attendre que les heures passent », assure la journaliste. Pauline entend continuer son activité tant que celle-ci est viable et continue de lui plaire. « C’est un mode de vie qui me convient car je ne suis pas dépensière, je vis en colocation et je n’ai pas d’enfants. » À l’avenir elle compte même se diversifier et suivre une formation de prothésiste ongulaire, pour sortir un peu des écrans avec une activité manuelle.

Tromper l’ennui, le manque de reconnaissance, mais aussi réinvestir son temps ou ses missions sont autant de raisons qui conduisent ces jeunes à ne plus rêver d’un CDI et à trouver des alternatives. Et vous, de quoi rêvez-vous ?

Article édité par Romane Ganneval
Photo par Thomas Decamps

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