Entretien d'embauche : 6 phrases « langue de bois » à éviter à tout prix

28 févr. 2023

6min

Entretien d'embauche : 6 phrases « langue de bois » à éviter à tout prix
auteur.e
Laetitia VitaudExpert du Lab

Autrice, consultante et conférencière sur le futur du travail, spécialiste de la productivité, de l’âge et du travail des femmes

Souvent critiquée à l’égard des politiques, accusés de vouloir « noyer le poisson » et manipuler l’opinion publique, la langue de bois est également courante en entreprise, à commencer lors du processus de recrutement. Entre jargon inutile, valeurs bullshit et discours creux, notre experte Laetitia Vitaud vous dévoile 6 expressions qui rebutent vos candidats.

« On pourrait définir la langue de bois comme un ensemble de procédés qui, par les artifices déployés, visent à dissimuler la pensée de celui qui y recourt pour mieux influencer et contrôler celle des autres », explique l’historien Christian Delporte dans son ouvrage Une histoire de la langue de bois (Flammarion, 2011). Si les codes de la communication RH invitent aujourd’hui à plus d’authenticité, une langue moins jargonnante, plus sobre et personnalisée, c’est surtout que la parole de l’entreprise est de plus en plus concurrencée par les témoignages des salariés sur Glassdoor ou Instagram.

Ces propos qui « balancent » les décalages entre discours et réalité. Avant, on pouvait maîtriser l’information consommée par les candidats grâce à des vitrines léchées. Aujourd’hui, il faut faire attention à ne pas trop en promettre. Or, le processus d’entretien est encore trop souvent ponctué de petites phrases convenues, voire mensongères, qui font plus de mal que de bien. Voici un florilège (non exhaustif) des expressions qu’il vaut mieux éviter.

1. « Notre but est de construire ensemble, de remettre l’humain au cœur de l’entreprise »

Vous avez sûrement entendu (ou prononcé) une phrase incluant au moins l’un de ces éléments de langage. Ce qui est pratique avec la langue de bois, c’est qu’elle ne froisse personne : elle a l’art de dire des choses avec lesquelles on ne peut qu’être d’accord. Qui pourrait effectivement s’opposer à la co-construction, à l’intelligence collective, au travail en équipe ? Et qui oserait refuser que l’on mette « l’humain au centre », autrement dit considérer que l’entreprise est avant tout l’affaire des hommes et des femmes qui la composent ?
Ces formulations sonnent comme de jolis concepts marketing que plus personne n’interroge. Or, se différencier aux yeux des candidats passe justement par le fait de revendiquer un réel positionnement ou stratégie, non pas au travers de phrases toutes faites, mais davantage par le biais d’actions concrètes (politiques RH, pratiques de management, organisation du travail…). Dans le cas contraire, chacun comprendra ce qu’il voudra. Ça ne mange pas de pain, certes. Mais si vous ne marquez pas dans le mille, c’est surtout irritant…

2. « Pour être tout à fait transparent… »

Parmi les valeurs de l’entreprise les plus plébiscitées, la transparence est en bonne place (certainement dans le trio de tête à côté de la bienveillance). En entretien, cette expression est glissée avec pour but d’instaurer un climat de confiance et de franc-parler : « Maintenant, je vais vous dire la vérité. » Mais, le plus souvent, cela dessert l’objectif : on se demande en l’entendant si tout ce qui a été prononcé avant cela n’était que mensonge et bullshit. Cela installe le doute sur l’opacité du théâtre du travail. L’expression semble trop pompeuse pour être honnête : en « toute » transparence, pour être « tout à fait » transparent…

Et puis, elle pose la question du degré de transparence : on peut donc choisir de positionner le curseur à différents endroits du continuum de la transparence ? En se plaçant à son extrémité « tout à fait », on crée une attente forte. On tombe dans la grande révélation, le secret démasqué, la confession inattendue… Hélas, ce qui suit est généralement banal, ni plus ni moins transparent que le reste, voire mensonger. C’est l’exemple parfait de l’antiphrase, une figure de style qui consiste à employer une locution dans un sens contraire à sa signification. Mieux vaut donc rester dans un niveau de transparence constant : quand on est « tout à fait transparent », nul besoin de le dire !

3. « Quelles sont vos qualités et vos défauts ? »

Elle est certainement la question la plus classique de l’entretien d’embauche, si connue que l’on m’a appris à m’y préparer il y a plus de 20 ans en école de commerce. Cette formulation qui est censée permettre au candidat de réaliser sa propre autocritique, en soulevant ses points forts et axes de progrès, invite bien davantage à la langue de bois. Elle oblige à « jouer au candidat », en empruntant les qualités et défauts plébiscités par les recruteurs. On peut si bien s’y préparer qu’il suffit de réciter un discours appris par cœur, mêlant professionnalisme, vulnérabilité de façade et fausse modestie : « J’ai les qualités de mes défauts, j’ai tendance à être trop perfectionniste. »

Personne n’est dupe. Pas plus qu’à la fameuse question « Comment vous envisagez-vous dans 5 ans au sein de notre société ? » « Je ne sais même pas si je serai encore salarié dans un an ! », aurait-on envie de répondre. Et pourtant, chacun joue sa partition à base de réponses convenues. Mais à qui cela profite-il ? Au candidat, qui a prouvé qu’il était en mesure de rentrer dans le moule attendu ? À vous, recruteur, qui n’obtenez que dans de rares cas une réponse sincère, susceptible de vous aiguiller sur la personnalité de votre potentielle future recrue ? Rien n’est moins sûr, dans ce grand concours de langue de bois, au-delà de ne pas faire rêver, difficile d’y voir un gagnant !

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4. « Rémunération attractive selon profil »

Quand on est candidat, la rémunération est une information importante, pour ne pas dire essentielle. Elle demeure encore et toujours le critère déterminant pour la majorité des travailleurs de l’Hexagone, d’autant plus dans le contexte inflationniste actuel où les fins de mois sont plus difficiles à boucler. En tant que candidat, on sait précisément ce qu’on gagnait avant (pas assez), mais aussi le montant exact de ses charges fixes (loyer ou crédit, alimentation, énergie…) qui n’est ni « attractif », ni « en fonction du profil ». Deux expressions qui visent tout bonnement à noyer le poisson.

Si la rémunération est « attractive », et donc a priori au-dessus du marché, pourquoi ne pas en faire un critère distinctif en le mettant en lumière ? On comprend davantage, entre les lignes, que le fixe est petit et le variable plus important. Si elle est « en fonction du profil », le mot d’ordre est donné : le candidat va devoir composer et négocier avec les avantages et faiblesses de son parcours. En France, l’école à laquelle on a accédé par concours à l’âge de 20 ans détermine votre « profil » (et rémunération) pendant des décennies ! On comprend que l’entreprise va utiliser les moyens à sa disposition pour payer moins (dans la même lignée que la fameuse phrase « Nous n’avons pas de fourchette de salaire pour ce poste »).

5. « Si vous aimez les challenges, sachez que chez nous, il y a une culture du résultat »

Cette expression reflète une croyance aveugle dans la méritocratie : « Qui travaille dur sera récompensé. » Autrement dit, à toi cher candidat les primes et augmentations si tu vas à l’avenir au-delà de ta fiche de poste, de tes missions, de tes heures de travail… Si seulement tout le monde en était convaincu ! Hélas, ces locutions ne sont pas neutres. Est-ce que les gens qui les prononcent y croient vraiment ou bien les utilisent-elles pour mieux exploiter leurs collaborateurs sous couvert de saine émulation ?

Le mouvement Balance ta startup sur Instagram est passé par là. De plus en plus, en entendant cela, les candidats comprennent « culture de la bâtonnite », ou encore « le chiffre avant la qualité ». La culture agile comme la culture du résultat renvoient à une vision du travail plus contestée : des heures de travail qu’on ne compte pas, un environnement compétitif et hostile où les collègues sont des concurrents, une précarité agile qui fait que votre avenir professionnel est incertain. Cette rhétorique est omniprésente là où s’incarnent les figures de la réussite professionnelle, mais les candidats y voient de plus en plus une langue de bois qui ne cadre pas, le plus souvent, avec leurs aspirations.

6. « Malgré la pertinence de votre profil, vous n’avez pas été sélectionné. Mais nous gardons votre CV pour de futures opportunités ! »

Qui dit processus de recrutement, dit possible rejet. C’est le jeu. Mais, c’est un fait, les phrases de refus sont toujours délicates : il n’est pas facile de prononcer des paroles qui vont décevoir quelqu’un ! Or, c’est aussi dans ces phrases-là que le décalage est le plus grand entre une politesse de façade et la réalité du traitement. Entendre « nous vous rappellerons » quand on a l’expérience de ne pas être rappelé, c’est pénible. Même chose pour « À l’heure actuelle, nous n’avons pas assez de visibilité ». Qu’on se le dise, le candidat sent le pipeau : « Dites clairement que vous n’avez pas envie de me dire ce que vous comptez faire ou que vous n’appréciez pas ma bouille ! »

Les vagues promesses qui ne sont pas tenues rappellent au candidat le manque de respect dont il voudrait ne plus faire l’expérience. Préférez les expressions moins pompeuses (comme par exemple « Nous n’avons pas encore pris de décision », si c’est vraiment le cas) et les critères, informations, conseils et recommandations précis qui l’aideront à avancer en cas de refus.

Article édité par Mélissa Darré photo par Thomas Decamps.

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