Charlotte Cadé, de chineuse de déco à CEO de Selency

20 févr. 2019

7min

Charlotte Cadé, de chineuse de déco à CEO de Selency
auteur.e.s
Thomas Decamps

Photographe chez Welcome to the Jungle

Clémentine Marot

Chef de projet marketing freelance dans les secteurs mode et art de vivre

Charlotte Cadé, 31 ans, est passionnée de déco depuis toujours. Lassée de scroller des heures sur Pinterest en quête d’inspiration, puis de basculer sur leboncoin pour dénicher des perles rares, Charlotte crée en 2014 BrocanteLab : une marketplace de mobilier vintage qui met en relation des brocanteurs et des particuliers à travers des annonces soigneusement sélectionnées. Rapidement, Maxime Brousse, son partenaire dans la vie, rejoint l’aventure. 5 ans plus tard, après plusieurs levées de fond et l’ouverture toute récente de leur premier point de vente permanent au BHV Marais à Paris, l’entreprise rebaptisée Selency, s’est imposée comme l’un des porte-étendards de la réussite des start-up françaises.

Le #10yearschallenge cartonne sur Instagram : on poste une photo de soi il y a 10 ans et on raconte ce que l’on faisait à ce moment-là. Et toi Charlotte, en 2009, où étais-tu ?

Il y a 10 ans, j’étais dans mon année de césure d’école de commerce. J’étais en stage de 6 mois en communication chez Décathlon. Ça a été une expérience de rêve : j’ai eu la chance de faire 3 semaines de shooting en Afrique du Sud et un mois aux US, c’était canon. C’était ma première expérience professionnelle. Ensuite, j’ai travaillé chez L’Oréal en marketing puis j’ai intégré une agence de design qui travaillait justement pour L’Oréal. J’y suis restée deux ans et demi avant de me lancer dans l’aventure entrepreneuriale en 2014.

Quelles sont les choses que tu retiens particulièrement de ces expériences passées et qui te servent encore aujourd’hui ?

Mon expérience chez L’Oréal a été très formatrice, même si je me suis vite aperçue que le style “grand groupe” ne me correspondait pas vraiment, car il est difficile d’observer l’impact de ce que tu entreprends, et le côté “couteau suisse” des postes dans les petites entreprises me plait davantage. Chez eux, j’ai tout de même appris le sens du détail, et j’en retiens un sens esthétique fort : une sensibilité produit qui fait qu’aujourd’hui je suis assez pointilleuse sur l’expérience utilisateur, la façon dont on communique et dont on crée un univers de marque.

Comment est né Selency (ex BrocanteLab) ?

J’ai toujours été passionnée de déco. En dehors de mon boulot, je passais mon temps libre à chercher des inspirations sur Pinterest et à trouver des pièces vintage sur leboncoin. À force de scroller indéfiniment sur ces deux sites, l’idée m’est venue de créer une plateforme qui soit un mix entre les inspirations que je pouvais trouver sur Pinterest, le meilleur des pièces du boncoin, et tout cela avec un ton à la My Little Paris !

« Je passais mon temps libre à chercher des inspirations déco sur Pinterest et à trouver des pièces vintage sur leboncoin. »

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En effet, le ton de Selency est singulier : les newsletters sont pleines d’esprit et le site est rythmé par des clins d’œil et jeux de mots malicieux. Qui se cache derrière cette plume ?

Dès le début il me paraissait très important de créer un lien fort avec notre audience en imprimant un ton moderne et fun. Selon moi, le fait d’être cool et sympa ne doit pas être réservé aux médias. Notre premier recrutement a donc été celui d’une rédactrice, Christelle, passée auparavant chez… My Little Paris ! Quatre ans plus tard, elle fait toujours partie de l’équipe.

Tu as rapidement choisi de t’associer à Maxime dans cette aventure, ton compagnon dans la vie. Comment vous êtes-vous répartis les rôles ?

Moi je travaille sur la partie branding, l’image de la marque, la communication. Je m’occupe également du sourcing des produits. La sélection pointue des pièces, c’est la force de Selency. Maxime s’occupe de toute la partie financière, administrative et comptabilité. Il gère également le marketing payant, l’acquisition. Il est en lead sur toutes les opérations, notamment la partie logistique qui est un des enjeux clés du développement de la boîte.

Tout est plus simple lorsqu’on travaille à deux selon toi ?

Pour moi, c’est toujours un avantage, je ne sais pas comment font les gens qui entreprennent seuls. Ce n’est pas tant en termes de charge de travail, c’est surtout en termes de charge mentale. Être entrepreneur, c’est dur, ce n’est pas un chemin tout tracé et le fait de pouvoir s’épauler l’un l’autre, c’est super important.

« Je ne sais pas comment font les gens qui entreprennent seuls. Ce n’est pas tant en termes de charge de travail, c’est surtout en termes de charge mentale. »

Vous avez choisi de vous adresser directement aux brocanteurs pour trouver des pièces uniques, avez-vous rencontré des difficultés au début pour les convaincre de vous suivre ?

Pas vraiment car ils ont tout de suite saisi les enjeux et vu l’opportunité, même si comme souvent en France il y avait un peu de méfiance. Et puis ils n’étaient pas tous familiers avec le digital, donc il y a eu un peu de pédagogie à faire, il a fallu les prendre par la main, étape par étape.

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Ils ont apparemment bien fait de vous faire confiance : après plusieurs levées de fonds importantes, Selency a connu une croissance fulgurante en à peine quatre ans. Comment abordes-tu cette évolution et ton rôle, qui doit constamment se transformer ?

On est encore une petite équipe, on est 35, mais nous avons en effet beaucoup de recrutements à venir. Le développement de l’entreprise soulève énormément de questions : comment agrandir son équipe en gardant une culture d’entreprise forte par exemple, c’est un sujet qui m’intéresse vraiment.

Par ailleurs, je me découvre une vraie passion pour le management, et les ressources humaines, des aspects que je n’avais pas encore eu la chance d’expérimenter dans mes jobs précédents. J’apprends surtout sur le terrain mais j’ai aussi lu quelques bouquins sur les techniques de management, la façon de motiver une équipe etc. Cet aspect humain est hyper riche !

En revanche, je n’aimerais pas non plus que mon métier devienne 100% management. J’aspire quand même à garder un pied dans l’opérationnel que j’adore également.

« Le développement de l’entreprise soulève énormément de questions : comment agrandir son équipe en gardant une culture d’entreprise forte par exemple, c’est un sujet qui m’intéresse vraiment. »

Quel est selon toi le plus gros challenge quand une boîte grossit ?

Apprendre à déléguer ! Ce n’est pas forcément naturel au début. Quand on a commencé à recruter, j’avais vraiment besoin de tout voir, tout connaître, suivre tous les projets. À un moment ce n’est tout simplement plus possible. Quand les équipes grandissent, il faut accepter de donner des responsabilités aux gens, leur faire confiance, et se dire que les choses sont faites différemment, mais qu’elles sont certainement encore mieux faites car chaque personne est experte dans son domaine. Il faut aussi accepter de laisser les autres exprimer leur vision, c’est un vrai challenge au départ mais c’est finalement très enrichissant !

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Y a-t-il un trait de ta personnalité sur lequel tu as dû travailler au fil de l’aventure ?

Je suis une personne très spontanée et assez impulsive, j’ai plutôt tendance à dire immédiatement ce que je ressens, et j’ai appris à prendre sur moi pour faire des feedbacks constructifs. Un autre point sur lequel je travaille depuis mon premier job, c’est ma rigueur et mon sens de l’organisation. J’ai plutôt un profil créatif, débordant d’idées, et il a fallu que j’apporte de la rigueur dans ma façon de faire. Avec la boite qui grossit c’est absolument indispensable d’organiser ses idées pour pouvoir les communiquer à une équipe.

« J’ai plutôt un profil créatif, débordant d’idées, et il a fallu que j’apporte de la rigueur dans ma façon de faire »

Qu’est ce que tu aimes le plus dans ta vie d’entrepreneure ?

Ce que j’aime le plus c’est le côté multi-task. Ça me correspond bien parce que j’ai une grosse capacité de travail, mais je n’ai pas une grande force de concentration. Je suis très efficace quand je réfléchis à fond sur un sujet pendant 1 heure, puis je passe à autre chose. Ce rythme me convient bien, ça m’énergise. J’aime aussi avoir une partie très créative dans mon métier, imaginer l’expérience de demain, challenger les équipes sur les sujets créa. J’ai un tempérament de leader, j’aime bien faire passer des messages, défendre mes idées, entraîner les gens autour de moi vers un objectif.

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En 2017, BrocanteLab est devenu Selency, un nouveau nom destiné à séduire les marchés étrangers. Où en êtes-vous de cette conquête de l’international ?

On s’est développés un peu au Royaume-Uni, il y a une bonne croissance, mais pour le moment nous n’avons pas énormément soutenu nos investissements marketing là-bas, on a encore quelques petits points à régler. On a beaucoup appris depuis le lancement, ça nous a permis d’engranger des retours d’expérience, des informations sur le marché, les produits, les habitudes d’achat, donc là on est plus dans une phase d’ajustement avant accélération. On va d’abord se développer en Europe et le rêve serait les Etats-Unis un jour ! Ils sont fans de nos pièces. Le challenge va être de livrer là-bas sans atteindre des prix exorbitants. C’est un marché qui a un grand potentiel mais il faut que l’on rôde nos opérations pour bien gérer ce point.

« J’ai un tempérament de leader, j’aime bien faire passer des messages, défendre mes idées, entraîner les gens autour de moi vers un objectif »

### La brocante est-elle une activité aussi populaire partout en Europe qu’en France ?

Oui complètement ! C’est un passe-temps très européen, que ce soit en Allemagne, aux UK… Les pays du nord de l’Europe comme les Pays-Bas, les Belges sont aussi très friands de brocante il y a vraiment une carte à jouer sur ce secteur. Les produits les plus populaires diffèrent aussi selon les marchés, ça va être intéressant d’observer cela !

Quels sont les prochains grands défis de Selency ?

L’expérience utilisateur d’abord. Aujourd’hui, on a encore une séparation trop importante entre la partie blog/inspiration, et la partie e-commerce sur le site. Il faut que l’on arrive à faire beaucoup mieux fusionner les deux. L’idée est de pouvoir continuer à proposer une expérience toujours plus inspirante avec des idées déco au milieu du catalogue. Le merchandising du site c’est aussi un point clé parce que l’on a un catalogue qui commence à être assez dense avec plus de 60 000 produits. Il faut que l’on arrive à faire de la reco un peu plus affinée pour éviter aux gens de devoir scroller indéfiniment.

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Beaucoup de sites e-commerce ont senti à un moment la nécessité de développer des points de vente physiques, comme Sézane par exemple. À quand une boutique Selency ?

C’est fait ! On démarre en ce mois-ci notre collaboration avec le BHV à Paris où nous allons avoir notre première antenne retail permanente sur 100m2 au 4ème étage. En fait, le retail a toujours été au coeur de l’ADN de Selency puisqu’au tout début déjà, nous avions organisé un événement au Perchoir, un bar sur un rooftop parisien : nous avions recréé un appartement où tout était à vendre et où l’on pouvait acheter sur des tablettes. Cet événement avait super bien fonctionné donc nous en avons organisé d’autres régulièrement, nous avons aussi fait beaucoup de pop-up notamment au Bon Marché.

Quel conseil t’a le plus servi jusqu’ici dans ton aventure entrepreneuriale ?

Il faut oser poser des questions et faire la démarche de se faire épauler par d’autres entrepreneurs. Ce n’était pas naturel chez moi, c’est Maxime qui m’a appris ça. J’adhère à 100% : vivre les choses par soi-même et se tromper, c’est un beau chemin naturel mais ça prend aussi beaucoup plus de temps. En retour, j’aime donner mon feedback à d’autres entrepreneurs quand je suis sollicitée, la roue tourne, j’aime ce schéma de cercle vertueux !

Photo by WTTJ

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