Rhume des foins : portrait robot de votre collègue toujours malade

04 mai 2022

3min

Rhume des foins : portrait robot de votre collègue toujours malade
auteur.e
Antonin Gratien

Journaliste pigiste art et société

Il tousse, se mouche, s’inquiète. Écume anxieusement les forums Doctissimo à la moindre rougeur, appelle cinq fois par semaine son médecin généraliste et parvient à se faire piquer par la seule araignée de l’open space. C’est le malingre un brin alarmiste - et surtout très malchanceux - du bureau. Celui qui n’est jamais « tip top », et agace autant qu’il attendrit. Chant d’amour pour ce drôle d’oiseau, éternel patraque, qu’on a tous croisé un jour ou l’autre.

« Ça y est, nous y sommes. » Où ça ? Au printemps, aka la saison du pollen, bien sûr. Période maudite pour ce collègue qui, comme un quart de la population française selon l’INSERM, souffre d’allergie à cause de ces petites graines émanées de plantes. Mais si ce n’était que ça. Celui que la boîte a tôt fait d’ironiquement surnommer « l’Incassable » cumule. Maux de têtes chroniques (« impitoyable hérédité »), soucis de dos (« sale literie… »), sensibilité si extraordinaires aux virus hivernaux que chacun en est venu à soupçonner une forme de défaillance immunitaire… Ou d’hypocondrie carabinée ? Allez savoir. Focus sur le profil d’un énergumène dont les excès auraient pu, en d’autres temps, inspirer à Molière son célèbre Malade imaginaire. Et qui est devenu, un peu malgré lui, la vedette de la boîte.

« Qu’est-ce-qu’il y a, ENCORE ? »

Cher co-worker, je l’avoue, la première fois que je t’ai vu, j’ai cru à un sketch. Ta mine blême, entraperçue derrière une marée de mouchoirs, ce nez capricieux qui coulait intarissablement, cette manière de passer compulsivement ta main sur ton front dans un geste théâtral pour, semble-t-il, en vérifier la température. Sans même parler de la rangée pharmaceutique de Doliprane, Humex et autres pastilles Vicks qui jouxtait ton ordinateur… Ça faisait beaucoup. Autant dire qu’au terme de cette première journée partagée, te souhaiter « bon rétablissement » m’avait paru adéquat.

Mais il ne m’aurait pas fallu longtemps avant de réaliser que ce fameux « rétablissement » n’aurait jamais lieu. À chaque jour, une nouvelle peine. Aussitôt la vilaine grippe s’était-elle fait la malle qu’une autre pathologie prenait le relais. Lundi rhume, mardi otite, mercredi asthme et tutti quanti. Sacré défilé. Alors bien sûr, il fallait faire gaffe. À t’entendre, tout n’était qu’environnement hostile, toxique - mortel, peut-être.

Au bureau, les « quelqu’un peut ouvrir une fenêtre, on étouffe » ou « par pitié baissez la clim’, c’est un coup à attraper froid » sont devenus partie intégrante du folklore d’entreprise. De même qu’à la cantine, tes intarissables questions auprès du chef pour savoir si tous les produits étaient « bien frais », « conformes », « hygiéniques » - l’angoisse t’a parfois tant rongé qu’on t’a vu tenter de stériliser des plats déjà préparés. Et la légende veut que si tu arrives si tôt le matin, c’est pour repasser en toute discrétion un coup de nettoyant sur les bureaux après la tournée des équipes de ménage. Juste histoire « d’être sûr ». Impressionnant.

Frère de galère un jour, toujours

À un moment, j’ai eu envie de dire « stop ». On a tous eu envie de le dire. Puisque ni nos roulements d’yeux face à ton expression d’agonie due à une énième « crise d’estomac », ni notre mutisme consterné en guise de réponse à tes interrogations catastrophées (« peut-on être amputé suite à une morsure de chat ? Non parce que ça fait hyper mal là… ») n’ont pu avoir raison de ce qu’il convient d’appeler ta « maladive maladivité », peut-être fallait-il te confronter. Te dire que tout ça frisait la paranoïa, l’absurde.

Et puis, non. Primo il a bien fallu admettre que tu avais une chance de Calimero, et nul ne pouvait t’en vouloir pour ça - quelles étaient les probabilités qu’un simple aller-retour en friperie te fasse contracter la gale ? Secondo, après concertation, chacun a reconnu qu’au fond, ce carnaval de défaillances, réelles ou rêvées, avait quelque chose de touchant. Comme si on assistait à un mélo’ en live.

Les jours passants, ton excentricité a fait de toi la mascotte - pardon, la STAR - de la boîte. Mine de rien, que ce soit du côté de la machine à café ou durant la pause clope, chacun s’enquiert de ta santé. À la manière d’un feuilleton, on craint d’avoir raté un épisode et on essaie de deviner les contours du prochain. Aussi, il faut admettre que l’officine que représente ton bureau présente bien des avantages. Un petit message sur Slack, et voilà qu’en cinq minutes chrono tu livres l’exact remède au mal suggéré. Avec moult détails sur la posologie et informations concernant l’évolution possible du tracas. Salvateur.

Oui tu agaces. Bien sûr tu exaspères et, évidemment, tu insupportes. Mais que celui qui n’a jamais flippé un max’ à cause d’une banale nausée jette la première pierre. Alors ô toi l’égrotant, le souffreteux ; toi dont les coups de stress inopinés nous ont fait rire aux larmes, toi qui n’avais pas attendu le covid pour porter un masque et laver furieusement tes mains au gel hydro’, en notre nom à tous, je dis merci. Et surtout : prends soin de toi.

PS : On apprécierait quand même que tu clean tes mouchoirs usagés de la table de réu’. C’est pas parce que t’es le champion incontesté du pet de travers qu’on peut pas choper la crève, nous aussi. Un bon hypocondriaque se doit d’être soigneux, non ?

Article édité par Aurélie Cerffond, photo Thomas Decamps pour WTTJ

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