Chères entreprises, la communauté LGBT+ a un message pour vous

20 juin 2022

7min

Chères entreprises, la communauté LGBT+ a un message pour vous
auteur.e
Caroline Ricard

Journaliste

Avec juin vient l’été, mais aussi le « mois des fiertés » (Pride Month), un temps festif et militant pour la communauté LGBT+. L’occasion pour nous de faire le point sur les discriminations encore trop nombreuses en entreprise, et surtout, de demander aux premiers concernés leurs solutions concrètes pour un monde du travail plus inclusif.

En France depuis 2013, 174 sociétés se sont engagées en signant une Charte d’engagement LGBT+. Pourtant, si l’on en croit les résultats de la 3e édition du baromètre LGBT+ mené par l’association L’Autre Cercle (en partenariat avec l’Ifop), la réalité n’est pas si rose. Dans le milieu professionnel, les agressions et les discriminations à l’encontre de la communauté LGBT+ auraient même augmenté en 2 ans. 16 % des répondants de cette enquête ont déclaré avoir subi une mise à l’écart de la part des autres salariés. Certains ont même été freinés dans leur carrière à cause de leur genre et/ou de leur orientation sexuelle (20 %). Alors comment faciliter l’inclusion des personnes LGBT+ dans le monde du travail, et éviter les maladresses et discriminations quotidiennes ? On a posé la question à des salariés issus de la communauté LGBTQIA+. Voici leurs témoignages.

Sylvain, 55 ans : « J’ai été évincé d’un recrutement parce que je suis gay »

Son histoire :

En tant que personne LGBT+ de 55 ans, je me suis retrouvé à la croisée de deux mondes. L’un formaté par la vision patriarcale, hétéronormée de la société, et l’autre qui accepte davantage la différence. En entreprise, j’ai longtemps caché qui j’étais pour éviter les questions et les malaises. Je me suis rendu compte qu’en faisant ça, je répondais simplement aux diktats de la société. À partir du moment où je me suis dit que j’étais une personne à part entière et que j’avais le droit de vivre, j’ai commencé à assumer qui j’étais. Le lundi matin, les gens te demandent ce que tu as fait durant le week-end (avec ta femme par exemple). Je me suis tout simplement mis à dire « avec mon mec » ou à prononcer son prénom. En partant du principe qu’il n’y a pas de problème, tout passe plus facilement ! J’avais d’ailleurs été surpris de la réaction d’un des chefs de groupe. Pour moi, il représentait l’archétype du patriarcat. Et puis, il m’a confié : « Tu sais, ça me touche beaucoup que tu parles aussi simplement de ta vie privée ». Ne pas dire les choses, c’est laisser la place à des blagues lourdes sur la communauté LGBT+, mais pour nous c’est aussi une charge mentale en plus. On craint toujours de faire une gaffe ou de s’emmêler les pinceaux dans nos mensonges.

On m’a aussi déjà éjecté de certains postes parce que j’étais gay. J’ai par exemple travaillé sur un super projet avec une amie. Après le lancement, on devait tous les deux être embauchés. Quand le processus de recrutement a débuté, je n’ai plus jamais eu de nouvelles. Mon amie a eu le poste, et j’ai appris qu’on me trouvait « trop sophistiqué ». Ça veut tout dire. Avec du recul, ce n’est pas plus mal : je n’aurais pas souhaité bosser avec des homophobes.

Ses solutions :

  • Attention au recrutement des managers. Les questions de genre touchent à l’humain et à l’émotion : or tout le monde n’a pas cette sensibilité. L’annonce doit être suffisamment claire quant à la volonté de l’entreprise d’être plus inclusive par exemple. Pendant l’entretien avec l’aspirant manager, il faut poser les bonnes questions à propos de la diversité, imaginer des cas pratiques, des mises en situation, etc.
  • Les entreprises doivent réagir beaucoup plus vite, et ça au moindre dérapage. Il ne faut pas hésiter à confronter les personnes problématiques et à mettre en place des sanctions adéquates : un rappel à l’ordre par exemple, puis un blâme. Plus elles traînent, plus elles envoient un message négatif à la communauté.
  • Les sociétés peuvent mettre en place des pôles dédiés à la diversité, mais attention à ce que la démarche soit sincère et pas juste pour un coup de com.
  • Et enfin, aux personnes LGBTQIA+ : ne mentez pas sur qui vous êtes !

Léa, 20 ans : « J’ai dû faire un coming-out prématuré »

Son histoire :

J’ai rencontré mes collègues il y a bientôt un an et au début tout se passait bien. Mais deux d’entre eux étaient particulièrement lourds et virulents. Un jour, alors que j’étais en pause, un employé a commencé à parler de manière très déplacée des femmes mais aussi des personnes homosexuelles. Je venais juste d’arriver et je ne souhaitais pas me faire remarquer ou moquer alors je n’ai rien dit. Mais je n’ai pas pu m’empêcher de réagir quand il a dit que toutes les personnes homosexuelles avaient des parents divorcés. J’ai répondu : « Ah bon, c’est bête parce que les miens sont toujours mariés ! ». Puéril peut-être, mais efficace. Après ce coming out professionnel totalement imprévu, je suis partie en trombe. Mon collègue s’est précipité vers un autre employé pour lui dire : « Tu savais que Léa était… » et il lui a mimé un geste sexuel.

Par la suite, ce dernier est venu me voir pour me demander si c’était bien vrai, et me poser tout un tas de questions hyper indiscrètes sur mes relations amoureuses. J’étais très nerveuse, mais ça ne s’est pas arrêté là. En plus des remarques sexistes qu’on supportait déjà avec une collègue, je me suis retrouvée à devoir supporter toutes leurs questions. La dernière fois que j’y ai travaillé, je me suis même fait insulter. Je suis enfin prête à en parler à mon supérieur, même si je suis terrifiée par les représailles. Mais ça ne peut plus durer et je ne veux pas qu’une autre personne subisse la même chose. Je suis hyper anxieuse à l’idée d’aller travailler. Je sais que dans le milieu professionnel, tout le monde n’est pas comme ça, mais je ne sais même pas comment qualifier ce que je vis. Du harcèlement ? Je n’en ai aucune idée.

Ses solutions :

  • Les managers doivent absolument trouver un bon équilibre. Instaurer des discussions sans jamais être sanctionné, ça ne sert à rien. Mais sanctionner sans discuter, ça n’aide pas non plus l’inclusion de la communauté LGBT+.
  • Si les discussions ne suffisent pas et que le harceleur continue, alors il faut sanctionner par un blâme ou une mise à pied.
  • Les managers doivent donner l’exemple. En déclarant ouvertement leur lutte contre l’homophobie ou leur envie d’être LGBT-friendly (notamment dans un processus de recrutement), ça peut aider à créer un climat de confiance.
  • Il faut faire comprendre que les personnes LGBT+ souhaitent seulement travailler comme tout le monde, sans être dénigrées pour ce qu’elles sont.

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Pauline, 28 ans : « J’ai vécu et assisté à des micro-agressions quotidiennes »

Son histoire :

Récemment, ma copine a eu le Covid et pas moi. Dans mon entreprise, quand tu vis avec quelqu’un qui a le Covid, tu dois respecter un process particulier. J’ai donc envoyé un mail sans m’étaler, en parlant de « la personne avec qui je vis » pour désigner mon amie. Quelques jours plus tard, mon manager opérationnel me demande : « Alors, ton copain va mieux ? ». Je l’ai repris et je lui ai simplement dit : « Non en fait c’est ma copine ». J’ai senti qu’il était gêné. Reprendre les gens c’est important, ça les fait réfléchir. Mais c’est épuisant, ça demande un réel effort. Donc il y a des gens qui abandonnent. Je discutais avec un transgenre qui n’a pas encore fait sa transition : son apparence est celle d’une femme. Il a fait son coming out au travail, mais constamment, des personnes vont lui parler au féminin. Ce qui est cool, c’est que certains de ses collègues reprennent ceux qui se trompent : ça en fait des alliés, ça fait un bien fou et ça permet de souffler ! Après, le rôle d’allié n’est pas forcément de corriger les gens, ça peut aussi juste être d’avoir des questions plus ouvertes, sans genre défini.

Je connais également des salariés qui changent le pronom de la personne avec qui elles vivent. Par exemple, j’ai une copine qui, sur son lieu de travail, parle constamment de sa compagne en disant « mon mec », « il ». Tout le monde est persuadé qu’elle est hétéro, et elle entend sans cesse des blagues homophobes. Là par exemple, elles essaient d’avoir un enfant, du coup elle va démissionner car elle ne se sent pas en safe place dans son entreprise.

Ses solutions :

  • Favoriser l’inclusion doit faire partie de l’ADN de l’entreprise et ne pas être un simple instrument de pinkwashing.
  • Pourquoi ne pas penser à établir des partenariats avec des associations ou des think tank (L’Autre Cercle, Têtu Connect, etc.) ?
  • Organiser des événements, des réunions, des formations à destination de la direction et du top management pour parler de l’importance d’être inclusif en entreprise.
  • Mettre en place des toilettes non genrées. Ça ne gêne personne mais ça aide beaucoup les non-binaires.
  • Encourager l’inclusion passe aussi par les outils de travail. Par exemple, sur Slack, on peut identifier nos propres pronoms. Un vrai petit plus si tout le monde le fait.

Vanille, 28 ans : « J’ai subi le harcèlement au travail »

Son histoire :

Il y a un collègue de travail avec qui je m’entendais plutôt bien. Du jour au lendemain, il a commencé à tenir des propos de plus en plus déplacés à mon égard. Il me demandait même comment ça se passait sexuellement entre femmes, allant jusqu’à mimer certaines pratiques. Il me disait que si j’étais lesbienne, c’était juste parce que je n’avais pas rencontré le bon mec, que ce n’était pas quelque chose de normal, et il ne se gênait pas pour le dire devant d’autres collègues de travail. Tous les jours, il y avait de nouvelles attaques. Pour lui, il s’agissait de taquineries mais moi, ça m’a laissé des traces indélébiles et j’en ai même fait des cauchemars. C’est la première fois que je vivais cela en entreprise. J’ai continué à aller au travail. La direction a été mise au courant, une campagne de sensibilisation a été déployée au sein de l’entreprise. Mon contrat s’est terminé il y a quelques mois, et mon calvaire a pris fin par la même occasion.

Ses solutions :

  • Établir des campagnes de sensibilisation, d’affichage au sein de l’entreprise pour montrer que la société souhaite être inclusive et soutenir la communauté LGBT+.
  • Beaucoup parler et instaurer des réunions à destination des personnes harcelées, mais aussi des harceleurs.
  • Faire comprendre que les harcelés ne sont pas seuls, par exemple en ouvrant une cellule psychologique si des cas de harcèlement sont avérés.
  • Privilégier l’embauche de managers bienveillants.
  • Démanteler les groupes de harceleurs et les sanctionner rapidement.

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Article édité par Ariane Picoche, photo : Thomas Decamps pour WTTJ

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