L'été où j'ai travaillé en club de vacances

02 août 2018

4min

L'été où j'ai travaillé en club de vacances
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Chaque semaine cet été, retrouvez une histoire estivale de bureau. Pour cette cinquième et dernière chronique, notre journaliste nous raconte comment, après une expérience mouvementée à travailler en club de vacances, il a décidé de changer de vie. Comme quoi, une balle en plein visage peut changer la trajectoire d’un parcours professionnel !

« Paf » fait la balle sur mon visage.

Et « bim » que les rires des enfants explosent en tout sens. Ça a tapé pile sur mon coup de soleil de la veille, j’ai mal mais je souris, les zygomatiques bien gonflés, comme chaque jour depuis un mois et demi. Je me retiens de ne pas fondre en larmes.

Cette mi-août 2010, je m’en souviendrai très longtemps. Depuis le 1er juillet, j’avais endossé une casquette (orange vive) d’animateur d’été dans un camping très hype de la côte ouest française. Que des “gens biens”, un cadre idyllique à l’ombre des pins, des activités sportives sans cesse renouvelées : quand on m’a proposé, via un ami, de faire la saison alors que je n’avais aucune expérience là-dedans, je n’ai pas hésité une seule seconde. « C’est ouf, je vais être payé pour être quasi en vacances, mais quel pied ! » Ça me changeait de mes heures de cours de finance, et de mes stages dans des cabinets sans lumière naturelle…

Depuis le 1er juillet, j’avais endossé une casquette (orange vive) d’animateur d’été

Je me souviens, la réaction des gens autour de moi a été assez unanime : « Trop bien ! » « Job d’été de rêve ! » « Je connais ce lieu il est juste incroyable, tu vas te faire trop plaisir ! » Seul son de cloche moins emballé, celui de mon père, le sourcil broussailleux en l’air, qui m’a demandé pourquoi j’allais faire le clown pendant deux mois dans un camping. « Et puis tu vas voir, c’est pas de tout repos… » Bizarrement, que mon père trouve que c’était un mauvais plan, ça m’a encore plus convaincu du kiff que ça allait être…

Et puis voilà. Retour sur le terrain de volley, le visage en feu. Après un mois et demi, je sens certes la crème solaire et le sable, mais je sens surtout la sueur. La fatigue. À la limite de la rancœur. J’ai longtemps résisté pour ne pas déchanter, mais à ce moment-là j’ai l’esprit bien clair : c’est l’enfer. Alors, qu’on se le dise une bonne fois pour toute : non, animer un camping ou un club de vacances l’été, 1) ce n’est pas fait pour tout le monde 2) ce n’est pas la planque parfaite.

Après un mois et demi, je sens certes la crème solaire et le sable, mais je sens surtout la sueur. La fatigue.

C’est bien simple, cet été-là, j’ai l’impression de n’avoir jamais autant taffé de toute ma vie. Ça ne s’arrêtait jamais. Je me levais animateur, je mangeais animateur, je bossais animateur, je picolais animateur, je dormais puis rêvais animateur. Mon “moi” et mon métier ne faisaient plus qu’un. Impossible de claquer la porte d’un bureau à minuit pour fuir mes dossiers et ne les retrouver qu’à huit heures le lendemain. Quant aux jours de congés, je les ai passés à dormir. De toute façon, j’avais très peu de potes dans la région, et ceux qui passaient avaient envie d’aller en boîte jusque 6h du mat’, quand j’aspirais plutôt à m’allonger près du roulement des vagues…

Mon “moi” et mon métier ne faisaient plus qu’un.

Car le plus fatiguant, quand on se glisse dans ce genre de costume estival, ce n’est même pas les activités à longueur de journée. Même pas les longues soirées suivies des réveils aux aurores, sourire-en-prime. C’est juste qu’en plus de faire marcher ton corps à 100 à l’heure, il faut aussi actionner tes méninges sans relâche. Il faut réfléchir à comment tu te tiens, comment tu parles, sur quoi tu vas enchaîner juste après, si tu as bien vérifié qu’un gamin ou deux n’ont pas disparu au bord de la piscine, si cette cliente a eu la réponse à sa question urgente, si celui-ci a pu trouver un goûter sans gluten pour Archibald ou Cassiopée…

Mon cerveau n’était dédié qu’à une chose : faire kiffer les gens. Faire que tout aille bien. Qu’ils soient heureux, reposés, repus, merci beaucoup. Et dans cette urgence-là - je ne sais pas si c’est le système qui veut ça ou moi qui me suis mis là-dedans tout seul comme un grand - je me suis auto-responsabilisé sur des sujets qui n’auraient même pas dû être les miens. Apaiser avec diplomatie des conflits ados-parents ; faire le tour du camping avec la sécurité après un vol ; courir dans la ville la plus proche pour aller chercher LA caisse de champagne rêvée pour un anniversaire.

J’ai pris 10 ou 15 ans de maturité cet été-là.

Sur le terrain, je n’ai pas fondu en larmes. J’ai même rejoint le chœur des rires. Ma collègue - trois ans d’ancienneté, une sur-femme - a quand même pris le relais, et je suis allé me poser avec un sac de glaçons dans ma chambre. J’ai bien cru que j’allais poser ma dem’. Ranger les tongs, et retourner fissa à Paris. Mais non seulement, par ego, j’en aurais été bien incapable, mais plus les heures à réfléchir sur mon lit avançaient, moins j’avais envie de partir. J’avais envie de retourner sur ce terrain, de récupérer à nouveau des sourires et des remerciements. À l’idée de potentiellement perdre mon taff, je mettais le doigt sur un truc incroyable, auquel je n’avais jamais vraiment réfléchi : le bonheur de la reconnaissance immédiate dans la vie pro’. Le fait d’agir, du mieux que je pouvais, et d’en voir les fruits à la minute près. Des rires, des mercis, des complaintes ou des critiques assassines. Action, réaction.

Je mettais le doigt sur un truc incroyable : le bonheur de la reconnaissance immédiate dans la vie pro’.

Quand je suis sorti de ma chambre, je ne dirais pas que les deux dernières semaines ont été un paradis sur Terre, mais j’ai pris au moins le pli de consigner chaque petit moment de reconnaissance. Après ça, j’ai repris le chemin de ma vie en école de commerce. Un an plus tard, je plaquais la finance avant même de l’avoir épousée : on s’est lancé, avec trois amis, dans la création d’un bar à thème dans notre ville natale. On transpire notre boulot, on rend les gens heureux, parfois leurs exigences nous agacent, mais ils nous font grandir et surtout, surtout… on s’octroie régulièrement de VRAIES vacances sur la côte ouest !

Photo by WTTJ

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