BADASS : ne vous rabaissez plus à l’écrit, rayez le verbe “permettre” !

Publié dans BADASS

23 juin 2021

5min

BADASS : ne vous rabaissez plus à l’écrit, rayez le verbe “permettre” !
auteur.e
Lucile QuilletExpert du Lab

Journaliste, conférencière et autrice spécialiste de la vie professionnelle des femmes

BADASS - Vous vous sentez illégitimes, désemparées, impostrices ou juste « pas assez » au travail ? Mesdames, vous êtes (tristement) loin d’être seules. Dans cette série, notre experte du Lab et autrice du livre de coaching Libre de prendre le pouvoir sur ma carrière Lucile Quillet décortique pour vous comment sortir de la posture de la “bonne élève” qui arrange tout le monde (sauf elle), et enfin rayonner, asseoir votre valeur et obtenir ce que vous méritez vraiment.

C’est une expérience que je recommande vivement : écrivez un mail ou une lettre de motivation. Demandez à un homme de le ou la rédiger également. Puis comparez. Il y a de fortes chances pour que les tournures, le ton et l’assertivité de chacune des deux versions se révèlent nettement différents : alors que les hommes emploient plus souvent des phrases directes, les femmes optent pour des formules qui s’embêtent de trop de politesse, détours et excuses. Et se tirent ainsi une balle dans le pied par excès de modestie.

J’ai soupiré et levé les yeux au ciel moi-même en relisant il y a peu de vieilles lettres de motivation. « J’ai été formée à la rigueur par… », « cette expérience m’a appris… », « je pense pouvoir être la personne adéquate », « ma curiosité a été façonnée par »… Pour rester modeste, j’avais mécaniquement utilisé des formules qui m’invisibilisaient ou me positionnaient en objet passif et « autorisé », quand elles n’instauraient pas une distance précautionneuse entre les pré-requis du poste et mon profil. Attention, il ne faudrait surtout pas affirmer d’entrée de jeu que je suis parfaite pour ce job. Mais ce qui fait de loin le plus saigner mes yeux aujourd’hui est l’usage du verbe permettre, qui garnit en général les moindres paragraphes des lettres de motivation.

Ô, grand dieux du Travail qui furent bons envers moi

« Je me permets de vous écrire aujourd’hui », « Cette expérience m’a permis d’explorer… », « Travailler avec mon chef m’a permis d’évoluer sur telle dimension »… À genoux, nous implorons et saluons les grands seigneurs de notre vie pro en signe de notre gratitude éternelle.

Auprès du verbe « permettre », nous devenons d’un coup les petits jouets du destin, nous nous auto-désignons comme des sous-fifres, qui s’en remettent à la largesse des éléments extérieurs pour voir leurs vœux exaucés. Le verbe permettre nous vole la vedette pour nous rebasculer en complément d’objet indirect (vos années collège ressurgissent ?), soumis au désir et à la bonne volonté d’autrui.

Dans la même lignée, à l’écrit comme lors des discussions d’afterwork, nous remettons, par humilité, souvent tout le mérite de notre parcours sur le compte de notions et concepts désincarnés. Ainsi, ça donne : « Ma scolarité m’a donné de solides bases d’organisation », « ce poste m’a appris la flexibilité »… Or, votre scolarité, votre poste et toutes vos autres expériences ne sont pas des personnes ni des entités animées d’une conscience avec leur volonté propre. Ce sont juste des paravents que vous brandissez pour vous protéger, si bien qu’ils finissent par vous cacher.

Fini la bonne élève qui attend les autorisations, en 4 conseils :

Parfois, nous prenons notre courage à deux mains et commençons enfin une phrase par un « je » très assumé… Puis voilà que déboule le verbe « pouvoir » pour réfréner nos ardeurs. « J’ai pu apprendre à maîtriser ce logiciel », « J’ai pu évoluer en tant que »… Vous restez la bonne élève qui a reçu plus qu’elle n’a donné, celle qui avance au gré des feux verts que le monde extérieur daigne lui donner de temps à autre. Ok, je dramatise peut-être, mais au final, l’impression générale que vous donnez est celle d’une personne qui attend les autorisations, au lieu d’être le sujet actif de sa vie professionnelle.

Le summum étant évidemment la combinaison de tout ceci : sujet inexistant + pouvoir + permettre = « Cette expérience a pu me permettre d’apprendre les bases du métier ». Là où un simple « j’ai appris les bases du métier en… » aurait fait honneur à votre détermination, vous avez juste disparu de la phrase.

Un peu de réécriture suffit à photoshoper votre texte soumis, en un récit chargé d’assurance. Car ne plus parler de sa vie professionnelle en des termes subis, c’est non seulement moins ennuyeux à lire ou entendre, mais cela rend votre récit beaucoup plus vif, incarné et badass. Voilà comment amorcer la transition :

1. Commencez vos phrases par « je »

Ça semble être une évidence, mais chassez le naturel, il revient au galop… Veillez donc à ce que la majorité de vos phrases commencent par « je » : une façon d’affirmer et d’assumer en votre nom ce que vous racontez.

Ainsi « les voyages ont renforcé ma connaissance des langues » devient « forte de mes nombreux voyages, je suis polyglotte ». Le « cette expérience m’a appris la rigueur » se transforme en « j’ai appris la rigueur en… » (évitez le « grâce à » qui vous ôte à nouveau le mérite). Choisissez un sujet qui existe vraiment (autrement dit : vous).

2. Pas plus de trois verbes à la suite

Pour ne pas paraître trop cash, nous pensons mettre les formes en ajoutant plein de mots à nos phrases. Mais en fait, c’est un peu comme répandre de la chantilly par-dessus du Nutella par-dessus du beurre : lourdingue et inutile. Surtout, cela brouille l’essence de votre propos (beurre ou Nutella, je vous laisse choisir).

Pour éviter la tournure qui vous distancie du cœur de l’action, veillez à ne jamais avoir plus de trois verbes à la suite. Ainsi valdingueront les « je pense savoir donner satisfaction », « j’ai pu gagner en compétences », « cette expérience m’a permis d’aiguiser mon sens de l’observation» : bonjour aux « j’ai de bons résultats », « j’ai gagné en compétences », et, of course, « cette expérience a aiguisé mon sens de l’observation » (même si, vous l’avez compris, « j’ai aiguisé mon sens de l’observation » est bien mieux, cf. conseil n°1).

3. Remplacez la capacité par la volonté et l’action

Favorisez les tournures qui mettent en avant ce que vous avez fait et réalisé plus que le contexte qui a rendu ces choses possibles. Ne parlez pas des circonstances et raisons qui vous ont mis en « capacité de » mais de votre volonté, vos actions, votre mérite. Ainsi, vous ne vous attardez pas sur le « comment » mais sur le « quoi ».

Une simple bascule de sujet à complément circonstanciel et le tour est joué. De « cette mission de trois mois à Sao Paulo m’a offert l’opportunité de parfaire mon portugais », vous passez à « je parle couramment le portugais, que j’ai perfectionné trois mois durant à Sao Paulo ».

4. Permettre, pouvoir, penser sur la liste noire

En supprimant les verbes qui prennent trop de pincettes et relativisent la véracité de votre affirmation, vous allez rapidement débusquer ces mots qui s’incrustent inutilement à la fête : pouvoir, permettre, penser. Tout ce qui rend votre propos subjectif est à écarter dans la mesure du possible.

On n’oublie pas également les expressions un peu trop carpettes : « Je reste entièrement à votre disposition », ou « Je serais plus que ravie de pouvoir échanger avec vous. » Pas besoin de vous courber plus que mesure, on peut garder la tête haute (histoire de rester d’égal à égal avec notre interlocuteur) tout en restant polie et cordiale : « Je suis disponible pour échanger davantage de vive voix avec vous » ou « je serais ravie de faire votre connaissance au cours d’un déjeuner. »

Ce glissement rhétorique semble parfois abrupt : on a soudainement l’impression d’avoir un ego XXL et de se la raconter. Pour autant, il ne s’agit que de vérités objectives : vous savez parler portugais ou non, vous avez été performante à tel poste ou non, vous avez appris à gérer tel logiciel hyper pointu ou non. Il n’y a pas besoin de se cacher derrière des formules minimisantes ni de s’écraser pour valoriser votre interlocuteur : vous êtes le personnage principal de l’histoire qu’il vient écouter. À vous de lui permettre de mieux vous connaître.

Article édité par Eléa Fourcher-Créteau
Photo par WTTJ

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