5 tips pour jauger le climat de sécurité psychologique d’une boîte où vous postulez

17 oct. 2023

8min

5 tips pour jauger le climat de sécurité psychologique d’une boîte où vous postulez
auteur.e
Cécile Pichon

Psychologue du travail, coach et consultante RH

contributeur.e.s

Dans un monde où la santé mentale est désormais au cœur des préoccupations de chacun, nous aspirons logiquement à éviter ce qui peut perturber notre équilibre (stress, fatigue, conflits…). De sorte qu’avant de franchir le seuil d'une nouvelle entreprise, nous sommes nombreux à nous interroger : comment évaluer son climat de sécurité psychologique ?

« La santé mentale a pris de plus en plus d’importance dans notre rapport au travail post-pandémie, en particulier auprès des nouvelles générations », explique Christophe Nguyen, psychologue du travail et président du cabinet Empreinte Humaine. De nouvelles exigences dont les entreprises prennent peu à peu la mesure : elles sont nombreuses à prendre le sujet du bien-être des salariés à bras-le-corps, et certaines n’hésitent pas à mettre le paquet sur la communication autour de leurs actions. Une histoire d’attractivité certes -la tentation du great washing est grande-, mais pas uniquement. Plus que jamais, « la crédibilité quant aux promesses faites doit être au rendez-vous », rappelle notre expert.

« Il y a chez les candidats un besoin de sécurité, pose Roseline Laloupe. Ils souhaitent être sûrs de ne pas perdre de temps, comme avoir à mettre fin à leur période d’essai par exemple ». Une démarche plus que légitime pour la spécialiste et influenceuse RH. À l’heure des « #balancetastartup » et autres bad buzz, les candidats ne veulent pas se laisser happer par des discours marketing où la forme prime sur le fond. Comment alors vérifier que les actes d’une structure suivent bien ses paroles ?

Le climat de sécurité psychologique au travail, qu’est-ce que c’est au juste ?

Une démarche pro-active…

Chacun de nous poursuit une certaine quête de sérénité, au travail comme ailleurs. Selon la définition de l’Association canadienne de normalisation (CSA), l’un des organismes spécialistes de la question, un milieu professionnel psychologiquement sain et sécuritaire est « un environnement de travail favorisant le bien-être psychologique des employés ». Jusque là, rien d’étonnant. Mais sa particularité réside avant tout en ce qu’il contribue à « prévenir les préjudices portés à la santé mentale des travailleurs par négligence, par insouciance ou de façon délibérée ».

Dit autrement, le climat de sécurité psychologique d’une entreprise ou d’une équipe se détériore, avant tout, par passivité ou par manque de volonté de changer les choses. Négligence et insouciance produisent, en effet, des dégâts conséquents. Tout peut rapidement déraper avec une direction et/ou un management qui ne prend pas le temps de se mettre à l’écoute du terrain, qui minimise ou ferme les yeux sur des problématiques pourtant remontées à sa connaissance, ou encore qui tolère des comportements inacceptables.

Parfois, on observe même une volonté délibérée de « déprioriser » ces sujets : sous couvert d’une recherche de compétitivité, certaines entreprises peuvent entretenir une culture de la pression, de la compétition, voire de l’humiliation, totalement défavorable au bien-être de leurs équipes. « Si les salariés ne sont pas contents, ils n’ont qu’à aller travailler ailleurs, ce ne sont pas les candidats qui manquent. » Qui n’a jamais entendu cette phrase néfaste, qui est encore trop souvent monnaie courante dans de nombreux secteurs ?

…de lutte contre les risques psycho-sociaux

À l’inverse, un environnement de travail sain est celui qui est activement organisé pour éviter, réduire et lutter contre ce qui nuit à la sécurité et au bien-être des personnes qui y évoluent. À commencer par ce que l’on appelle les « risques psycho-sociaux », qui se cristallisent essentiellement autour des notions de stress et de violence relationnelle :

  • Le stress lié au travail et ses conséquences : soit à une charge de travail excessive, un manque de moyens ou d’autonomie, des délais courts et des interruptions permanentes, un manque de sens ou de reconnaissance…
  • Les violences internes à l’entreprise : soit les conflits interpersonnels, les discriminations, le harcèlement, l’injustice, la mise au placard, l’abus de pouvoir…
  • Les violences externes à l’entreprise : l’agressivité des clients, le travail peu gratifiant voire pénible, les insultes et/ou menaces…

« Ce que les salariés attendent, ce sont des actions concrètes sur leurs conditions de travail face à la forte charge, la perte de sens, le manque de clarté des rôles… », développe le psychologue Christophe Nguyen. Car partout, le climat peut se détériorer. Se pencher sur ce qui est proposé et mis en place en interne d’une structure, aussi bien à l’échelle du groupe qu’à celui de l’équipe, est un bon moyen de jauger l’importance accordée pour préserver la santé mentale des salariés.

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5 conseils pour évaluer le climat de sécurité psychologique d’une entreprise en tant que candidat

Jauger du climat de sécurité psychologique d’une structure quand on est candidat, est-ce seulement possible ? Bien qu’intéressante, l’idée peut sembler compliquée, comme le remarque sans langue de bois Roseline Laloupe. « Ça me paraît assez utopique de vouloir analyser la sécurité psychologique d’une entreprise en amont d’un job », avoue-t-elle. Et pourtant, certains signes qui ne trompent pas peuvent être détectés dès le processus du recrutement. Site corporate de l’entreprise, rédaction des annonces, organisation et déroulement des entretiens, communication avec les différents interlocuteurs au long du processus… sont autant d’éléments pour tenter de lire entre les lignes et ainsi de lever d’éventuels « loups ». La preuve par cinq.

Conseil n°1 : renseignez-vous sur l’entreprise via des recherches en ligne

Consulter le site web et les réseaux sociaux de l’entreprise, ou encore les avis qui la concernent sur des plateformes telles que Glassdoor peut vous fournir de très précieux éléments sur ce que la structure met en avant, mais aussi sur ce qui s’y passe concrètement. Linkedin est une mine d’or à ce sujet. Quels genres de profils travaillent au sein de l’entreprise ? Qui occupe des postes de direction ? Comment s’expriment les salariés ? Combien de temps semblent rester les équipes en moyenne dans l’entreprise ? Quels parcours d’évolution suivent-ils ?

En parallèle de la vision, souvent déconnectée de la réalité, détaillée sur le site corporate des entreprises, la manière dont les dirigeants prennent la parole sur les réseaux sociaux est riche d’enseignements. « Je trouve intéressant de voir comment les individus clés, par exemple le DRH et le CEO, communiquent notamment sur LinkedIn », confie Roseline Laloupe. Qui prend le plus la parole ? Est-ce que ces sujets de santé et de sécurité sont mis en avant ? Par quel prisme et avec quelle authenticité ? La capacité à reconnaître les erreurs et les difficultés peut ici être un gage de bonne volonté et de sincérité. Et c’est un bon début !

Actuellement en recherche d’emploi en tant que chef de projet, Aurélie s’est posée la question de ce qui pourrait la rassurer avant de rejoindre une organisation. « Si je perçois qu’il y a une volonté de prendre les choses en main sur le sujet de la santé, je trouve que c’est déjà pas mal. Mais cela doit s’articuler autour d’exemples concrets », affirme-t-elle. La politique prônée mérite d’être illustrée sur le terrain.

Conseil n°2 : multipliez les conversations et les points de vue pour tester la cohérence

La cohérence entre le discours et le comportement des salariés rencontrés lors du processus d’embauche -recruteurs, managers, pairs- va vous permettre de vous projeter à la fois dans le poste et au sein de l’organisation. N’hésitez pas à interroger chacun d’eux sur leur expérience dans l’entreprise : ce qu’ils apprécient, ce qui les a fait venir et ce qui les fait rester, mais aussi ce qu’ils aimeraient améliorer ou changer. Une capacité d’auto-critique et de remise en question peut-être la marque d’une culture saine, où tous les sujets sont abordés sans tabou.

En plus des personnes rencontrées durant les entretiens, vous pouvez contacter des salariés de l’entreprise via LinkedIn ou via votre réseau. L’occasion, peut-être, de collecter d’autres sons de cloche en la matière. « Ce qui va être important, c’est de passer du temps avec l’autre, beaucoup de temps même », considère Roseline Laloupe. La spécialiste RH apprécie d’ailleurs l’idée de plusieurs échanges, si possible parfois même hors du cadre, avant de signer un contrat. Certaines entreprises vous proposent une immersion ? Pourquoi ne pas tenter l’expérience ? C’est autant de temps et d’interactions pour glaner les éléments nécessaires à votre discernement.

Conseil n°3 : osez poser les bonnes questions

Les entretiens d’embauche sont l’occasion de sonder les actions vertueuses et/ou préventives mises en place par l’entreprise, à différentes échelles, pour réduire les risques psycho-sociaux. Comment lutte-t-elle contre le burnout, les conflits interpersonnels et le harcèlement, ou encore la perte de sens ? Pas simple de poser ces questions frontalement… Heureusement, il existe des moyens plus diplomatiques et détournés, comme d’interroger la manière dont l’entreprise gère la charge de travail de ses équipes, comment elle les autonomise et les outille, ce qu’elle fait pour garantir la qualité des interactions internes et externes, comment elle leur permet de se projeter… « Ce qui peut nous faire réaliser que l’on parle avec une boîte saine à ce sujet est l’acceptation du principe de réalité, rappelle le psychologue. Une entreprise sincère dans sa prévention s’intéresse vraiment aux contraintes et risques liés à tel ou tel poste de travail (déplacements, amplitude horaire, exposition au stress, à la fatigue physique… ndlr) », explique Christophe Nguyen.

Vous êtes dans votre bon droit de questionner ce qui est fait en terme de prévention, même si ce n’est pas toujours confortable pour les recruteurs. L’existence de règles définies et de gardes fous -tels que des jours de récupération, une rémunération des heures supplémentaires et une charte de déconnexion- sont des gages de la prise au sérieux du sujet. Et en la matière, les bonnes intentions ne suffisent pas ! Aurélie en a fait les frais chez son précédent employeur, qui se targuait de laisser une totale liberté d’organisation à ses salariés, tout en exigeant d’eux (c’est tout le paradoxe) d’être disponibles à 9h pour des réunions avec le Japon et à 18h pour celles avec la Californie… « Il y a ce que l’on met en avant, et ce que l’on fait vraiment », déplore la jeune femme qui a depuis quitté ce poste.

Conseil n°4 : faites confiance à votre instinct

Si les choses vous semblent « trop belles pour être vraies » ou si vous ressentez un malaise lors de la visite de l’entreprise ou durant les entretiens, il peut être judicieux de creuser davantage, en posant des questions supplémentaires sur la culture de l’entreprise. Entre les beaux discours sans réelle motivation, la volonté sans le courage d’agir et les actions clairement mises en place, il existe tout un tas de possibilités qui iront de paire avec une gradation de l’authenticité. Car un environnement sain est celui qui permet autant que possible à chacun d’être libre et authentique !

Surtout, ne vous laissez pas amadouer par quelques mesures préventives qui arrivent sur le tard, au détriment de véritables actions curatives. « Gare aux rustines qui peuvent dévier le regard de ce qui est important », rappelle Christophe Nguyen. Donner par exemple au salarié un accès à des rendez-vous avec des psychologues est un pis-aller s’il n’y a pas une réelle volonté d’agir sur les conditions de travail. « Bien sûr les salariés ne disent pas non à du soutien supplémentaire, conçoit notre expert, avant de rappeler. Mais mettre une pression très importante d’un côté et de l’autre dire “Prenez soin de vous” avec des psys, c’est presque mettre la responsabilité sur le salarié si cela ne fonctionne pas. »

Conseil n°5 : prenez vos responsabilités !

« On ne peut pas entrer dans la tête d’un autre être humain, ni d’une organisation. On ne peut pas tout prévoir. C’est l’expérience qui permet de savoir si l’on se sent bien, si on se sent en sécurité », rappelle Roseline Laloupe. Il vous appartient donc de vous lancer sans plus de certitude. Sans oublier que le climat d’une entreprise ou d’une équipe peut se détériorer au fil du temps. L’équilibre demeure précieux à préserver. Aussi, chacun à un rôle à jouer dans la création de ce climat de sécurité psychologique. Après tout, nous pouvons aussi participer plus ou moins volontairement à une chaîne de pression, à des conflits relationnels ou manquer de courage pour dénoncer les injustices que nous observons. Alors prenons aussi nos responsabilités pour discuter, alerter, dénoncer, proposer… et voir si nous sommes écoutés ! « En réalité, de nombreux dirigeants veulent travailler pour améliorer ces questions de santé et de sécurité, mais ne savent pas comment faire », constate Christophe Nguyen.

Il serait idéaliste d’espérer que les entreprises cessent de penser en termes productivité et de performance, pour s’intéresser au seul sujet de santé mentale des salariés. Il est néanmoins gratifiant de constater que la réduction des risques qui lui sont liés peut aussi être appréhendée comme un investissement dans la durabilité à long terme de l’entreprise. Oser en tant que candidat, se poser la question, c’est aussi faire bouger les lignes !

Article édité par Mélissa Darré, photo par Thomas Decamps.

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