Être le "p'tit nouveau de sa boîte" en télétravail forcé, ça se passe comment ?

15 nov. 2020

8min

Être le "p'tit nouveau de sa boîte" en télétravail forcé, ça se passe comment ?
auteur.e
Alexandre Nessler

Journaliste - Welcome to the Jungle

Trouveriez-vous cela audacieux - ou un peu fou même - de vous pointer en chaussons pour votre premier jour de votre nouveau travail dans une entreprise où vous ne connaissez personne ? Certainement. Il semblerait pourtant que la pratique se développe de plus en plus ces derniers mois sans que cela ne choque personne. Et pour cause, pendant le premier et depuis le début du reconfinement, certains ont bien dû faire leurs débuts dans leur nouveau job depuis leur canapé, sans prendre la peine de se chausser ou même d’enfiler un pantalon digne de ce nom. Nous sommes allés interroger ces salariés qui ont la particularité de ne jamais avoir mis les pieds dans les bureaux de leur entreprise. Comment ont-ils vécu leur onboarding à distance ? Quelles appréhensions avaient-ils ? L’entreprise a-t-elle su s’adapter pour les accueillir comme il se doit ? Témoignages.

Avant d’arriver, des inquiétudes légitimes

Le moins que l’on puisse dire, c’est qu’Anne-Emmanuelle a le sens du timing. Le nouveau contrat de cette experte en intégration d’Office 365 devait commencer le 16 mars dernier, date de début du confinement, dans l’entreprise de solutions digitales Avanade. Dès l’annonce du chef de l’État, une énorme inquiétude s’est abattue sur ses épaules : « Je me suis vraiment demandée si, finalement, le début du contrat n’allait pas être reporté. J’étais persuadée que ça n’allait pas pouvoir se faire, qu’il serait trop compliqué pour l’entreprise de m’accueillir dans ces circonstances. En fait, pour moi ce n’était pas possible de commencer à distance. Je me disais : “S’ils ne me connaissent pas, ils ne peuvent pas me faire confiance. Ils ne pourront pas me tester, ni savoir comment je bosse. Comment pourra-t-on s’organiser pour travailler ensemble ?” »

« Je me disais : “S’ils ne me connaissent pas, ils ne peuvent pas me faire confiance.” » - Anne-Emmanuelle, salariée dans une entreprise de solutions digitales

Finalement, Anne-Emmanuelle n’a eu que peu de temps de cogiter bien lontemps puisque sa nouvelle entreprise a réussi à s’adapter au contexte et a maintenu le contrat indemne « J’ai reçu un mail me disant que l’onboarding se ferait à distance. Que je n’aurais qu’à passer récupérer mon matériel au bureau. » En racontant son premier jour, amusée, elle reconnaît avoir rarement vécu une entrée en matière aussi insolite. « Je me suis présentée à l’accueil de l’entreprise pour récupérer mon ordinateur. L’établissement était totalement désert, ils l’avaient rouvert spécialement pour moi et les autres nouveaux arrivants qui allaient passer plus tard dans la journée. Tout avait été nettoyé minutieusement avant mon passage. Le tourniquet de l’accueil était ouvert et les poignées de portes ainsi que les boutons d’ascenseur étaient désinfectées immédiatement après mon passage. Mon ordinateur était posé au milieu de ce qui semblait être habituellement une salle de réunion. La RH qui m’avait accueillie et une personne du service informatique se tenaient chacun à une extrémité de la pièce en conservant une distance de sécurité d’environ 5 mètres. Pendant que je récupérais mon matériel, ils m’ont donné de précieux conseils pour un bon onboarding. » La scène semblait tout droit sortie d’un film, et l’on pourrait presque confondre Anne-Emmanuelle avec James Bond récupérant ses gadgets sous le regard protecteur de ses supérieurs, dans un bâtiment ultra-sécurisé. Finalement, elle nous confie que « malgré le surréalisme de la situation, à aucun moment cela ne fut embarrassant. »

Pour certains, malheureusement, l’onboarding est beaucoup moins drôle

Au contraire d’Anne-Emmanuelle, l’onboarding de Jade ne s’est pas vraiment passé comme elle l’avait imaginé. Cette toute jeune chargée de communication digitale dans une entreprise de télécommunications avait elle aussi des inquiétudes avant de démarrer son nouveau job pendant le premier confinement. « En allant me coucher la veille, j’étais très stressée, reconnaît-elle. J’en arrivais même à regretter de ne pas pouvoir attendre la fin du confinement pour commencer dans de meilleures conditions. J’avais vraiment peur de passer mon premier jour au téléphone, à enchaîner les réunions sans rien comprendre et me sentir perdue. » Quelques semaines plus tôt, elle était rentrée d’un voyage mémorable en Thaïlande et attendait impatiemment le premier jour de son tout premier job, fière d’avoir trouvé un CDI deux mois seulement après la fin de son master. Même si à aucun moment elle n’a craint pour son poste, elle s’est tout de même inquiétée des conséquences qu’aurait le confinement sur son travail et ses relations avec les collègues. « Est-ce que j’aurai moins de missions que prévues ? Celles-ci seraient-elles moins concrètes à cause du télétravail ? Comment était-il possible de m’intégrer au sein de l’entreprise ? » Quand le grand jour est arrivé, sa manager l’a rassuré en se montrant disponible via visioconférence et attentive à ses questions. Jade salue aujourd’hui l’investissement individuel de l’ensemble de ses collègues. « J’ai l’impression que mes collègues ont vraiment essayé d’être présents comme ils le pouvaient pour m’aider à m’intégrer, ce qui m’a permis d’atténuer le stress que j’avais avant d’arriver. »

En revanche, concernant les moyens mis à sa disposition, force est de constater que l’entreprise ne s’est pas vraiment montrée à la hauteur. « Au bout d’un mois, Je n’avais toujours pas reçu d’ordinateur professionnel, donc je travaillais sur mon ordi perso, déplore-t-elle. Aussi, je n’avais pas d’adresse mail professionnelle - j’ai dû m’en créer une manuellement sur gmail - ni d’accès au serveur ni au Microsoft Teams de la boîte. » Un manque de ressources qui a rendu ses débuts plus compliqués que prévu « Mon travail consiste à gérer les réseaux sociaux. Mais n’ayant pas de téléphone pro, je devais tout faire depuis mon perso qui n’était pas forcément adapté aux besoins de stockage. Et lorsque je devais créer des visuels, je me débrouillais comme je peux sans les logiciels qu’il me fallait, explique-t-elle.Tout le monde communique essentiellement via Teams et les liens d’accès aux visios sont partagés dessus directement. Alors comme je n’y avais pas accès, si personne ne pensait à me prévenir par mail, je n’avais aucun moyen d’être au courant et il pouvait m’arriver de manquer des réunions importantes. De plus, je ne pouvais même pas créer moi-même une réunion avec un collègue, ce qui était très handicapant. »

« Je n’avais pas encore reçu d’ordinateur professionnel, donc je travaillais sur mon ordi perso. » - Jade, chargée de communication digitale dans une entreprise de télécommunication

Pour réussir son intégration au sein de l’équipe, elle a proposé dès son arrivée la mise en place de rendez-vous hebdomadaires informels avec ses collègues, une sorte de pause café virtuelle : « J’avais besoin qu’on se voit, qu’on discute ensemble, ça me permettait de créer du lien avec eux. » Mais malgré ses efforts et son envie de bien faire, elle a senti bien que le télétravail et les petits couacs d’onboarding pesaient sur son moral et son implication « Je le vivais assez mal, il faut le reconnaître. Je venais de commencer, et déjà je sentais que je n’avais pas tous les jours la motivation de me lever pour bosser - et pourtant mon bureau se trouvait à deux pas de mon lit (rires) ! J’étais frustrée d’avoir commencé dans ces conditions. J’aurais aimé pouvoir m’asseoir à un vrai poste de travail, devant un vrai ordinateur, voir mes collègues régulièrement, prendre des pauses-café avec eux… »

Une intégration adaptée mais qui a ses limites

De son côté, Marie, Operation manager dans une start up parisienne, a été impressionnée par les moyens mis en place par son nouvel employeur pour s’adapter à la situation. « L’entreprise a fait un super travail de préparation, et je l’ai ressenti en arrivant, explique-t-elle. Dès le début du premier confinement, ils se sont montrés rassurants en m’envoyant un mail pour confirmer que mon poste était toujours d’actualité et qu’ils allaient s’adapter pour gérer l’onboarding à distance. Une semaine avant mon premier jour, j’avais déjà reçu tous mes accès ainsi que mon ordinateur de travail. Quand le jour J est arrivé, j’avais donc tout ce qu’il me fallait pour commencer sereinement. » Pour que Marie puisse bien comprendre le rôle de chacune des équipes, l’entreprise a simplement adapté en visioconférence les réunions de présentations des membres de l’entreprise, et ajouté un nouveau format plus inédit : « On m’a organisé des ”e-café” avec des collègues de différentes équipes et avec les autres nouveaux arrivants pour apprendre à se connaître et commencer à créer du lien. » Marie a reçu tous les matins une newsletter dans laquelle on lui suggérait les tâches à réaliser pour se familiariser avec les différents outils et mieux comprendre l’entreprise. « J’ai trouvé ça génial ! Ça m’a permis de combler les petits temps morts entre deux rendez-vous et puis ça m’a fait du bien de recevoir des mails personnalisés qui commencent par “Salut Marie”, contrairement aux mails purement administratifs et automatiques que l’on reçoit habituellement au début d’une aventure dans une nouvelle entreprise. »

« On m’a organisé des ”e-café” avec des collègues de différentes équipes et avec les autres nouveaux arrivants pour apprendre à se connaître et commencer à créer du lien » - Marie, Operation manager dans une start up

Si pour Marie les premiers jours se sont très bien déroulés, elle regrette tout de même de n’avoir pas pu commencer in situ. La jeune femme déplore les aléas du télétravail, surtout quand on est une nouvelle recrue : « Il y a plein d’infos qui sont mentionnées en réunion et qui semblent évidentes pour tous les participants… mais qui ne l’étaient pas pour moi. C’est tout à fait normal au début et ça n’aurait pas été un problème si j’avais pu demander à clarifier ce point juste après la réu tout en regagnant mon poste de travail avec un collègue. Sauf qu’en télétravail, lorsque la visio se termine, tout le monde part et je me retrouvais seule avec mes questions. C’est frustrant car j’étais obligée d’aller embêter des collègues sur Slack. J’avais l’impression de déranger et la réponse se faisait toujours attendre car les échanges par écrit sont plus lents, et ça me ralentissait. » Même si elle considère qu’elle a été bien accueillie, elle s’est aussi rendu compte des limites des visioconférences : « Les premières semaines étaient top, j’ai rencontré beaucoup de monde, mais difficile d’aller un peu plus loin dans les échanges… »

Étonnamment, pour d’autres, le contexte a facilité les échanges

Avec le recul, Anne-Emmanuelle estime, contrairement à Marie, que le télétravail a plutôt facilité les échanges. « J’ai été très agréablement surprise à mon arrivée d’avoir eu des échanges aussi privilégiés, explique-t-elle. En open space, je pense que j’aurais eu plus de mal à aller vers des gens que je ne connaissais pas. Je n’aurais pas osé les déranger pendant leur travail seulement pour me présenter. À distance, j’avais l’impression qu’il y avait une plus grande qualité dans les échanges et beaucoup de bienveillance. » Ce qui lui permet d’ores et déjà, de dresser un premier bilan de son intégration. « Quelques mois après mes débuts, je connais déjà beaucoup de monde et j’ai eu des échanges de qualité avec des collègues très sympathiques. Une belle surprise, je dois dire ! » Pour elle, le contexte actuel de crise sanitaire n’est pas étranger à cette bienveillance qui règne dans les échanges. « Habituellement, cela prend du temps avant qu’un collègue vous demande “Comment ça va ? J’espère que ta famille va bien ?”, alors qu’avec cette période difficile que nous traversons, je ressens davantage la préoccupation des autres à mon égard. Je n’avais pas l’habitude de parler de moi ni de ma famille au travail, mais dans ce contexte particulier, je pense que l’attention que l’on accorde aux autres est naturellement supérieure. »

« Je n’avais pas l’habitude de parler de moi ni de ma famille au travail, mais dans ce contexte particulier, je pense que l’attention que l’on accorde aux autres est naturellement supérieure » - Anne-Emmanuelle

Arriver dans une nouvelle entreprise n’est jamais facile. En télétravail forcé, les appréhensions que l’on peut avoir sont souvent plus importantes. Si, dans ces témoignages, tous n’ont pas eu exactement le même accueil, ni partagé le même ressenti, tous ont cependant eu envie de rencontrer très vite leurs collègues “pour de vrai”. Samuel, qui a commencé comme associé junior dans une entreprise londonienne de conseil en finances au début du mois d’avril, traduit du mieux qu’il peut cette impression d’inachevé que lui a laissée son arrivée dans l’entreprise en plein confinement : « Je pense qu’en tout, j’aurai eu droit à deux premiers jours. D’abord, celui en télétravail. Et mon “deuxième premier jour” arrivera quand j’ai enfin découvert les bureaux (rires). »

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Photo d’illustration by WTTJ

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