Non, la diversité n’est pas à elle seule source de performance

22 avr. 2022

7min

Non, la diversité n’est pas à elle seule source de performance
auteur.e
Olivier Sibony

Professeur de stratégie et auteur spécialiste de la décision

LES FAKE NEWS DU MANAGEMENT - Depuis toujours, vous êtes persuadé·e que les brainstormings sont le réceptacle idéal des idées créatives. Vous avez la conviction profonde que l’entretien individuel représente le passage obligé d’un recrutement réussi. Ou encore, cela ne fait aucun doute : être un·e bon·ne manager relève de l’intuition, de l’inné, de l’expérience. Figurez-vous que la science a prouvé de longue date l’inexactitude de ces idées reçues, qui continuent pourtant de graviter dans le monde de l’entreprise. Chaque mois, notre expert du Lab Olivier Sibony, professeur de stratégie à HEC Paris, s’attèle à décortiquer sans langue de bois ces fake news du management. Aujourd’hui, zoom sur les liens (plus ou moins averés) entre diversité et performance.

À force de le lire et de le répéter, c’est devenu une évidence : la diversité – de genre ou d’origine – est source de performance dans les entreprises. L’Institut Montaigne propose ainsi « d’agir pour la parité, performance à la clé ». Crédit Suisse note que le cours de l’action d’une société croît plus vite quand son conseil d’administration comprend davantage de femmes. McKinsey publie depuis des années des rapports suggérant que la performance des entreprises s’améliore quand leur management comprend plus de femmes et de minorités ethniques. Tapez « diversité et performance » dans votre moteur de recherche préféré, et vous trouverez des milliers d’articles pour vous confirmer que la première favorise la seconde.

Sans parler des leaders qui, comme Christine Lagarde, y voient un facteur de succès macro-économique : « Si Lehman Brothers avait été Lehman Sisters, le monde serait très différent », écrivait, il y a quelques années, celle qui était alors patronne du FMI. C’est donc dans l’intérêt de la performance économique que les entreprises devraient diversifier leurs instances de direction. Il est devenu courant de parler du « business case » pour la mixité et la diversité, souvent pour s’indigner qu’on ait encore besoin de l’étayer, puisque, lit-on partout, « des décennies de recherche démontrent que la diversité et l’inclusion accroissent la performance financière ».

Il faudrait, en fait, s’indigner pour une tout autre raison : il ne devrait pas y avoir besoin de « business case » pour mettre en place une politique de diversité au sein d’une entreprise (ou pour justifier qu’on l’impose). Qu’il s’agisse de genre, d’origine, de milieu social ou de toute autre catégorie, la diversité est d’abord une question d’équité. Si une catégorie de personnes est défavorisée dans l’accès à certaines fonctions, c’est une injustice ; et corriger une injustice est une fin en soi, qui ne nécessite pas d’arguments économiques. D’ailleurs, imaginons un instant que les études montrent le résultat opposé, c’est-à-dire que la diversité nuit à la performance : personne, on l’espère, n’oserait s’en prévaloir pour conclure que le sexisme ou le racisme sont des facteurs de performance et pour recommander leur généralisation…

Il n’est donc pas question de remettre en cause le bien-fondé des efforts que font aujourd’hui la plupart des entreprises pour « diversifier » leur management. Mais il est important de ne pas se méprendre sur les résultats qu’elles peuvent en attendre. Écrire, comme le fait l’une des études précitées, qu’une société a 35% de chances de plus d’avoir une performance financière supérieure à la moyenne de son secteur quand elle est plus diverse, et que « quand les sociétés s’engagent dans la voie d’un leadership plus divers, elles réussissent mieux », c’est suggérer que le changement de profil du leadership engendre, à lui seul, une performance supérieure. Or les études disponibles sont loin d’être conclusives sur ce point. Surtout, ces études ont beaucoup à nous apprendre sur les conditions à remplir pour que la diversité soit productive de performance : si l’on veut faire de sa politique de diversité un succès, mieux vaut les étudier avec soin plutôt que traiter de rétrogrades ceux qui demandent à les lire.

Un tableau moins indéniable qu’il n’y paraît

Commençons par les données : difficile de s’en douter en parcourant la presse économique ou votre fil LinkedIn, mais les études disponibles sur les effets de la diversité de genre, en particulier sur le sujet de la représentation des femmes dans les conseils d’administration, sont nombreuses et contrastées. Comme tout sujet scientifique complexe, on ne peut se faire une idée de l’état des connaissances qu’en consultant une revue de la littérature scientifique. Il en existe au moins deux, l’une de Post et Byron qui couvre 140 études portant sur 90k sociétés dans 30 pays, l’autre de Pletzer et al., plus ciblée. Katherine Klein, de Wharton, donne ici un aperçu de ces deux méta-analyses. Sa conclusion : les entreprises qui ont des femmes à leur conseil d’administration ne se portent ni mieux, ni moins bien. L’une des deux méta-analyses trouve un effet statistiquement significatif, mais négligeable par sa taille ; l’autre n’en trouve aucun.

En ce qui concerne la diversité ethnique, les données sont moins nombreuses, mais guère plus conclusives. L’étude McKinsey citée plus haut a ainsi fait l’objet d’une critique détaillée par deux professeurs américains, qui ne sont pas parvenus à reproduire ses conclusions sur un échantillon plus important. La qualité des analyses et l’intégrité des auteurs ne sont pas en cause : si, comme dans le cas de la mixité, l’effet de la diversité ethnique sur la performance est faible ou nul, il est parfaitement logique que certaines études trouvent un effet positif et d’autres un effet négatif. Le hasard des échantillons utilisés, des variables choisies et des méthodes retenues suffit à expliquer cette dispersion. Bien sûr, on peut aussi s’attendre à ce que les études qui concluent, comme celle de McKinsey, aux effets positifs de la diversité, reçoivent un écho beaucoup plus important, voire à ce que les chercheurs qui parviennent à des conclusions opposées s’autocensurent… D’où, sans doute, la perception répandue – et erronée – que toutes les études convergent.

Derrière les chiffres, des interprétations « diverses »

Comment expliquer que ces résultats nous surprennent ? D’abord, par une erreur de raisonnement. Car penser qu’il suffit d’accroître la diversité d’un conseil d’administration ou d’une équipe dirigeante pour améliorer les performances d’une entreprise, ce n’est pas seulement faire l’éloge de la diversité : c’est aussi prêter à ces instances de direction le pouvoir d’influer vite et fort sur la performance financière. Or, celle-ci dépend de beaucoup de facteurs ! On sait, par exemple, que l’effet propre du PDG sur la performance financière d’une entreprise est modeste ; beaucoup plus faible en tous cas que certains PDG voudraient le faire croire quand il s’agit de justifier leur rémunération. De la même manière, l’effet que peuvent avoir un conseil d’administration ou un comité exécutif sur la performance d’une entreprise est nécessairement limité. C’est encore plus vrai, bien sûr, si, poussées par l’air du temps ou par la loi, toutes les entreprises poursuivent une politique de diversité en même temps : la performance étant par nature relative, on ne peut guère espérer faire la différence en faisant la même chose que les autres…

Une autre difficulté de raisonnement tient à l’interprétation des chiffres. Toutes les études précitées suggèrent que les entreprises plus diverses sont mieux gérées et ont donc de meilleurs résultats : la corrélation que trouvent ces études entre diversité et performance est interprétée comme le signe que l’une est la cause de l’autre. Or une autre explication est possible : peut-être les entreprises les mieux gérées choisissent-elles plus intelligemment leurs dirigeant·es, et peut-être cette qualité de choix se traduit-elle par plus de diversité. C’est particulièrement plausible pour les conseils d’administration où, comme le notait récemment Arthur Levitt, ancien président de la Securities and Exchange Commission, « en fin de compte, le choix des membres de conseils d’administration dépend toujours de réseaux informels, comme dans un country-club ». Si les meilleures entreprises se distinguent en faisant mentir ce sévère jugement ; si elles choisissent tout simplement les meilleur(e)s, sans biais ni préjugé ; alors on doit trouver dans leurs instances dirigeantes plus de diversité.

Si cette hypothèse était exacte, la diversité ne serait pas la cause de la performance. L’une comme l’autre s’expliqueraient par un facteur commun : des pratiques de gestion (et notamment de sélection) plus saines. Et on ne pourrait absolument pas conclure que diversifier le management puisse améliorer la performance financière ! Que penser de cette explication alternative ? En l’état actuel des connaissances, rien n’est sûr. Dans la mesure où il existerait une corrélation entre diversité et performance, les deux explications sont plausibles, et pas incompatibles entre elles.

La diversité des personnes… mais aussi des idées

Reste une question essentielle : comment, exactement, la diversité améliorerait-elle la performance ? Les études sur le sujet envisagent plusieurs types de mécanismes, mais le plus fréquent est de nature cognitive. Les groupes les plus divers atteindraient une forme d’intelligence collective inaccessible à des groupes trop homogènes : la variété des points de vue les rendrait plus créatifs, moins conformistes, moins exposés au danger du groupthink.

L’argument est intuitivement séduisant, et de nombreuses études suggèrent en effet que la diversité contribue à rendre les équipes plus performantes. Mais ces études soulignent aussi les limites de ce « bonus de la diversité », ou plutôt les conditions à remplir pour l’obtenir :

  • Qu’il y ait une vraie diversité d’idées : sauf à sombrer dans les stéréotypes, il n’y a pas de raison a priori que des personnes de genre ou d’origine différentes aient des opinions différentes sur tous les sujets professionnels. Si vous vous entourez d’individus qui sont démographiquement différents mais qui pensent exactement comme vous, vous n’aurez pas beaucoup progressé. Il faut donc encourager non seulement la diversité, mais aussi la divergence, voire le conflit d’idées… ce qui n’est pas facile pour tout le monde.
  • Que les conditions d’un débat où cette diversité d’idées peut s’exprimer soient réunies : cela nécessite que chacun·e soit suffisamment en confiance pour formuler des points de vue dissonants et conserver le respect de ses pairs. C’est ce qu’Amy Edmondson appelle la « sécurité psychologique » : la conviction, partagée par tous les membres de l’équipe, qu’il est permis de prendre des risques. Autrement dit, si la question, c’est comment améliorer la performance, la diversité est nécessaire, mais pas suffisante. Pour en tirer parti, il faut aussi changer la manière d’animer les débats, de créer la confiance au sein des équipes de travail. Bref, il faut être un·e très bon·ne manager…

On comprend bien pourquoi celles et ceux qui ont à cœur de faire progresser la diversité s’efforcent de présenter un « business case », un argument économique. Mais si celui-ci se résume à des projections d’amélioration mécanique de la performance financière globale, il risque de faire plus de mal que de bien. D’abord, parce qu’il est toujours dangereux de faire des promesses intenables : pour motiver le combat en faveur de la diversité, mieux vaut se concentrer sur l’impératif d’équité. Mais surtout, parce qu’en prêtant à la diversité des vertus quasi-magiques, on risque d’oublier les conditions à remplir pour en faire un atout : celles qui tiennent, comme souvent, à la qualité du management.

Photo par Thomas Decamps, article édité par Mélissa Darré

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