Candidats LGBTI+ : comment savoir si une entreprise est safe pour vous ?

14 juin 2023

5min

Candidats LGBTI+ : comment savoir si une entreprise est safe pour vous ?
auteur.e
Etienne Brichet

Journaliste Modern Work @ Welcome to the Jungle

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Vous vous lancez dans la recherche de votre job de rêve, seulement vous êtes LGBTI+ et vous vous demandez si votre future entreprise sera inclusive ? Mais comment faire pour détecter les environnements professionnels “safe” ? Des experts et expertes en inclusion et diversité livrent leurs conseils pour vous aider à faire le bon choix.

Pendant le mois des fiertés, la plupart des d’entreprises arborent des logos aux couleurs du drapeau arc-en-ciel, symbole de soutien aux personnes LGBTI+. Tel un Bat-Signal qui transperce la nuit noire, quiconque voit ces couleurs peut supposer qu’il ou elle à affaire à une entreprise inclusive. Sauf que la réalité est plus complexe et il faut parfois se méfier des apparences. Savoir regarder au-delà de la première impression est indispensable pour éviter de se retrouver dans un environnement qui surfe sur le pinkwashing ou qui ferme les yeux sur d’autres formes de discrimination. Heureusement, il existe des signaux qui peuvent aider les candidats et candidates à ne pas tomber dans le piège. Nicolas Pirat-Delbrayelle, consultant-expert diversités et inclusion pour têtu·connect, et Marie-Lou Dulac, consultante diversité et inclusion ainsi que directrice créative à Pocket Story, ont accepté de partager leur expertise pour que vous puissiez reconnaître par vous-même une entreprise inclusive.

C’est quoi une entreprise inclusive ?

Avant d’entrer dans le vif du sujet, une définition s’impose : « La première étape pour reconnaître une entreprise inclusive : elle se doit d’être représentative de la population du pays dans lequel l’entreprise est implantée. Si cette condition est nécessaire, elle n’est pas suffisante, explique Marie-Lou Dulac. Elle se doit également de respecter et de valoriser chaque personne indépendamment de son niveau hiérarchique, d’offrir les mêmes chances de développement professionnel et permettre de se sentir en pleine possession de ses moyens pour contribuer au mieux à la mission de l’entreprise. » Pour Nicolas Pirat-Delbrayelle, certains obstacles peuvent empêcher d’atteindre ces prérequis, notamment « une totale méconnaissance ou une mauvaise connaissance des diversités ». À cela s’ajoutent les stéréotypes de genre. « On va souvent considérer que les hommes sont plus à même de diriger et de prendre des décisions », ajoute Marie-Lou Dulac.

Quand les candidats et candidates mènent l’enquête

Par où faut-il donc commencer pour savoir si une entreprise est safe ? Eh bien en regardant le site internet de celle-ci. « Je recommande aux candidats et candidates de chercher les mots-clés qui les concernent sur le site corporate pour voir les informations ressortent, ou pas, conseille le consultant pour têtu·connect. Si toutes les photos représentent des personnes de la même tranche d’âge, apparence socio-économique, couleur de peau et du même genre, il y a peut-être un souci de représentation de la diversité au sens générique du terme. » Une démarche que préconise également Marie-Lou Dulac : « Est-ce que les textes sont rédigés en écriture inclusive ? Est-ce que l’entreprise mentionne sa politique diversité ? Est-ce qu’elle met en avant des valeurs de performance et de compétition ou de coopération et d’inclusion ? Est-ce qu’elle soutient des associations ? Est-ce qu’elle s’engage dans les grands temps forts du type journée internationale des droits des femmes ou mois des fiertés ? »

Autre source d’information, les offres d’emploi. Si elles doivent respecter des règles juridiques strictes, certains éléments peuvent être considérés comme des red flags et d’autres comme des signaux positifs. « Il est obligatoire de mentionner qu’un poste est ouvert aux femmes et aux hommes. D’après moi, matérialiser l’inclusion dans une offre d’emploi, c’est faire un texte entièrement non-genré », affirme Nicolas Pirat-Delbrayelle. De son côté, Marie-Lou Dulac invite les candidats et candidates à utiliser l’analyseur de l’association À compétences égales : « Il suffit de rentrer le texte de l’offre d’emploi et l’outil l’analyse sémantiquement pour déterminer si elle est discriminante. » De même, elle met en avant le site Glassdoor pour savoir ce que pensent les salarié·es de l’entreprise visée : « Glassdoor a réalisé un classement des vingt-cinq meilleures entreprises en termes d’inclusion en France. La réputation de l’entreprise en ligne selon la presse ou les ancien·nes salarié·es est une information importante et utile. »

Même sans ces outils, certaines choses sont visibles à l’œil nu. « La recherche de qualifications irréalistes n’est pas un bon signe. Les RH savent que cela décourage les candidats et candidates qui sont minorisé·es donc les femmes, les personnes racisées, les personnes LGBTI+… Il faut voir s’il y a des informations claires et détaillées sur le processus de recrutement et s’il y a une mention sur les besoins spécifiques pour les personnes en situation de handicap », souligne la consultante.

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CV, lettre de motivation et entretien, des outils pour tester les entreprises ?

Un processus de recrutement, contrairement aux idées reçues, cela ne va pas que dans un sens, notamment celui du recruteur ou de la recruteuse. Différents moyens s’offrent à vous pour potentiellement tester votre future entreprise sur ses engagements en matière de diversité et d’inclusion. Nicolas Pirat-Delbrayelle et Marie-Lou Dulac ne recommandent pas l’utilisation de l’écriture inclusive dans la lettre de motivation et favorisent d’autres approches « Mettre dans le CV les expériences associatives au sein de bureaux étudiants et qui sont anglées sur la diversité est un bon moyen de voir la réaction du recruteur ou de la recruteuse », assure l’expert.

L’entretien d’embauche reste cependant le moment charnière pour tester l’entreprise. « Il peut être pertinent de demander quel est le candidat ou la candidate idéal·e, cela fait parler l’interlocuteur ou l’interlocutrice sur des choses qu’on ne peut voir que quand on est à l’intérieur de l’entreprise. Demander si les managers sont formé·es à des pratiques inclusives permet d’ouvrir la conversation sur la politique de diversité et d’inclusion en entreprise sans poser la question frontalement », explique la consultante. Pour Nicolas Pirat-Delbrayelle, il y a des questions simples mais importantes à poser en entretien : « Qu’est-ce que vous faites en termes de diversité ? Quels sont vos ERG (Employees Resource Groups) en termes de diversité ? Pour le cas des personnes LGBTQI+, est-ce que la composition de mon modèle familial est prise en compte au niveau du comité d’entreprise, de la mutuelle, des droits ? »

Hiérarchie et aménagement, une porte sur l’inclusion

Si les candidats et les candidates peuvent avoir physiquement accès à l’entreprise lors de l’entretien, certaines choses doivent leur mettre la puce à l’oreille en termes de diversité et d’inclusion. « Il faut faire attention si l’espace est aménagé pour les personnes en situation de handicap. Et s’il y a eu des modifications du workplace pour faire des toilettes non-genrées, cela veut dire qu’il y a eu toute une réflexion sur l’inclusivité, appuie Marie-Lou Dulac. C’est aussi intéressant de voir comment l’entreprise est organisée, cela montre comment fonctionne la hiérarchie. Est-ce que les boss sont enfermé·es dans des bureaux tout en haut de l’entreprise et le reste des salarié·es en bas dans des open space ? L’organisation de l’espace peut donner beaucoup d’informations tout comme voir avec quels prestataires l’entreprise travaille. » Mais comme le note Nicolas Pirat-Delbrayelle : « Ce n’est pas parce qu’une entreprise n’a pas tout son corpus à jour en termes de diversité qu’elle n’est pas volontaire pour améliorer sa politique interne. » Les candidats et candidates ainsi que les salarié·es ne doivent pas hésiter à proposer des initiatives s’ils et elles estiment qu’il y a des manquements.

Chartes et engagements, le graal de l’inclusion ?

Cela fait maintenant plusieurs années que de nombreuses entreprises signent des chartes pour montrer leur implication dans les politiques de diversité et d’inclusion. Elles sont souvent mises en avant par les entreprises mais sont-elles suffisantes pour savoir si un environnement de travail est safe ? « Les chartes ne servent à rien s’il n’y a pas un accompagnement et une vigilance au quotidien. Les promesses n’engagent que ceux y croient », commente le consultant. Même discours pour Marie-Lou Dulac : « Pour qu’une charte soit intéressante il faut qu’elle soit contraignante. Une charte sans objectifs chiffrés et sans réelles mesures, c’est de la communication. Une entreprise inclusive doit avoir une équipe et un budget dédiés à des mesures de diversité et d’inclusion. Cela doit être défini et identifié comme une priorité par le top management, sinon c’est un non-sujet. »

Une des façons de vérifier si l’entreprise dispose de mesures réellement efficaces et contraignantes, c’est encore de demander s’il y a un processus défini en cas de comportement toxique. « Qu’est-ce qui se passe quand il y a un cas de harcèlement ou d’agression ? Une entreprise qui n’a pas de processus défini, c’est une entreprise qui s’expose à davantage de comportements discriminants. Même si le CEO se positionne en faveur de l’inclusivité, s’il n’y a pas d’actions, de prévention et de traitement des discriminations et des inégalités, cela n’empêchera pas un manager d’être toxique avec les salarié·es sans craindre quoi que ce soit. S’il n’y a pas d’exemplarité, certaines personnes toxiques vont se retrouver promues et monter dans la hiérarchie, et cela va contaminer toute l’entreprise », insiste Marie-Lou Dulac. Enfin, Nicolas Pirat-Delbrayelle estime que « si toutes les personnes qu’il y a dans une entreprise vous ressemblent, c’est qu’il y a un problème. Si aucune personne dans l’entreprise où vous arrivez ne vous ressemble, c’est que peut-être l’entreprise est en train de faire un pas vers la diversité ».

Article édité par Romane Ganneval ; Photographie de Thomas Decamps

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